Une tempête en cache une autre. Vulnérabilité des sociétés

par Bernard Dugué
lundi 26 janvier 2009

La tempête dans le Sud-ouest fut d’une grande intensité. Voici quelques détails de cet épisode climatique vu du terrain. Moins grave dans ses conséquences sera la tempête sociale secouant l’université à partir d’aujourd’hui, puis cette grève plus ou moins générale du 29 janvier lancée par plusieurs syndicats et partis.

Comment raconter cette tempête du 24 janvier ? Dormant la fenêtre ouverte pour cause de surchauffage (merci le gestionnaire de mon HLM) je fus réveillé par des rafales de vents. Quatre heures précises. Comme l’avait annoncé le bulletin d’alerte de Météo France. Un coup d’œil sur le balcon. L’arbre majestueux n’a pas plié, comme du reste en 1999. Mais quelles secousses. Il semble que l’intensité était moindre et la « structure » du vent différente, plutôt des rafales entrecoupées de fausses accalmies. Le phénomène a duré jusque vers 10 heures, peu spectaculaire mais une ville ne ressemble pas aux campagnes.

14 heures. Je prends vélo. Direction Bordeaux. Rien à signaler à part quelques arbres arrachés, beaucoup moins qu’en 1999 et moins d’objets divers, tuiles, gravas, branches, ordures ménagères. Il est quand même étonnant de voir le nombre de poubelles sorties malgré le bulletin d’alerte. Sans doute, la proportion de "blondes" à Bordeaux est au niveau « normal ». Il faut dire aussi que le bulletin d’alerte n’était qu’orange pour la Gironde, réajusté en cours de nuit, la tempête étant décalé d’une trentaine de kilomètres au nord, par rapport à la prévision. Bordeaux n’a pas autant souffert qu’en 1999.

Dimanche, 13 heures. Je pars pour Andernos, sans m’être informé au préalable de la situation. Sur la route du Cap Ferret, des arbres arrachés, moins semble-t-il que lors de la précédente tempête. C’est surtout au sud, dans les Landes, que le désastre a été constaté. Sous une pluie soutenue, je croise un nombre considérable de véhicules se dirigeants vers Bordeaux. Sur le coup, on ne réfléchit pas. Peut-être des propriétaires revenant de leur visite pour constater les dégâts dans leur résidence secondaire. Arrivée à Andernos. Pas d’électricité. Impression de voir une ville fantôme. Et pas un seul commerce ouverte. Les boulangeries fermées à cause des portes électriques automatiques. De quoi réfléchir sur notre extrême dépendance vis-à-vis de l’énergie et surtout, de l’électricité.

14 heures 30. Retour sur Bordeaux. Cette fois sous une pluie battante. Et là aussi, un étrange ballet d’automobiles, cette fois en direction de la mer. Comme s’ils s’étaient donnés le mot. Qu’imaginer ? Certainement des habitants dans les localités du bassin rejoignant leur domicile. On imagine les uns venus trouver quelque ravitaillement sur Bordeaux, les autres déjeuner chez des amis et pour beaucoup, la nécessité de trouver une zone électrifiée. Les localités étant privées d’électricité et de téléphone, le seul moyen de prendre des informations ou d’appeler des proches est de se déplacer dans une zone où les relais pour mobile sont alimentés en électricité. Toujours est-il qu’hormis le phénomène de synchronicité constaté (qui n’a rien d’un mystère jungien mais plutôt d’un mimétisme immanent), c’est dans ces situations qu’on prend conscience combien les sociétés sont vulnérables face à ce type d’événement climatique extrême.

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Autre tempête qui s’annonce, cette fois au sein de la société. Rien de commun dans les conséquences. Il n’y aura pas d’arbre abattu, ni de poteaux renversé. Juste quelques petits tracas auxquels les Français sont habitués. Ecoles fermées, bus au garage. La première secousse débute ce mardi, avec les enseignants-chercheurs en grève. Une fronde sans précédent, réunissant les ES par-delà les clivages politiques, ce qui est inhabituel au sein de l’Université. Et la menace d’une grève illimitée à partir du 2 février. Différente dans ses ressorts et motifs sera la grande mobilisation du 29 janvier. Mais tout aussi exceptionnelle au vu des catégories et secteurs professionnels concernés. Justice, éducation, transport, banques, énergie, poste, retraités, industrie automobile… cette grève plurielle au possible renverra sans doute un écho à l’appel des appels lancé dans Libé. Quant aux Français, 7 sur 10 soutiennent cette action selon les sondages publiés.

La tempête sociale est en route. Nul ne peut dire quelle en sera l’issue ces prochains mois. Mais il est certain que le commandant de bord Sarkozy va devoir manœuvrer le bateau France dans une passe les plus délicate qu’elle traverse. Car l’époque n’est plus à manier la cagnotte pour colmater quelque secteur en colère. L’addition est salée. Et l’expression banque de la colère formulée par P. Sloterdijk est parfaitement d’actualité. On y ajoute l’impasse car le problème étant de transcrire cette colère en une alternative politique. Et pour l’instant, aucune solution en vue. Pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème dit une maxime orientale ! A moins que le problème ne soit pas uniquement politique. Bref, tout ce chaos manque singulièrement de représentation et de pensée. Passions et pulsions conduisent les hommes vers on ne sait quel destin historique.

Conclusion. Climat planétaire ou climat social, les sociétés sont plus que jamais vulnérables. Mais les pannes électriques ne ressemblent pas aux pannes sociales


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