Une voie libérale vers la décroissance ?
par stanjourdan
lundi 2 avril 2012
La décroissance est un concept intéressant, mais à condition qu'on y vienne par la Liberté et non la contrainte.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas effrayé d’envisager une décroissance (y compris du PIB), si celle-ci est accompagnée de modifications structurelles des modes de production, de consommation, qui aboutiraient à une économie plus efficiente, juste, et riche socialement.
Cette position là suscite d’ailleurs des hérissements de poils chez certains de mes amis libéraux, tandis que d’autres, plutôt à gauche, m’interpellent également car ils ne comprennent pas que je mette le revenu universel avant tout autre thème, et notamment celui de la décroissance.
C’est pourquoi il me semble important de préciser ici ma vision de la décroissance et de son lien avec le revenu de vie et le libéralisme que je défend. Je vais tenter de démontrer que si les idées des décroissants sont intéressantes, ce projet de société n’est pas forcément le bon point de départ vers une nouvelle société. Il serait en revanche davantage un état de fait, une fois que les changements nécessaires vers une société plus démocratique, plus libre, et plus juste auront vu le jour. Mais pour éventuellement en arriver là, le revenu minimum garanti constitue une étape incontournable.
La décroissance est déjà là
Tout d’abord, je voudrais pointer du doigt le fait que la décroissance est d’une certaine manière, déjà en train de se dérouler sous nos propres yeux. Il suffit de regarder le graphique ci-dessous de Olivier Berruyer pour s’en convaincre : l’économie est aujourd’hui en phase d’atterrissage, avec une croissance qui n’en finit pas de ralentir depuis la fin des Trente glorieuses.
Et ce n’est pas les déclarations optimistes de Mme Lagarde et autres charlatans de gauche comme de droite qui nous promettent reprise, luxe et plein-emploi qui y changeront grand chose, car aucun signe ne tend aujourd’hui à renverser la tendance aujourd’hui. Il suffit de regarder ce qui se passe en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Angleterre, en Irlande et aux Etats-Unis pour comprendre que le temps n’est pas à la reprise, bien au contraire : tous les indicateurs sont au rouge.
La France n’y échappera pas. Quel que soit le résultat des échéances électorales de 2012, dès que les agences de notation nous tomberont dessus, le gouvernement sera contraint de se plier à la loi des marchés financiers. C’est à dire à appliquer des restrictions budgétaires qui feront fléchir encore plus les maigres espoirs de croissance et plongerons la France dans une crise similaire à celle de la Grèce.
Tout projet politique qui ne prend pas en compte cette réalité économique et sociale n’est qu’un vœu pieux qui ne nous amènera que de lendemains difficiles. Il n’y a pas aujourd’hui besoin d’être « décroissant » pour comprendre tout cela, et que l’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de rechercher la croissance pour relancer une machine détraquée, que de mettre en place une structure économique qui puisse supporter socialement une croissance faible, nulle voire négative pour les années à venir.
Ma position est donc tout d’abord pragmatique : face au déclin déjà palpable et qui ne peut que continuer, il est urgent de renouveler le modèle social français afin d’éviter la désintégration totale de la société.
L’urgence sociale d’un nouveau pacte social
Soyons lucides : en plus d’une croissance en berne (et d’un inatteignable plein-emploi), notre modèle social est entaché de nombreux méfaits qui ne résolvent rien au problème : l’exclusion sociale, les radiés du chômage, les fortunés assistés, les travailleurs pauvres, la souffrance au travail, et toutes les conséquences néfastes de notre machine à jalousie.
L’autre problème, c’est que notre modèle social n’est pas du tout conçu pour réduire les inégalités, ou pour anéantir la pauvreté. Le modèle social français, c’est avant tout un vaste système assurantiel. Allocations chômage, maladie, vieillesse, ne sont que des dispositifs nationalisés d’assurance pour les travailleurs. Mais dans un pays où le véritable taux de chômage doit probablement approcher les 15%, cette logique crée de plus en plus d’exclus (appelés ensuite « assistés »).
Il y a un grand désarroi dans la société : face au déclin, la tentation de se tourner vers des boucs émissaires se fait sentir : roms, assistés, riches, immigrés… peu importe qui sera la victime, le fait est que l’on est bien loin du rêve républicain de Liberté, de l’égalité, et de la Fraternité… L’eau bout depuis trop longtemps déjà, et la moindre étincelle pourrait couter cher à la démocratie, comme la montée des extrêmes en témoigne.
Le revenu de vie est le seul moyen de gérer ce déclin sans trop de casse. Anéantir l’extrême pauvreté, c’est non seulement respecter le droit fondamental à la dignité tel qu’inscrit dans la Déclaration de l’Homme et du Citoyen, mais c’est aussi garantir la paix sociale. Il faut désamorcer le piège dans lequel le modèle pseudo social et démocrate est en train de nous faire plonger, en attisant sans cesse les jalousies, les ressentiments, les injustices etc.
Il est temps de se réveiller : les vieux rêves de croissance sont terminés. Éviter la dictature économique, le fascisme, ou la guerre civile, voilà où nous en sommes aujourd’hui. La décroissance viendra peut être un peu plus tard…
Le revenu garanti et la reconnaissance de la valeur non-marchande
Par nature, reconnaitre la légitimité d’un revenu universel, c’est déjà faire un premier pas vers la décroissance. Villepin, pourtant classé à droite, le dit lui-même entre les lignes d’un billet défendant son « revenu citoyen » :
Un étudiant de famille modeste, au lieu de devoir travailler pour financer des études et, à cause de cela, les réussir moins bien, pourra s’y consacrer grâce à ce revenu citoyen, car étudier, c’est servir l’intérêt général.
Une femme d’agriculteur qui aide son mari dans l’exploitation agricole mais qui ne peut pas se verser de salaire pourra recevoir le revenu de citoyenneté, car travailler aussi durement, tout le monde doit en convenir, c’est contribuer à l’intérêt général.
Permettre à une mère seule qui élève des enfants qui ne vont pas encore à l’école de leur donner plus de stabilité et plus de perspectives grâce au revenu citoyen, c’est moins de chances gâchées, moins d’échec scolaire et moins de risque de délinquance, n’est-ce pas servir l’intérêt général.
On le voit : le revenu citoyen de Villepin est en partie motivé par une remise en cause de la « valeur travail » si chère aux autres formations politiques. Villepin a le mérite de reconnaitre que certaines activités ne créent peut être pas des richesses palpables directement en termes de PIB, mais ne restent pas moins « utiles » socialement. Remettre en cause la religion du travail, c’est déjà admettre qu’il existe des richesses qui valent plus qu’un bulletin de salaire.
Et honnêtement, si cela n’est pas en phase avec la décroissance, je ne sais pas ce que c’est ! Alors certes, Villepin (ou Boutin) ne parlent pas de « décroissance » en ces termes, mais de fait, il est bien dans une logique qui l’amène (malgré lui, surement) vers cette voie. Tandis que la décroissance est un sujet clivant, le revenu garanti est un concept susceptible de rassembler au delà des rivalités politiques. Et c’est ce qui rend cette mesure autrement plus importante que la décroissance.
Non à la décroissance forcée
Je me méfie beaucoup de cette approche qui me semble dangereuse pour plusieurs raisons. Tout d’abord car vu l’état actuel de notre « démocratie » , le risque d’une dérive autoritaire n’est pas négligeable, mais surtout car cette approche va à l’encontre à la fois des principes libéraux que je défend, mais aussi à l’encontre du succès même du projet de décroissance.
Je m’explique : comme je le dis souvent sur ce blog, les grands changements ne viendront pas d’en haut, par des décisions politiques unilatérales. Le changement de société ne peut aboutir que suite à des décisions individuelles qui, si elles se généralisent, aboutiront à de nouveaux phénomènes de masse. L’évolution se fera par réaction mimétique de la masse, guidée par les premiers qui enclenchent actuellement le mouvement, en modifiant volontairement leurs comportements. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Mais je n’apprends certainement rien aux décroissants, qui parlent souvent de « sobriété heureuse », de « simplicité volontaire« . Selon Paul Ariès, la décroissance est d’ailleurs dès l’origine une démarche individuelle plus qu’un mouvement politique. Et il est évident que c’est la seule voie crédible pour parvenir à une société de la décroissance. Une décroissance qui se ferait par le contrôle, la coercition, l’autoritarisme, ne mènera guère qu’à davantage de ressentiment, et provoquera la résistance de certaines classes de la population.
Ce n’est pas en interdisant les 4×4, la spéculation, les pesticides etc. que l’on supprimera la volonté (voir le désir) de certains d’y recourir. On ne ferait que créer davantage de frustrations qu’il n’en existe déjà. En revanche, si vous-mêmes vous abstenez d’en utiliser, et que vous vous en portez plutôt mieux et que vous le dites autour de vous, il y a une chance que, sans aucunes mesures politiques spécifiques, la demande globale pour ce genre de produits/services finisse par diminuer, et même que le marché pourrait s’adapter à de telles évolutions…
Provoquer le changement sans brimer les libertés : voilà la clé.
Revenu garanti, préalable nécessaire à la décroissance
Seulement voilà, tout cela est bien beau sauf que nous vivons dans une société sclérosée, ou les comportements individuels sont difficiles à changer, pour différentes raisons.
Tant que les médias se réjouiront périodiquement de l’augmentation de la consommation des ménages, il sera difficile de convaincre que consommer moins puisse être une bonne chose, surtout quand la consommation devient un exutoire contre le malaise au travail… Comment attendre des gens qu’ils cultivent leur jardin alors qu’on les entasse toujours plus en ville, là où il y a du travail ? Comment demander aux agriculteurs de se mettre à la permaculture alors que la Politique agricole commune favorise les industriels au détriments des petits producteurs ?
La télévision, les médias mainstream, le divertissement tiennent l’opinion publique par la laisse, lui dictant ce qu’il est de bon ton de penser, de faire, de consommer. Les entreprises maintiennent le salariat dans une forme de servitude moderne qui force la majorité des gens à travailler pour des entreprises qui font le contraire de leurs convictions, tout ceci entretenu par un système social défaillant qui punit les pseudo inactifs en les tenant par les couilles du porte-monnaie, encourageant ces derniers à vite retrouver leur place de pion au sein d’une entreprise quelconque pour éviter la radiation fatale. L’intervention de l’état conforte le statu quo en arrosant l’économie traditionnel de subventions, de lois protectrices, de statuts privilégiés, qui se chargent de disqualifier ceux qui voudrait jouer avec d’autres règles.
Bref, tout semble fait pour que rien ne bouge, et que les audacieux progressistes restent cantonnés à leur rôle de « représentant d’une idéologie utopiste », histoire de varier un petit peu les sujets du JT, ou pour faire preuve d’un peu de diversité dans les panels des plateaux TV.
C’est précisément ici que le revenu minimum garanti prend toute son importance. Pour pouvoir changer, les individus ont besoin d’avoir davantage la liberté afin de se détacher du système économique qui les contraint aujourd’hui à adopter des règles qu’ils réprouvent bien souvent.
Sans être une « panacée », le revenu minimum garanti est un levier de changement des comportements très puissant, et notamment en vue d’une démarche de décroissance. Car le revenu universel est tout d’abord un moyen de favoriser les activités non-marchandes artistiques (ce qui permet d’ailleurs desurpasser la logique de la licence globale), sociales, et surtout de rendre aux citoyens la maitrise de leurs vies, par le choix désormais possible de travailler moins tout en gagnant suffisamment pour vivre décemment, et en pratiquant une activité qui a du sens pour eux.
Car la crise actuelle du capitalisme n’est pas seulement une crise économique de plus. Nous assistons à une crise de valeurs et de déshumanisation des échanges. Nos entreprises n’ont pas perdu contre les chinois, elles ont perdu contre elles-mêmes en déshumanisant leurs processus de production, en divisant les gens, en organisant la ressource travail comme une vulgaire matière première. Le problème n’est pas tant que les multinationales détruisent l’environnement ou le tissu économique, mais plutôt que de nombreuses personnes cautionnent leurs agissements en travaillant pour elles, par confort bien souvent.
Remettre un peu de sens au centre de la vie de chacun en permettant réellement de choisir son travail, voilà qui peut donc faire la différence.
Finalement, le revenu de vie permet simplement aux citoyens d’avoir davantage le choix. Feront-ils le choix de la simplicité volontaire et de la décroissance ? J’ai l’intuition que oui. Mais seule l’expérience du revenu universel saurait le démontrer. Si les idées de la décroissance sont suffisamment fortes, alors oui, un plus grand nombre de gens adopteront potentiellement un mode de vie plus sobre, moins gaspilleur. Mais il est important que le scénario contraire demeure une possibilité. Si ça se trouve, les décroissants se plantent complètement ! Et ça ne serait pas forcément grave : peut être que nous trouverons d’ici là d’autres moyens de gérer les ressources.
Dans un contexte de déclin économique, et d’apocalypse financière en vue, il est temps de libérer les Hommes avant que la dictature des marché ne se mette en place. Et ainsi redonner aux citoyens le contrôle sur leurs destinées.
Seule une société libre peut décider ce qui est bon pour elle, et c’est pourquoi le revenu de vie est infiniment plus important que la non moins séduisante voie de la décroissance.
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