Vaches à hublot : un raccourci vers l’expérimentation animale en général

par Boris Gourevitch
mardi 2 juillet 2019

La nouvelle enquête de l'association L214 à propos de l'existence de "vaches à hublot" révèle, à mon sens, plusieurs faiblesses de notre débat sociétal et pose des problèmes fondamentaux pour notre avenir. Essayons ici d'en examiner quelques-uns le plus objectivement possible. Désolé, c’est un peu long mais le sujet est complexe.

Rappelons tout d'abord brièvement les faits : dans une vidéo devenue virale, l'association dénonce l'utilisation et la maltraitance de plusieurs espèces (poules, lapins, vaches) à des fins de productivisme dans l'usine de recherche de la ferme de Souches, ce qui est, selon eux, incompatible avec deux grands textes de l'article L214 du code rural (d'où le nom de l'association). L'article L214-1 indique en effet que "tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce" ; l'article L214-3 indique, lui qu' "il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. [...] les expériences biologiques médicales et scientifiques [..] doivent être limitées aux cas de stricte nécessité."

Bien que le gavage de poulets incapables de se déplacer et l'exiguïté des cages de lapins soient dénoncés dans la vidéo, ce qui a particulièrement choqué l'opinion publique est la "nouveauté" concernant l'existence de "hublots" installés sur le flanc des vaches et donnant accès directement à l'intérieur d'une des poches de leur estomac. Ces hublots servent au personnel à recueillir directement le contenu de l'estomac et à y injecter divers aliments afin de mesurer leur effet sur la digestion des bovins.

Pour ma part, j'ai toujours respecté le travail de L214 qui a tout à fait raison de dénoncer les conditions inacceptables de la condition des animaux dans certains abattoirs. Ici encore, L214 touche juste en dénonçant la seule fin de productivisme de ces expérimentations, même si la forme est discutable[i]. Cette vidéo révèle cependant dans quelle direction souffle le vent de l'histoire et il y a lieu d'être un peu inquiet.

Sur le fond, en fait, que cherche L214 ? A l'origine, arrêter la souffrance animale principalement par le biais du véganisme comme ils l'indiquent eux-mêmes. Ce qui implique évidemment la fin de la consommation de viande mais aussi du productivisme effréné lié aux produits d'animaux (oeufs, lait etc...). Comme dans le cas des abattoirs, il s'agit de se focaliser sur une situation abusive pour dénoncer finalement tout le système. Sauf que dans cette nouvelle vidéo, L214 se rapproche de l'expérimentation animale, ce qui a une portée bien différente. On pourra discuter encore longtemps du véganisme en général, dont je ne suis ni un défenseur ni un pourfendeur par ailleurs, mais il implique principalement : 1) des changements d'habitudes qui ne sont pas insurmontables et sont des choix individuels, au moins actuellement ; 2) de potentielles améliorations objectives d'un point de vue écologique. Autrement dit, rien de véritablement négatif pour l'espèce humaine et la planète. Les choses sont bien plus complexes concernant l'expérimentation animale dont l'objectif premier est d'améliorer les conditions de vie humaines et animales.

Un des arguments fondamentaux de L214 est que la recherche concernant les vaches à hublot ne rejoint pas la "stricte nécessité" indiquée dans le code rural concernant l'expérimentation animale. Ils ont raison. Mais c'est un peu hypocrite car L214 n'est réellement favorable à aucune expérimentation sous quelque nécessité que ce soit sauf qu’ils ne le disent pas explicitement (car ils savent que l’opinion n’est pas encore en leur faveur), seulement sur leur page de présentation via un formulation vague : "revendiquer l’arrêt de la consommation des animaux et des autres pratiques qui leur nuisent". Et la "stricte nécessité" est aussi un argument spécieux. La faiblesse de la loi est de balancer des termes dont l'interprétation ne peut que diviser. Qu'est-ce qu'une "stricte nécessité" ? L'association L214, qui est maline, ne veut pas le dire. J'aimerais bien pourtant, car personnellement, je ne le sais pas moi-même. Est-ce que la recherche sur la productivité des vaches est moins importante que la recherche sur le cancer ? Sans doute pour beaucoup de gens, mais ont-ils raison par ailleurs ? Qu'est-ce qui ressort actuellement et ressortira de ces deux types de recherches au final dans 50 ans ? Le savez-vous réellement ?

Je suis chercheur sur le cerveau, j'essaie de comprendre comment il arrive à interpréter les sons qui nous environnent et je travaille avec de petits rongeurs (les souris). Je prends soin des animaux avec lesquels je travaille, car sinon ils ne servent à rien, et mon travail est par ailleurs strictement encadré du point de vue législatif[ii]. Si l’on suit le raisonnement de L214 (la loi ou l’association) à l’extrême, de près, mon travail n'a aucune nécessité stricte, je n'ai sauvé personne dans ma vie directement grâce à lui, hélas. C’est pourquoi cette formulation de stricte nécessité est dangereuse pour toute la profession. Tout ce qui est vague, dans le monde sociétal et juridique, est soumis à interprétation et donc à la mode des lobbys, des idéologues, des politiciens ou de l’opinion publique, fussent-ils dans l’erreur. De loin, les implants cochléaires, par exemple, qui ont redonné l'audition à des millions de personnes dans le monde, et probablement évité des milliers de suicides (car la perte auditive est un facteur majeur de dépression), n'existeraient pas sans les travaux de mes prédécesseurs[iii]. La prochaine génération se servira peut-être de mes travaux, peut-être dans un tout autre domaine, peut-être pas. On ne peut pas facilement le savoir. Je crois pourtant que mon travail est utile, sincèrement.

Mais en tous les cas, les implants cochléaires sont-ils une stricte nécessité ? Posons la question, n’ayons pas peur. Mettons que, par exemple (mon chiffre est faux mais d'un ordre d'idée crédible), il aura fallu au total 100 000 rats, souris et autres rongeurs de laboratoire (et quelques chats et cochons) pour que l'implant cochléaire ait pu être mis au point depuis une soixantaine d'années et les travaux de von Békésy. Est-ce que le jeu en valait la chandelle ? Du point de vue d'un antispéciste, qui considère que l'homme n'est pas au-dessus de l'animal, certainement pas. Son point de vue peut se défendre, mais c'est toujours affaire de seuil : à partir de quand le sacrifice de 100 000 souris vaut-il la peine pour améliorer la vie ou même sauver la vie d'un seul être humain ? de 1000 êtres humains ? Chacun a sa réponse. Et si cela touche votre propre fille ? La réponse est encore différente, même pour l'antispéciste. Prenez un papa de ma crèche, qui se baladait avec un sac de toile estampillé "stop à l'expérimentation animale !". Bien sûr, je n'ai pas eu le courage de lui dire que son fils, qui a un asthme sévère, serait probablement décédé en bas âge sans les expérimentations animales ayant permis de valider les médicaments bronchodilatateurs qu'il voit comme un acquis naturel de la science. Ce sont des débats difficiles, que l'on n'a pas envie de mener le matin en emmenant son gamin. L'histoire et les individus ont du mal à juger l'absence de drame. On débattra éternellement du nombre effroyable de morts à Hiroshima et on ne saura jamais vraiment le nombre de ceux qui ne sont pas morts grâce à la bombe. Il en va de même pour la recherche médicale. Ce papa était résolument anti-vaccin, je dirais presque logiquement, et avait réussi à contourner l'obligation de vaccination pour les enfants de crèche. Impossible de lui exhiber les risques pour les autres enfants ou les millions de vies sauvées par les vaccins, qui sont invisibles face à l'asthme de son fils qu'il croyait, à tort ou à raison, une conséquence d'un vaccin post-natal.

Les antispécistes ont aussi leurs paradoxes. Pleurent-ils en écrasant un moustique ? Non, bien sûr, pourtant celui-ci a également un système nerveux et donc potentiellement des récepteurs à la douleur. Et si la recherche était faite sur des mouches plutôt que des vaches ? La mouche à hublot déclencherait-elle une tempête médiatique ? On peut en douter. On touche là aussi aux limites d'une idéologie qui refuserait que l'on touche à un animal domestique et gros, de la taille de l'humain pour tout dire, mais qui tolèrerait l'utilisation des autres plus petits, quand bien même ils auraient théoriquement les mêmes "droits". Le philosophe Frey (1925–2012) pensait que l'expérimentation sur des animaux devait certes être considérée d'un point de vue moral, mais que l'intérêt et la valeur de chaque espèce était fonction de sa complexité, de sa "richesse" et de ses aspirations collectives et que l'homme était de ce point de vue au sommet du monde animal et le seul à avoir conscience d'un désir collectif. On observera en effet que pour les humains et même pour les jaïnistes, les plus gros animaux sont toujours considérés comme supérieurs. Ce qui divise les gens, notamment spécistes et antispécistes est davantage la "supériorité" des humains sur les plus gros animaux. Il faut d'ailleurs noter qu'en France, les expérimentations sur les chats et les primates se raréfient considérablement, tandis que celles sur les rongeurs restent assez stables. Enfin, la promiscuité à l'homme (animal domestique ou non) joue également dans le jugement moral sur ce que l’on peut faire à une espèce donnée (pensez à la simple consommation de viande de cheval ou de chien), même s'il y a eu nombre de mobilisations internationales envers les animaux sauvages comme les baleines et phoques par exemple, hors expérimentation animale d'ailleurs.

A ce stade, afin de ne pas jeter l’expérimentation animale toute entière avec l’eau du bain des vaches à hulot, il faut déjà rappeler de manière non exhaustive quelques découvertes et progrès qui en sont issus (chercheur, espèce, date) :

sans compter la recherche sur des maladies spécifiquement animales ou partagées avec l'homme (fièvre aphteuse, langue bleue du mouton, maladie de la vache folle, leishmaniose, maladie de Schmallenberg). Enfin, de nombreuses recherches en cours utilisent des modèles animaux avec ou sans modifications de gènes, qui reproduisent certaines caractéristiques des pathologies humaines, par exemple sur la maladie d'Alzheimer, l'autisme, le cancer, le chikungunya, la dengue, le diabète, la grippe, la mucovicidose et la tuberculose.

Notez que tous ces exemples et réussites affaiblissent l'argument souvent utilisé par les militants anti-expérimentation animale sur le fait que les animaux seraient de mauvais modèles pour l'homme. Tout n'est pas blanc ou noir de toutes manières. Un mammifère comme la souris n'est pas comparable à l'homme en termes de poids et donc de doses médicamenteuses ou de taille des organes mais il partage entre 90% et 99% de gènes communs ou équivalents (selon la manière de compter) avec l'homme et, qu'on le veuille ou non, une grande part des pathologies a une origine génétique. Par exemple, de nombreux gènes de surdité humaine identifiés dans le laboratoire où je travaille donnent des troubles auditifs similaires lorsqu'on les modifie chez la souris. On peut alors étudier leurs mécanismes moléculaires et mettre au point de prometteuses pistes de thérapie génique.

Ce qui m'a en fait poussé à écrire cet article est une des premières interviews suivant la dépêche AFP associée à la vidéo de L214. Il s'agit du porte-parole de la fondation Brigitte Bardot, à qui je fais donc une publicité malvenue, qui généralise le problème des vaches à hublot à toute l’expérimentation animale et énonce plusieurs contre-vérités sans, évidemment, jamais être repris par la journaliste qui ne maîtrise naturellement pas un sujet aussi technique. C’était le risque (volontaire et non assumé) de la démarche de L214… Petit florilège : "les protocoles d’expérience doivent être soumis à des comités d’éthique [...] qui n’ont pas toujours compétence à remettre en cause ce qui leur est présenté". Ben si, justement. Cela nous arrive souvent. D'autant plus que le ministère veille derrière puisqu'il a le dernier mot pour autoriser l'expérimentation. Autre chose : "Il y a bien des contrôles vétérinaires, mais pas sur les expérimentations en elles-mêmes". En fait, les vétérinaires passent dans les animaleries vérifier que chaque animal est associé à un projet, et peuvent débarquer à l'improviste pour vérifier qu'une expérimentation est faite selon le protocole exposé. Si ce monsieur veut dire qu'il n'y a pas un vétérinaire dans le dos de chaque chercheur pour chaque manip, il a raison, mais il faudra y mettre quelques millions d'euros et quelques milliers de vétérinaires qui n'existent de toutes façons pas. Mais dans ce cas, la question pertinente devient plutôt : quelle est la proportion d'abus qui seraient réellement découverts et punis ? Le faible nombre de vidéos de L214, pourtant très actifs, relatives à l'expérimentation animale ne plaide pas vraiment en sa faveur. Rappelons ici que même si on le désapprouve, les vaches à hublot participent au processus d’autorisation expérimentaleii et ont donc été maintes fois validées par des chercheurs et vétérinaires (qui sont objectivement les personnes connaissant le mieux le sujet) et soutenues jusqu'au ministère. La question n’est pas légale ici, mais morale. D'ailleurs, Brune Poirson, la secrétaire d’Etat à la Transition écologique, a bien été obligée de monter au créneau dès le 21 juin pour l'admettre.

Un des grands mythes du débat actuel se trouve également dans cette interview (décidément) : "Il faut que les prochains chercheurs puissent refuser de recourir aux animaux de telle manière qu’on puisse mettre à leur disposition d’autres procédés et méthodes alternatives. Leurs professeurs ont été formés sur le modèle animal et n’ont pas du tout envie de remettre en cause leur formation et leur savoir". Ce qui suggère qu'il existe des méthodes alternatives aux tests sur les animaux mais que les chercheurs sont trop abrutis pour s'en rendre compte et feraient bien d'écouter la fondation Bardot. Trois fois hélas, c'est complètement faux. Pour faire prendre conscience de la complexité effroyable de la biologie mais en même temps du niveau incroyable de connaissances auquel nous sommes arrivés, regardez juste ce schéma d'une cellule dans le cancer de la prostate :

 

(A representation for molecular mechanisms of androgen independence in prostate cancers, source)

Comment croyez-vous que nous sommes arrivés à un tel niveau de connaissances sur chaque molécule indiquée par un nom barbare ? Avec juste des incantations ou quelques cellules humaines ? Non, évidemment c'est le fruit de 100 ans de recherche qui inclut bon nombre d'expérimentations animales.

Et même si l'on arrive à faire des cultures cellulaires, on ne peut évidemment reproduire un organe entier et surtout son interaction (circulation sanguine) avec le corps. Même si de nombreux livres et articles nous promettent des possibilités informatiques permettant de remplacer tous les organes de l'humain jusqu'au cerveau, on en est très très très loin. On n'est actuellement pas capables de simuler correctement le fonctionnement d'une cellule avec ses milliers de molécules, alors ses milliers d'interactions avec les cellules environnantes, pensez... Notez que l'espoir est permis : il est tout à fait possible que l'on se rapproche d'un objectif sans animaux dans 30, 50, 100 ans et de nombreux progrès sont effectués dans ce sens, comme aime justement à le rappeler PETA par exemple. Mais ce n'est certainement pas pour tout de suite et pas plus dans 10 ans. Cet énergumène induit les étudiants en erreur, tout simplement parce qu'il n'y connait absolument rien. Il est toujours inquiétant de laisser la parole à ces seules personnes.

Un autre aspect de son réquisitoire concerne "le côté imperméable de ce qui se passe dans les laboratoires et l’impossibilité d’ouverture". Ce dernier point traduira mal le fait que les chercheurs ont parfaitement accepté et intégré ces dix dernières années de soumettre tous leurs travaux à validation préalable d'un comité d'éthique sans aucune protestation de la profession. Il est pourtant vrai qu'une certaine opacité médiatique entoure l'expérimentation animale. Je suis de ceux, naïfs sans doute me dira-t-on, qui pensent au contraire qu'il faudrait en parler car ce que nous faisons traduit sincèrement la croyance de l'immense majorité des chercheurs en un progrès scientifique au service de l'humain et de la planète. Mais la cause de l'opacité n'est pas une mauvaise volonté. C'est une peur. Peur des objecteurs de conscience, justement, pour lesquels l'argument moral sera toujours supérieur à un quelconque argument scientifique. Peur de la violence qui pourrait découler de quelques fanatiques. Pour traduire ce sentiment, deux exemples concrets : lors de mon post-doc au Canada, mon chef, pourtant un chercheur connu dans le monde entier dans son domaine, ne disait jamais qu'il travaillait avec des animaux lors de cocktails dinatoires. Pas question de prendre un risque sans connaître la sensibilité de ses interlocuteurs. Autre exemple, il y a quatre ans, une journaliste s'intéressant aux environnements bruyants, dont je suis un spécialiste, voulait filmer des cochons d'inde de notre laboratoire en présence de bruit pour voir leur réaction. L'administration, après un tentaculaire circuit d'autorisations, a accepté à la condition non négociable qu'on ne filme que des murs blancs pour éviter que l'on puisse identifier le bâtiment ou la pièce de mon équipe. La peur au ventre vous dis-je. Est-ce justifié ? Devrait-on, avoir honte ? Ce que l'on fait est-il inacceptable ? La question mérite d'être posée, comme j’ai essayé de le faire dans cet article, mais attention à la remise en cause de tout un système de progrès scientifique.

On le voit, les apports de l'expérimentation animale sont indéniables d'un point de vue historique et il est bien difficile de faire apprécier au grand public le monde très différent peuplé de mortalité infantile, de grandes épidémies et de faible espérance de vie dans lequel il vivrait sans celle-ci. Pour autant, la science progresse en direction d'une utilisation a minima des animaux mais leur disparition totale reste un leurre à l'échelle des toutes prochaines années. L214 va trop vite en besogne en voulant monter le grand public contre l'expérimentation animale à l’aide de quelques abus, la science n'est pas prête. Même si, au fond, ils ne critiquent que l'utilisation de vaches à hublot, le risque est grand qu'un changement de législation éventuelle (puisque l'utilisation de vaches à hublot est légale) retombe in fine sur toute l'expérimentation animale. Après avoir éradiqué 80% des animaux de la planète en seulement 20000 ans, l'homme se découvre depuis 20 ans une morale pour sauver des souris nées spécifiquement pour l'expérimentation à des fins de progrès médical ou industriel. Il faut sans doute accepter les paradoxes de l'humain et la direction que prend le vent de l'histoire, mais il est nécessaire pour l'instant d'en rester au compromis actuel. On a beau jeu de critiquer perpétuellement les experts, mais au fond qui peut juger mieux qu'eux un projet de recherche ? Quels critères appliqueriez-vous ? Et pourquoi ?

Notes :

Pour un historique passionnant et instructif de l'expérimentation animale, voir ici.

 

[i] Sur la forme, on pourra encore une fois déplorer l'emballement médiatique principalement dû à la force de l'image. Certains articles pointent justement la redécouverte perpétuelle des vaches à hublot, qui existent depuis longtemps, mais l'opinion trouvera cela très abstrait tant que l'on n'a pas filmé en gros plan ces animaux, en mettant bien en valeur la saleté des plaies. On sait combien l'image est forte émotionnellement mais aussi vicieuse car le montage, la manipulation ou même le trucage peuvent être fréquents. Ici, les images sont réelles mais le montage est évidemment à charge sans aucune voix discordante des principaux protagonistes ou d'experts. Cette absence de volonté de L214 de débattre, ce simple processus de "name and shame" à l'anglo-saxonne est peut-être utile et spectaculaire mais reste gênant d'un point de vue journalistique et scientifique[i]. Leur dossier, bien qu'uniquement à charge, est par ailleurs très bien réalisé, mais il sera largement ignoré par le grand public avide d'un message simplifié et spectaculaire.

D’autre part, même si ce n'est pas l'objet de cet article, notons malicieusement que les vidéos mises en ligne par l'association L214 n'obtiennent pas toutes les mêmes retombées médiatiques. Par exemple, elle a plusieurs fois dénoncé (ici, ou encore ici) les conditions de mise à mort lors de l'abattage rituel (rite musulman ou juif principalement). L'association n'a cure des traditions religieuses d'abattage, puisqu'elle a été fondée par des militants végétariens. Selon leur logique, il est probable que cela les choque d'ailleurs encore plus puisque l'abattage rituel est une pratique dérogatoire du fameux article R214 du code rural, justement. Le silence assourdissant des grands médias (mêmes conservateurs) concernant ces vidéos laisse cependant deviner leur embarras dès qu'il s'agit de débattre de traditions religieuses.

 

[ii] Le processus permettant de procéder à l'expérimentation animale est très encadré depuis une trentaine d'années (directive européenne de 2010, article du code rural R214 de 2013) et s'applique aussi bien à la recherche publique qu'aux entreprises, le plus souvent du domaine pharmaceutique. Ce processus n'est pas très connu du grand public et mérite qu'on s'y arrête plutôt que de disserter sans savoir. En résumé, il s'agit d'écrire une demande de plusieurs dizaines de pages incluant au minimum les éléments suivants :

  • justification de l'utilité de l'expérimentation au regard de la question scientifique posée ;
  • estimation du nombre d'animaux requis ;
  • description de chacune des étapes de l'expérimentation et chaque geste réalisé sur les animaux ;
  • justification de l'application des grands principes de l'expérimentation animale (règle des 3R) : Réduire (le nombre d'animaux au minimum), Raffiner (minimiser la douleur) ; Remplacer (utiliser des alternatives aux animaux dès que possible).

Cette demande est examinée par un "comité d'éthique local" (il en existe plusieurs dans chaque région) composé de chercheurs et vétérinaires, qui vont pouvoir rejeter, amender, valider le projet et imposer n'importe quelle modification qui améliorerait la condition animale. Si la demande est validée (après plusieurs mois...), le projet est envoyé au ministère de la Recherche, où l'obtention du sésame officiel (un numéro d'autorisation) demandera encore plusieurs mois. Théoriquement, il n'est pas permis de commencer une expérimentation sans avoir ce précieux numéro. En pratique, on tolère souvent quelques expérimentations préliminaires car comment savoir sinon l’intérêt scientifique et la faisabilité du projet ? N'importe quelle idée, même géniale, que vous voudriez tester au plus vite est ainsi relue par des experts puis par le ministère au terme d'environ une année de formulaires. Cela paraît logique quand on l'écrit ainsi, mais il suffit d'en avoir déjà rempli pour mesurer l'absolu manque de confiance envers les chercheurs en général, qui peuvent parfois se sentir horripilés d'être ensuite caricaturés.

 

[iii] je laisse ici volontairement de côté les discussions difficiles au sein même de la communauté des sourds/malentendants sur l'opportunité d'une implantation par rapport à l'utilisation de la langue des signes. Ce sont des choix très délicats.


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