Vasectomie contraceptive, un droit non respecté

par Axel S.
lundi 7 mars 2016

J'ai 28 ans, et voici 15 ans que ma décision est prise de ne pas avoir d'enfants biologiques. Je veux donc avoir recours à une vasectomie.

Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais vu l'intérêt à procréer, cela ne m'a jamais intéressé. Adolescent, j’étais déjà persuadé que je ne saurais pas m'y prendre pour permettre à enfant de s'autonomiser et de vivre dans notre monde. C'est une tâche lourde de responsabilité « d'éduquer », et une démarche non dénuée de prétention que de penser savoir comment donner les armes nécessaires pour surmonter les obstacles de la vie. D’ailleurs , je n'ai jamais eu envie de l’apprendre.

 

Considérations éthiques

Les années passèrent et nombreuses sont les raisons qui sont venues étayer ma réflexion et confirmer mon sentiment. Ma prise de conscience quant à la double problématique du réchauffement climatique et du tarissement des réserves d'énergies fossiles m'a fait apparaître rapidement que le fait de procréer était une erreur. Nous n'avons pas le loisir de choisir le levier sur lequel nous souhaitons tirer, à savoir celui de la consommation et de la production ou celui du dénatalisme. Nous devons jouer sur le maximum de plans simultanément et espérer réduire un peu la violence sociale et environnementale induite par la crise écologique à venir.

Loin d'une analyse environnementaliste basée sur les courbes de progression de la population, l'équation de Kaya m’a convaincu qu'il n'est pas suffisant de s'appliquer à s'attaquer à la consommation/production, représentée par le PIB.

Cette approche permet de prendre conscience que l'augmentation des gaz à effet de serre dépendent aussi bien de la population que du PIB (soit la production matérielle) et de l'efficacité énergétique (niveau technologie). Faire baisser l'un de ces facteurs sans toucher aux autres ne fera pas baisser le taux de gaz à effet de serre à moins de tomber dans un idéalisme benêt, loin des réalités physiques et de l'expérience qui se déroule sous nos yeux.

Réduire la consommation/production tout en laissant la population augmenter ne peut que repousser l'effort à consentir. Qui plus est, précisons qu'en tant qu'habitant-e-s privilégié-e-s des pays d'Europe et d'Amérique du Nord, nous avons une plus importante responsabilité dans l'empreinte écologique de la population mondiale. C'est à nous qu'il incombe de nous serrer la ceinture en premier et le plus fort. 1) Notre empreinte écologique est la plus importante, 2) notre mode de vie se répand comme un idéal qui est envié par d'autres théorie de la classe de loisir de Veblen) 3) les riches détruisent la planète (cf Hervé Kempf - comment les riches détruisent la planète).

L'empreinte écologique d'un-e français-e est sept fois supérieure à celle d'un-e indien-ne. Il est simplement indécent de tenter de renvoyer dos à dos les habitant-e-s de différents pays en faisant abstraction des réalités historiques et économiques.

Au final, dans un pays comme les États-Unis, chaque enfant mis au monde a un bilan carbone vingt fois supérieur à l'ensemble de ce qu'on pourrait économiser en changeant nos habitudes personnelles durant notre envie entière.

Outre une vision d'ordre mondiale de la question de la natalité, je considère également un risque significatif directement pour l'enfant, lié à l'incertitude de l'avenir sur de nombreux plans notamment, environnementaux, économiques et géopolitiques.

 

Considérations personnelles

A un niveau plus individuel, mon idéal de vie est clairement éloigné de l'idée de faire carrière, du sédentarisme, et de la routine d'une vie bien dans les clous ou d'un quotidien ordonné et tracé d'avance. J'aime garder une importante liberté et de mobilité. Et parfois, je voyage, lentement mais longuement en ne prévoyant pas mon retour ni mes destinations. Je ne considère pas mon mode de vie comme compatible avec la parentalité.

Enfin, pour enterrer un peu plus la dernière hésitation qui pourrait poindre, j’entends peu de motivations à faire des enfants qui ne me soient pas apparues comme nombrilistes, instrumentalisantes des enfants, voire carrément égoïstes comme ce sondage le confirme.

La seule de ces raisons qui me paraît orientée vers l'individu-e dont il est avant-tout question est de faire lui faire le cadeau de la vie. Cela ne sonne pas à mes oreilles comme quelque chose de très convaincant dans le sens où un cadeau, ça doit pouvoir se refuser.

Lorsqu'il s'agit de « créer » un-e individu-e, il paraît en effet évident que les considérations motivant cette prise de décision ne peuvent qu'être irréfléchies, conditionnées ou égocentrées, les intérêts inexistants de l'individu-e ne pouvant pas entrer en ligne de compte au moment de l'acte ou de la prise de décision. Ma balance décisionnelle n'a donc jamais daigné se redresser d'un iota face aux arguments natalistes. Je ne trouve pas non plus que faire des enfants pour rendre le monde meilleur via une éducation supposée progressiste soit une approche humainement éthique. Les enfants n'ont pas besoin qu'on projette sur eux/elles nos attentes en termes éthiques, économiques ou sociaux. Elles/ils ne sont ni des outils militants ni une armée de réserve de travailleur/euse-s, qui redresseront l'économie en trimant sans rechigner « pour la nation ». De plus, les enfants ne nous appartiennent pas et peuvent très bien changer d'avis et choisir d'autres voies plus tard.

Dernier argument et non des moindres, un enfant coûte cher. Selon les calculs d'un économiste, le coût s'élèverait à 29 700 € par an à l'ensemble de la société dont 11 700€ de travail parental et domestique et 9 000 € de dépenses de biens et services.

Je suis childfree, c'est à dire que j'ai choisi de ne pas avoir d'enfant.

C'est pourquoi je souhaite une vasectomie.

 

La loi sur la stérilisation volontaire

L'article 26 de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 stipule que toute personne majeure est en droit de demander une stérilisation contraceptive. Les demandeur/se-s sont soumis-e-s à un délai de réflexion de 4 mois à partir de l'entretien préalable et à l'échéance duquel le/a demandeur/se confirme sa demande par écrit. A ce moment-là, le rendez-vous peut être pris pour l'opération. Seul la/e demandeuse/r doit donner son consentement, légalement donc le/a conjoint-e n'a pas mot dire et son consentement n'a pas à être exigé. C'est important de le préciser quand le couple est vu d'emblée comme une entité unique fusionnelle et se devant soutien et accord sur la moindre décision concernant un-e des individu-e-s le composant.

 

L'opération

L'opération consiste simplement à bloquer l'arrivée des spermatozoïdes à la verge en coupant ou obturant les canaux déférents. Le sperme devient stérile. L'acte ne prend pas plus d'une demi-heure et se pratique souvent sous anesthésie locale. La stérilité est effective trois mois après l'opération.

La vasectomie a une efficacité extrêmement élevée, plus élevée même que la stérilisation féminine bien que la différence ne soit probablement pas significative.

Elle n'a aucune incidence sur l'apparence physique, le fonctionnement psychologique, le désir, l'érection ou l'éjaculation. Un hématome peut apparaître durant les jours suivants et se résorbe rapidement.

La vasovasostomie consistant à réimperméabiliser les canaux est l'opération inverse. Elle n'est efficace qu'à de faibles pourcentages qui décroissent avec le temps passant après l'opération, autant dire que la vasectomie doit être considérée comme irréversible. Tant mieux, c'est le but.

Il est également possible de congeler son sperme avant l'opération, personnellement, ça ne correspond pas plus à ma démarche que de rester fertile.

 

La vasectomie contraceptive

Je considère également ma démarche comme proactive à plusieurs niveaux. Je pourrais tout à fait me contenter de gérer une contraception efficace pendant des dizaines d'années. Je préfère m'engager dans cette démarche et obtenir cette contraception définitive. Je préfère affirmer que la contraception est également une affaire d'hommes, ce qui est loin d'être une évidence quand on regarde à qui sont destinés les contraceptifs développés et qui se sent concerné-e-s par la question. Pour aller plus loin, la vasectomie pourrait même être préférable à la ligature des trompes ou essure car moins invasive.

Je préfère également participer à la réappropriation de nos propres corps. Je veux lutter contre des amalgames réactionnaires qui consistent à dévaloriser les personnes porteuses d'appareil génital masculin non fonctionnel, les assimilant à des individus « incomplets », « réduits ». Il est temps de remettre en question les rôles assignés contre leur gré aux individu-e-s et leur essentialisation. Je ne me définis pas par ma fertilité et je me fiche bien de savoir si cela porte atteinte à la virilité.

Parce qu'il est aussi fondamental de lutter contre le paternalisme du corps médical, particulièrement prégnant en France qui pensera mieux savoir que nous à quel âge on ne risque plus de changer d'avis, ou ce qu'est l'amour, ou si on a bien réfléchi aux décisions qui ne concernent que nous.

La vasectomie est encore connotée négativement en France, et malgré des tentatives timides de la faire connaître, elle reste anecdotique.

La réclamer, c'est également la banaliser, la faire connaître et briser certains tabous l'entourant.

En somme, c'est simplement la méthode contraceptive la plus simple, la moins chère et la plus durable qui soit. Voilà bien une préoccupation qui s'envolerait à jamais, et avec elle des tonnes de petits soucis potentiels et d'appréhension quant à la sexualité et aux « accidents » qui peuvent l'accompagner.

 

Et si je change d'avis ?

Je ne pense pas changer d'avis. Bien sûr, il est évident que je ne lis pas dans le marc de café. Je considère donc être rationnellement dans le vrai actuellement, la stérilisation volontaire est une sécurité qui m'évitera de revenir en arrière (ou très très difficilement). Bien évidemment si je reviens en arrière, ce sera probablement pour une des raisons citées plus haut c'est-à-dire pour lesquelles les gens font habituellement des enfants. Et ce serait donc une erreur. Les considérations éthiques valent plus que mon ego.

Cette démarche laisse dans tous les cas une porte ouverte sur l'adoption, des enfants qui existent et ont besoin d'un foyer. Cela me semble un choix nettement préférable. Bien que nombre de mes arguments rendent tout autant ce projet peu probable. Mais voici une perspective qui n'entre pas en conflit avec mes convictions les plus fondamentales.

Enfin, je ne considère pas que le couple puisse avoir une valeur suffisamment puissante pour annihiler mes intérêts personnels en vue d'un sacrifice pour lui. C'est pourquoi il me semble que mon corps ne regarde que moi et que je ne me sens absolument pas obligé de justifier ou être en attente de soutien d'un-e éventuel-le partenaire.

Il est intéressant de noter que le risque de changer d'avis après vasectomie est surestimé car seuls 2 à 6% des hommes pourraient vouloir procréer après opération.

 

Dans le monde

Quelques centaines d'opérations effectuées chaque année, la France est à la traîne. Des pays ou provinces comme la Chine (14% des hommes y ayant eu recours), les États-Unis (13%), le Royaume-Uni (21%), le Québec, la Belgique et d'autres facilitent bien plus le recours à la vasectomie.

A tel point que ça en prend parfois une forme assez cocasse tellement c'est banal.

 

Ma démarche

Je me souviens avoir décidé de parler d'une stérilisation contraceptive avec mon médecin généraliste en 2009, j'avais à l'époque 22 ans. Finalement, je me suis dégonflé et n'ai pas osé affronter le représentant du corps médical. J'ai ensuite mis plusieurs années à remettre cette question dans mes préoccupations prioritaires.

Courant 2012, je me replonge dans mes recherches. J'avais eu vent du fait qu'il était compliqué d'obtenir l'opération en France avec un profil de type jeune homme sans enfant. Rapidement, je tombe sur le MLSV, Mouvement libre pour la stérilisation volontaire, qui à une époque rassemblait et diffusait de l'information sur les méthodes de stérilisation volontaire. Le blog Vasectomie en France était également une mine d'informations.

Cela m'a permis de m'informer sur l'opération, et m'a particulièrement aidé à appréhender le genre de réflexions auxquelles je risquais de me retrouver confronté.

Septembre 2013, je décide de prendre un premier rendez-vous dans un hôpital public parisien, je savais seulement que l'urologue que je consulterai pratiquait la vasectomie sans savoir s'il avait des critères personnels précis pour la refuser. Il n'est pas possible d'obtenir plus d'informations par téléphone en amont. Après une rapide formulation de ma demande et de mes motivations pour la soutenir, la réponse tombe, abruptement. Il ne m'opérera pas. Je suis trop jeune, je n'ai pas d'enfant, et je pourrais le regretter voire l'attaquer en justice pour cela. Absurde, justification malhonnête, aucune condamnation n'a jamais été posée en France suite à une plainte pour regret depuis le passage de la loi en 2001. Et non docteur, il ne serait pas « dommage » que je ne n'enfante pas. Et votre ton paternaliste appelant une interne présente à prendre partie en votre faveur n'y changera rien.

Dans « les enjeux de la stérilisation » (Alain Giami et Henri Leridon, 2000), on apprend que la seule condamnation relative à la vasectomie date d'il y a 70 ans, suite à l'arrêt des « stérilisateurs de Bordeaux » de la Chambre criminelle de la cour de cassation. Cette condamnation concernait des non médecins et considérait que pratiquer la vasectomie sur des hommes, même consentants portait atteinte à l'intégrité corporelle et constituait un délit de coups et blessures volontaires. L'acte aurait dû être thérapeutique pour être qualifié de légitime à l'époque.

Ma seconde tentative date d'octobre 2015. Je me suis orienté vers un chirurgien urologue d'un hôpital privé de banlieue parisienne que j'ai trouvé sur une liste d'urologues pratiquant la vasectomie et considérés plus ouverts que la moyenne. Décidé, j'y retournais, argumentation préparée et attestation de ma première demande en main. Le ton fut peu différent que lors de la première consultation. Les premières questions posées sont strictement les mêmes « quel est votre âge ? », « avez-vous eu des enfants ? ». Après avoir mis en avant la « gravité » d'une telle décision, et de m'avoir précisé qu'il craignait que je puisse porter plainte pour une grossesse non désirée le cas échéant (efficacité vasectomie : 99,8%), le doc m'avoue qu'il n'aime pas dire non à ses patient-e-s. A tel point qu'il a décidé de prendre sa décision finale avec le concours de collègues, et a missionné son secrétariat de me donner sa réponse négative une semaine plus tard par téléphone. Pratique pour ne pas avoir à rendre de compte.

 

Un parti pris idéologique liberticide

Il y a un grave tabou entourant la stérilité choisie en France actuellement. L'argument de l’irréversibilité ne tient pas une seconde quand on le rapproche d'autres actes tout autant définitifs et qui ont parfois des conséquences importantes sur le quotidien, à commencer par celui de faire des enfants. Mais il y a un choix idéologique collectif clairement orienté qui est fait et dont on ne peut pas s'écarter. La natalité est valorisée et valorisante, la fertilité est l'essence de la masculinité, l'individu-e se réalise seulement dans la famille nucléaire biologique, et seul-e-s les expert-e-s savent vraiment ce dont on a besoin, c'est comme ça, c'est la « nature ».

La semence de vie doit le rester sous peine d'être démythifiée.

Autant d'idées préconçues et de carcans contre lesquels il faut lutter pour construire son identité propre.


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