Videosurveillance : un vrai-faux rapport qui ne prouve rien
par jet
samedi 10 octobre 2009
En juillet 2009, un trio de haut fonctionnaires a rendu un rapport commandé moins de six mois plus tôt par le gouvernement : « Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection ». Dans l’ordre de mission, il y avait déjà les conclusions auxquelles devaient aboutir la commission. Flagrant délit de maquillage de preuves avec préméditation ?
Les études d’impact sur la portée réelle et qualitative sur les caméras de surveillance déployées sur la voie publique font défaut depuis des années en France. Au Royaume-Uni, champion du monde, les seules études menée avec des méthodologies éprouvées montrent justement une très faible influence de la surveillance vidéo — la "vidéoprotection", comme la novlangue gouvernementale nous incite à la nommer — sur la réduction des crimes.
- L’analyse des statistiques de la délinquance montre un impact significatif de la vidéoprotection en matière de prévention puisque le nombre de faits constatés baisse plus rapidement dans des villes équipées de vidéoprotection que dans celles où aucun dispositif n’est installé.
- L’effet majeur porte sur la prévention des agressions contre les personnes qui sont celles auxquelles la population est la plus sensible, prévention efficace sous réserve qu’une densité de caméras suffisante eût été installée.
- Le déplacement de la délinquance des zones vidéoprotégées vers celles qui ne le sont pas est faible, les dispositifs de vidéoprotection ayant un effet bénéfique sur un périmètre plus large que celui des seules zones équipées.
-
La vidéoprotection (...) joue un rôle de plus en plus important dans les missions de sécurité. (Elle participe) de façon active à la coproduction de sécurité, elle est devenue un maillon de la chaîne sécuritaire qui monte en puissance, d’autant plus que(...) les perspectives technologiques d’avenir sont prometteuses (systèmes divers de vidéo intelligente).
- (...) La vidéoprotection est perçue comme un élément sécurisant pour les policiers en intervention car elle contribue à leur protection.
La vidéosurveillance a montré son « efficacité en matière de prévention de la délinquance » affirme un récent rapport du ministère de l’Intérieur. On ne peut que se réjouir qu’il y ait enfin, en France, une tentative de mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance. Malheureusement, dans ce rapport, qui visait à évaluer l’efficacité de cet outil et à apporter des « arguments propres à soutenir l’adhésion » des collectivités locales, rien ne permet de conclure à l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance. (...) La conclusion des auteurs selon laquelle « le taux d’élucidation progresse plus vite dans les villes qui disposent de la densité de caméras la plus élevée » est infondée. Au terme de la lecture de ce rapport, force est donc de conclure que l’efficacité préventive de la vidéosurveillance est bien mince et son aide à l’élucidation marginale. Ceux qui affirment le contraire n’ont pour l’instant pas de preuves solides pour le démontrer.
Il semble tout simplement y avoir un gros soucis de méthodologie dans le travail des inspecteurs de l’administration !
[Le rapport] s’appuie sur une analyse comparative entre les chiffres globaux de la délinquance de l’ensemble des villes équipées avec toutes celles qui ne le sont pas. Le principal écueil d’une telle approche est qu’elle ne permet pas de limiter l’impact d’autres variables et d’en mesurer les effets sur la délinquance. Comme le rappellent les études évaluatives étrangères, notamment celles du Home Office (ministère de l’Intérieur anglais), quelques règles méthodologiques élémentaires doivent être respectées pour conduire ce type de travaux.
- La première est de s’appuyer sur des études de cas contextualisées afin d’isoler l’effet propre à la vidéosurveillance au regard d’autres variables telles que l’amélioration de l’éclairage public, le renforcement des effectifs policiers ou encore un changement de leurs modes d’action.- La seconde est de tenir compte des différents types de lieux où sont implantées les caméras : parkings, rues, quartiers d’habitat social, lycées, etc. On sait notamment que la vidéosurveillance est susceptible d’avoir une efficacité dissuasive dans les parkings, mais qu’elle n’en a quasiment aucune dans les rues.- La troisième est de s’intéresser aux différents types de délits et de se garder de toute présentation en termes de pourcentages globaux qui ne permet pas de rendre compte de la réalité d’un phénomène. Or, les auteurs du rapport présentent systématiquement les chiffres sous forme de pourcentage sans les valeurs absolues. De plus, ils « mesurent » l’impact de la vidéosurveillance en s’appuyant sur les chiffres de la délinquance générale enregistrée. Or celle-ci recouvre des délits si divers qu’il est difficile d’en tirer un quelconque enseignement (...)Faute de respecter ces règles méthodologiques, il est impossible d’inférer une éventuelle baisse d’un type de délinquance de la seule présence d’un système de vidéosurveillance. C’est pourtant le tour de force auquel se livrent les auteurs du rapport imputant mécaniquement toute baisse de la délinquance à l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance au risque d’en tirer d’étonnantes conclusions. Ainsi, ils affirment que la vidéosurveillance a permis de contenir les atteintes aux personnes, constatant dans les villes qui en sont équipées une plus faible augmentation de ce type de délit.Ce résultat est remarquable d’autant plus qu’il contredit ceux auxquels sont parvenus les quelques quarante études réalisées à l’étranger depuis une quinzaine d’années… (...) Les études étrangères montrent que la vidéosurveillance, si elle est bien gérée, a tendance à en faire augmenter leur nombre dans les statistiques policières. Les auteurs de ce type de faits ne cherchant pas à se cacher, ces faits qui pouvaient passés inaperçus auparavant sont un peu mieux repérés. Si la vidéosurveillance n’a pas d’effet inhibiteur sur les atteintes aux personnes, leur baisse peut donc révéler en réalité l’inefficacité du dispositif.
Malgré un travail important des services de police et de gendarmerie pour permettre à la mission de réaliser cette étude, force est de constater que les outils d’évaluation mis en place localement sont encore trop parcellaires. Or ils sont indispensables, moins pour mesurer la rentabilité d’un investissement public, que pour permettre l’adaptation future des dispositifs de vidéoprotection et l’évolution de l’action des services de police et de gendarmerie face à une délinquance mobile et réactive qui s’adapte très vite et s’organise pour contourner les obstacles qu’elle rencontre.