Viol : à quand un changement des mentalités ?

par B. R.
vendredi 28 juillet 2006

Une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie (OMS, 1997). En France, 4 800 femmes sont violées chaque année, selon l’ENVEFF (Enquête Nationale sur les Violences Faites aux Femmes, 2000, menée sur les femmes de 20 à 59 ans). Ce chiffre serait estimé en réalité à environ 50 000, pour diverses raisons, notamment le silence des victimes. ( Chiennes de garde ) Mais quelles sont les vraies raisons de ce silence ?

D’après le site SOS Femmes : " Le violeur n’est très majoritairement ni étranger, ni célibataire (vivant seul), ni asocial, ni impulsif. Dans la plupart des cas, il est parfaitement intégré à la société, marié (ou vivant maritalement) avec des enfants." De plus, "Les études montrent que la plupart des agressions sont préméditées, une réalité qui vient invalider le fait que le viol correspondrait à une ’pulsion irrépressible et incontrôlable’." Enfin, "dans 74 % des cas, la victime connaît ou connaissait son agresseur". C’est à dire que l’identité est connue, et que le violeur fait souvent partie l’entourage de la victime.

Les violeurs sont donc des personnes "normales", intégrées et parfois ancrées dans la société par un emploi stable, un mariage, une famille, etc. Ce ne sont donc pas, pour la grande majorité, des baroudeurs du crime, impossibles à attraper. Deuxièmement, les trois quarts du temps, la victime connaît son violeur. Ces deux éléments devraient donc permettre une condamnation aisée du criminel. D’autant plus que la notion de "pulsion irrépressible et incontrôlable" comme nous l’avons vu est de plus en plus rejetée.

Or, en France seulement 2% des viols sont suivis d’une condamnation !

Ce chiffre est petit au vu des quelques 50 000 femmes estimées être violées chaque année en France. Même par rapport au nombre de l’ENVEFF (nombre de femmes violées l’ayant déclaré), cela ne fait qu’un tiers environ.

Ce chiffre est également petit au vu du taux de meurtres suivis d’une condamnation qui est, lui, de 50%. En effet, 1 meurtrier sur 2 est condamné, contre seulement 1 violeur sur 50 !

Est-il utile de rappeler qu’un viol est souvent considéré comme une petite mort pour la victime, dont l’intimité a été brisée de manière violente et brutale, que les conséquences psychologiques peuvent être extrêmement néfastes. Au vu de la gravité de cet acte de barbarie, et du nombre inquiétant de violeurs sévissant en toute impunité dans ce pays (et ailleurs dans le monde...), il est légitime de se poser ces questions :

·  Pourquoi, même lorsque la victime porte plainte, la condamnation est-elle si rare ?

·  Est-on réellement impuissant face au comportement d’un violeur ? Ne peut-on ni le prévenir ni le guérir ?

·  Est-ce normal qu’une victime aie honte à ce point après un viol, ou y a-t-il encore des tabous à briser dans cette société, des stéréotypes à faire tomber ?

·  Enfin, à quoi rime donc le silence des médias et des instances éducatives à ce sujet ?

 

Un sentiment de honte et/ou de culpabilité chez la victime sont fréquents et considérés comme normaux par les psychologues. Ce sont ces sentiments qui, dans la plupart des cas, font que la victime se replie sur elle-même, en gardant le secret de son agression. Il faut noter que ce comportement est dangereux pour la personne, qui s’impose alors un très lourd fardeau. Ceci est d’autant plus vrai pour les mineurs et les victimes de pédophilie. Dans de nombreux cas, le temps que met la victime de pédophilie à trouver la force de parler est si long que le délai laissé par la justice pour pouvoir condamner le coupable est dépassé. De plus, il peut être difficile de prouver matériellement qu’un viol a eu lieu, à moins que la victime subisse immédiatement des examens médicaux, et si elle ne lave pas les vêtements ou les draps souillés. La plupart du temps les victimes ne parlent pas, et quand elles le font, ces preuves n’existent plus.

Le silence est donc un élément important de ce problème. Or, celui-ci est-il purement psychologique ? Ne dépend-il pas de facteurs d’influence externes, de même que le jugement du viol par l’entourage d’une part, par la justice d’autre part, et par la société en général ?

Pour commencer, de trop nombreux clichés et stéréotypes concernant le viol sont encore d’actualité. On a l’image des femmes qui fantasment sur le viol, ou encore les remarques du type « T’as vue comment elle était habillée aussi ! ». Ou encore : « Les viols et les tournantes ne se passent pas par moins 30° mais surtout quand il fait chaud et quand un certain nombre de petites jeunes filles ont pu laisser croire des choses. » (Eric Raoult, député-maire de Raincy). En effet, certaines personnes pensent que le monde est juste et que tout ce qui nous arrive, nous arrive pour une raison. La victime l’a donc certainement mérité, car elle avait une attitude extravertie par exemple, elle flirtait avec le violeur. C’est une manière de se déculpabiliser, et de se rassurer en se disant que si l’on se comporte comme il faut, cela ne nous arrivera jamais. Cela est faux, archi-faux. Typiquement, les violeurs ne choisissent pas leur victime pour leur apparence physique (beauté naturelle, maquillage, vêtements, etc). Il faut tout de même savoir qu’en Suède, lors des procès, les questions relevant du comportement de la victime et la manière dont elle était habillée avant le viol sont des questions de routine ! Après de vives contestations de la part du public et de la presse, les lois ont quelque peu changé, mais pas tant que ça, pas sur le fond.

D’un point de vue historique, comment notre autorité peut-elle condamner ce que font les « défenseurs de notre sécurité » depuis des siècles ? Les viols de guerre sont monnaie courante, aujourd’hui encore, partout dans le monde, et sont utilisés pour saper le moral de l’ennemi. Il y a évidemment des cas en Irak (Abu Ghraib), en Afrique, malheureusement, les victimes se comptent par millions... Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Allemands, Alliés et Japonais se sont prêtés au jeu. Le nombre d’allemandes violées par l’armée russe est estimé à plus d’un million, et de nombreuses plaintes ont été portées contre les soldats américains par les femmes françaises (lire l’article sur Wikipedia).

En effet, au niveau institutionnel, il aura fallu attendre l’année 1980 pour que la loi française apporte enfin une définition précise du viol, crime passible de 15 ans de réclusion criminelle, et 1992 ( !) pour reconnaître le viol conjugal. Question naïve, pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Ce genre d’hésitations à définir le viol et à le définir comme un acte hautement répréhensible peut-il avoir des conséquences ? D’autre part, les législations sont très différentes d’un pays à un autre. Ce qui n’est pas exceptionnel au vu des différences culturelles, religieuses, etc... Mais pour des crimes comme l’homicide et le viol, il est clair qu’aucune tradition ne peut les tolérer. De plus, il existe des différences même entre pays proches au niveau culturel. Nous avons vu le cas de la Suède. En Angleterre, jusqu’en 2005, si l’auteur du viol croyait réellement que la victime était consentante, même si cela était déraisonnable de le penser, il pouvait s’en servir pour se défendre. Depuis, la loi a été modifiée, et le violeur doit prouver que la conviction qu’il avait que la victime était consentante était à la fois authentique et raisonnable.

La loi française, à cet égard, englobe un grand nombre de situations de violence sexuelle dans sa définition du viol, ce qui est un point positif : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » En revanche, la peine maximale de 15 ans de réclusion, ou 20 ans avec circonstances aggravantes, n’est jamais atteinte, et le violeur est relâché en général après avoir purgé la moitié de sa peine. Les raisons concrètes données à cette non-condamnation / faible condamnation des violeurs sont évidemment le manque de moyens et de financements. Les asiles psychiatriques ont besoin d’argent et ne sont pas assez nombreux, manquent de personnel. Les prisons sont débordées depuis bien longtemps, ce qui pose d’énormes problèmes. D’ailleurs, que penser du manque d’optimisme des professionnels concernant les violeurs, qu’ils affirment ne pas pouvoir soigner, et dont ils ne peuvent empêcher la récidive ? Mais ces problèmes sont-ils réellement sans remèdes ?

Bien évidemment, il existe aussi des solutions alternatives, voire radicales, à mettre en oeuvre, le préservatif féminin « qui mord » (Afrique du Sud), la stérilisation chimique (pratiquée dans certains états des Etats-Unis, de manière controversée, en échange d’une réduction de peine) ou la castration (pourquoi pas ?). Enfin, on pourrait même penser à l’augmentation de la peine maximale, ou, au moins, l’application des 15 ans de réclusion, plutôt que la moitié seulement en moyenne. Ces alternatives peuvent paraître choquantes, mais le sont-elles plus que le crime lui-même ? Sont-elles plus choquantes que le silence, l’espèce de fausse gêne et l’acceptation générale dont fait preuve la société aujourd’hui ?

Il existe bien sûr d’autres moyens à notre disposition, apportant une réponse plus modérée cette fois. Tout d’abord, des recherches peuvent être faites afin d’étudier le comportement des violeurs. Cela servirait à mieux prévenir ce genre de crimes, et à trouver une réponse plus appropriée aux niveaux à la fois judiciaire et sanitaire. Des recherches ont été entamées aux Etats Unis (RAINN , SVRI), mais on en entend très peu parler en France. Ensuite, on peut penser à une réelle information du public à ce sujet, afin que ce dernier se rende effectivement compte de l’ampleur du phénomène et de la manière dont on peut se défendre après une agression. Cela va s’en dire, cette information servirait également à briser un certain nombre de préjugés, que nous avons vus plus haut, liés à ce sujet encore tabou.

Enfin, sur le long terme, pourquoi ne reviendrions-nous pas à un cadre de vie plus sain ? Une société qui ne subirait plus le même matraquage sexuel et pornographique, que ce soit à la télévision, dans les publicités, sur les affiches dans la rue... Une société qui ne confond pas acte sexuel avec réussite sociale, ou domination, ou encore puissance... Une société qui prend soin de ses marginaux, plutôt que de les laisser errer toute leur vie, une société qui n’est plus capable d’accepter des comportements de violeurs... A quand un changement des mentalités ?


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