Virginia Tech. Quand on récolte la tempête

par Pierre JC Allard
jeudi 19 avril 2007

Encore un fou. Encore une fois, la presse américaine - et même étrangère, car ce qui touche les USA intéresse tout le monde - a délaissé un temps Bush, Gonzalez, Obama et même les nouveaux sommets de la bourse de New York pour accorder ses manchettes à la tuerie de Virginia Tech. Des jeunes tués sans autre motif apparent que le désir de tuer. Une tragédie qui devient de plus en plus monnaie courante.

Car c’est bien ça le plus dramatique : la banalisation de ce genre d’événement. La banalisation et, dans un sens, l’acceptation de la possibilité omniprésente que quelqu’un vous tue, vous, votre femme ou vos enfants sans aucune raison. Pas pour vous voler, pas parce qu’il vous déteste, pas dans un accès de folie meurtrière, pas pour créer un climat de terreur propice à quelque marchandage, mais pour rien. Simplement parce que tuer brise la routine et n’a, en fait, aucune importance.

C’est le cycle commencé à Columbine au Colorado, il y a près de dix ans, qui se poursuit. Les auteurs de la tuerie du Colorado ne défendaient pas une cause, ils n’entendaient pas des voix, il ne voulaient rien obtenir. Ils avaient prévu de s’enfuir... - et de recommencer en plus gros ! - mais ils avaient un plan B qu’ils ont mis en pratique et qui était de se suicider. Un plan qui ne leur apparaissait que marginalement moins satisfaisant que le premier. Comme si tout ça ne les concernait qu’indirectement, comme un film à la TV.

Ceux qui ont tué n’étaient pas fous selon les critères usuels. Ils voyaient la même réalité que nous, ils établissaient des rapports de cause à effet, ils étaient efficaces. Ils n’accordaient simplement pas la même importance que la majorité des gens à certaines valeurs. Parce qu’ils étaient peu nombreux et que les conséquences de leur geste ont été spectaculairement négatives il est facile de se dissocier de leur vision du monde. Parfois c’est apparemment moins clair. Selon les circonstances, selon le tapage que fait la société et qui rend inaudible la voix de la conscience.

En 1917, Le général Pétain faisait fusiller des officiers qui avaient négligé d’abattre sur le champ des soldats qui avaient refusé de sortir des tranchées pour faire une sortie contre l’ennemi et gagner vingt mètres de terrain, ajoutant ainsi quelques victimes aux 700 000 autres tombées à la seule bataille de Verdun. Félicité pour son courage par Clémenceau, Pétain allait devenir maréchal de France, avec les résultats qu’on connaît.

En 1938, en Allemagne, un membre du parti nazi qui avait tué un Juif sans raison a été acquitté en alléguant qu’étant d’origine aryenne absolument pure la présence d’un Juif lui était si intolérable qu’il ne pouvait résister à la pulsion de le tuer. Il faut se souvenir que ce jugement a été publié dans les journaux et qu’à l’époque des milliers de gens ont trouvé cet argument raisonnable.

En 1945, confronté à la difficile opération d’envahir le Japon, Truman décidait de laisser tomber deux bombes atomiques qui allaient faire plus de 100 000 morts. Il était réélu l’année suivante, bien sûr.

Au cours des années 50, alors que l’inquisition McCarthy battait son plein aux U.S.A., le cinéaste Elias Kazan trahissait sans vergogne tous ses amis, brisant leur carrière et les condamnant à la pauvreté ou à l’exil. On vient de lui remettre un prix pour l’ensemble de son "oeuvre".

Les marines américains envahissent Panama pour régler quelques comptes avec un président présumé trafiquant et tuent quelques centaines ou milliers d’innocents "en passant". Pas de problème. On brûle les villages vietnamiens au napalm pendant des années, on bombarde l’Iraq, on envahit Granada, une minuscule île des Antilles, parce qu’elle est une "menace pour la sécurité des Etats-Unis"...

On se fait l’Afghanistan, le Rwanda, la Somalie, le Kosovo ... comme si tout ça ne nous concernait qu’indirectement, comme un film à la TV. Le Dow Jones va vers 13 000 pendant que 60 000 enfants dans le monde meurent de faim tous les jours. Le Système n’est pas fou. Il voit la même réalité que nous, il établit des rapports de cause à effet, il est efficace. Il n’accorde simplement pas la même importance que la majorité des gens à certaines valeurs. Vous n’aimez pas la vision du monde du système ? Qu’importe, le vacarme médiatique est tel qu’on n’entend plus rien.... Sauf quand des jeunes au Colorado qui n’ont rien à perdre le disent à leur façon. Ou quand un quidam fait ostensiblement en Virginie ce que d’autres tireurs anonymes font discrètement en Iraq. La violence privatisée inquiète. Ne voit-on pas qu’elle trouve sa source dans la violence collective qu’on encourage ?


Lire l'article complet, et les commentaires