Vivre dans le bois de Vincennes...

par Nicolas Voisin
vendredi 18 avril 2008

Il y a des hommes. Ils sont “à peu près 250” selon ceux qui y vivent. “On parle en centaines” selon Médecins du monde. Ce soir nous étions dans les bois avec Francis. Maçon. Dans la rue depuis 81. Viré à 46 ans. Trop vieux. En janvier 2007, Dédé - avec qui il se fait une religion d’être fâché, pour des raisons obscures - lui lègue sa maison quand “il part”. Si j’ai bien compris, Dédé est parti à 200 mètres. Dans les bois. Là. A côté. Mardi, on va faire un barbecue. Avec des chipos. Parce que, l’autre, celui qui ressemble à un barbu anti-Bush primé, le fan de foot, il “a plus de dent. Enfin, si, deux”.

Ils ont des papiers. Du caractère aussi. Et la maison à 15 euros, Francis, ça ne l’inspire pas. Il sait compter Francis. Il a fait sa maison, solide - enfin, c’est celle de Dédé, mais qui n’était pas solide à l’époque - avec trois épaisseurs de bâche. Et puis il y a ce lieu magique, ce théâtre du soleil et celle qui ne veut pas que l’on dise son nom. Ce lieu vraiment magique. Et Médecin du monde. Eux “ont une carte” du village. Qu’il ne montrerait pour rien au monde. Et ils ont raison. Dans le camion de la maraude qui ressemble à s’y méprendre à ceux des Nations unies, il a aussi le bénévole qui - “en fait je vous dis tout, je suis réal, je suis là en sous-marin” - sait toujours ne pas se placer dans l’axe de la caméra. Et il y a Magali, 23 ans, journaliste. Et le petit frère de Sébastien Chabal qui tape compulsivement ces lignes.

Dans les bois de Vincennes, il n’y a pas un écosystème, il y a des écosystèmes. Et c’est comme ça “dans tous les bois”. Ils ne sont pas emmerdés par les flics “ni par la gendarmerie” qui les connaissent et s’en sont fait une raison. Et tant mieux. Eux veulent une vraie maison. Mais leur maison. Envie de problèmes de voisinage. Pas de soucis de communauté. Dans les bois, on dresse des palissades, par-dessus lesquelles chacun veille avec une très pudique attention sur le voisin. Et ne l’avouera jamais. C’est que, les voisins, dans les bois, parfois, ça meurt l’hiver. Et, l’été, on les oublie.

On espère vous livrer un reportage vidéo en plusieurs épisodes, pour prendre le temps. J’avais envie ou besoin de vous glisser cela, de vous dire que le réal n’aimait pas le docu des Don Quichotte (gratuit sur Daily, puis retiré, sponso Kassovitz), mais qu’il ne l’avait jamais vu. Que les hommes des bois ont un portable. C’est vital le portable. Bienvenue à Paris. Nos réfugiés sont Français. Les “réfugiés du pouvoir d’achat” ? La société, ils ne la refusent pas, mais ils n’en ont plus les moyens. Et elle non plus.

Leurs problèmes ne sont pas récents. La solution n’est ni simple ni pour demain. Nous n’apporterons guère mieux que quelques chipolatas à tout cela. Mais ce sera sur Daily et sur d’obscurs serveurs 2.0 et un jour, un gars à l’Ina va se dire “Et ça, je garde” ? Et Francis, ça lui plaît assez cette idée. A moi aussi.

Rencontre avec Francis, SDF depuis 1981. Il vit dans les bois de Vincennes depuis 1 an et demi.

Premier épisode d’une série de rencontres avec ceux qui survivent - et ceux qui maraudent - dans le bois de Vincennes. Paris en avril 2008.


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