Votre corps ne vous appartient pas

par EVB Alter
mardi 18 mars 2008

Hier, j’ai découvert sur internet la douloureuse histoire de Chantal Sébire, cette femme défigurée par un cancer, victime de grandes souffrances, et à qui on a refusé l’euthanasie « active », c’est-à-dire la possibilité de mourir avec une assistance médicale, et entourée de ses proches.

Ce qui est en jeu ici, j’ai l’impression, c’est une certaine conception de ce qu’est la vie, et du droit qu’on a à disposer de son propre corps. Cette conception n’est pas purifiée du principe religieux selon lequel c’est Dieu qui donne la vie, et Dieu qui la reprend. Parce qu’aucun argument rationnel ne peut justifier du rejet de la demande de cette femme de mourir comme elle le veut : parfaitement lucide, argumentant son choix solidement. L’idée qu’il faut refuser l’euthanasie à Chantal Sébire parce que cela ouvrirait la porte à des dérives, à mettre fin à la vie de personnes contre leur volonté, n’est pas du tout fondée : il faut savoir différencier des cas qui ne sont pas comparables, et le droit doit permettre de fonder ces différenciations.

Ce qui est en jeu donc, j’ai l’impression, c’est une conception collective de ce qu’est le corps, et de ce qu’on peut en faire. Comme si cela dérangeait trop le reste de la société, pour qui la vie est donnée et reprise sans qu’on en décide, que d’autres agissent autrement. Hier, mon ami d’origine aristocratique, et gay, me racontait qu’au moment du débat sur le Pacs, une partie de sa famille élargie avait affrété un car depuis sa région, pour venir manifester à Paris contre le projet de loi. Cela m’a éberluée, naturellement, et cette question m’est venue à l’esprit : « Mais qu’est-ce que cela peut bien leur faire que des gens de même sexe puissent bénéficier d’un contrat, qu’est-ce que cela leur retire, à eux ? ». Cela leur retire leurs certitudes, vraisemblablement. Sans doute ont-ils refoulé pas mal de questions concernant leur sexualité et leur mode de relation à autrui. Que d’autres vivent plus libres ; voilà qui est scandaleux !

Concernant la question des « drogues » : l’usage de certaines substances est réprimé par la loi. Non pas celui du sucre, pourtant reconnu comme drogue à haute accoutumance. Non pas celui de l’alcool, dont on connaît les ravages. Mais celui du cannabis. En quoi cela peut-il nuire à des personnes adultes et informées de fumer du cannabis quand elles le souhaitent ?

A propos du choix de la sexualité : je crois que chaque personne doit être libre de définir ce que la sexualité signifie pour elle, dans quel cadre elle inscrit cela. Si pour elle la sexualité signifie le mariage, très bien pour elle. Si la sexualité signifie une pratique ludique et agréable qui ne doit pas se mêler de considérations sentimentales, très bien aussi. Et si une personne choisit de monnayer certaines pratiques sexuelles, est-ce que cela doit être réprimé par la loi comme c’est le cas aujourd’hui ?

Qu’on ne me fasse pas écrire ce que je n’écris pas :

Je ne crois pas qu’actuellement il soit anodin que beaucoup de jeunes prennent du cannabis ou d’autres drogues (alcool...) parce qu’ils sont un peu perdus dans leur vie et que cela leur apporte une sorte d’évasion hors d’un quotidien difficile. Je ne crois pas non plus que le lot de la grande majorité des prostitués soit heureux. Et je ne pense pas que la plupart des gens choisissent de se prostituer comme d’autres deviennent comédienne ou médecin. Mais je crois que s’il faut mener un réel effort politique pour démanteler les réseaux qui conduisent à l’esclavage, et un réel effort d’éducation pour que les jeunes comprennent bien que leur corps leur appartient, et les filles, en particulier, que leur corps n’est pas le jouet des garçons, qu’elles n’ont pas à accepter certaines choses de peur d’être mal jugées ou de déplaire ; en revanche, toutes les lois qui sont actuellement en vigueur en France sont plutôt des lois contre les prostitués que des lois contre la prostitution. Par exemple, accuser toute personne qui loue un logement à un prostitué de proxénétisme (oui, c’est bien dans le Code de la loi française !), ce qui conduit les prostitués à se déplacer dans des zones dangereuses, à vivre dans des caravanes où ils/elles sont victimes d’agression, hors des centres des grandes villes, est-ce que cela a un sens ?

Cela a un sens en termes d’ordre public. La prostitution est sale, on en débarrasse l’espace où vivent les braves gens. Mais pour les personnes qu’on est censé aider, les prostitués, quelles sont les conséquences ? De la fragilisation et des difficultés. Je ne suis pas du tout pour que la prostitution devienne un métier comme un autre, avec les dérives que cela apporte, comme en Hollande où on permet à certaines femmes d’immigrer seulement à condition de devenir prostituées. Mais je crois que la réflexion sur la question de la prostitution, en France, est encore bien trop teintée de principes religieux, sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas avec son corps. Se pourrait-il que les gens qui réfléchissent à ces questions y réfléchissent posément, en laissant au vestiaire leurs a priori, pour se demander vraiment, en termes de société, en termes de conséquences sur les personnes, ce que signifiera tel ou tel projet de loi ?

Aujourd’hui, il existe encore des pays du monde où les relations sexuelles avec des personnes de même sexe sont punies de la peine de mort. Sans que ce « délit » affecte de la moindre façon les personnes qui y sont extérieures. Il s’agit de maintenir un certain ordre public, une conception de ce qui se fait et ne se fait pas. Aujourd’hui, la situation a évolué en France sur cette question, mais pas sur d’autres et, si on peut penser qu’un changement va avoir lieu, il met encore trop de temps à se produire, pour les personnes qui l’attendent dans leur chair et dans leur âme.

Je crois qu’un pays évolué en termes de mœurs, c’est un pays où on peut choisir de ce qu’on fait de son corps. En étant informé bien sûr, et en bénéficiant d’une prévention médicale et psychologique adéquate. Mais être informé et prévenu, ce n’est pas la même chose qu’être réprimé et puni par la loi !

L’Etat moral inscrit sur nos corps une chape de plomb. L’Etat économique nous dit aussi ce qu’il convient d’ingérer, ce qui est dangereux ou non pour notre corps, et frappe d’anathème ceux et celles qui entravent son activité. Les chercheurs qui montrent que les OGM sont dangereux, ou bien que le sel consommé en grande quantité est nuisible, sont menacés par la grande industrie, qui leur intente des procès (sur le site de la Fondation sciences citoyennes, on peut signer une pétition pour soutenir quelques-uns de ces scientifiques). Les études, qui montrent que l’usage des téléphones mobiles aggrave le risque de nombreuses maladies, sont systématiquement « oubliées » par les rapports gouvernementaux sur le sujet.

Aujourd’hui, plus que jamais, il convient de s’informer, le plus possible, à partir de multiples sources, de débattre, de réfléchir, et de décider de ce qu’on veut faire de soi, de son corps, de sa vie. Cette vie qu’on a unique, et qu’on doit se construire épanouie, et pas frustrante. Je crois.


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