Vous avez dit « irresponsables » ?

par citoyen
lundi 10 septembre 2007

Responsable ? Irresponsable ?

Voilà la question qui semble tarauder aujourd’hui les citoyens français. A priori, l’alternative est pourtant simple. On est soit responsable soit irresponsable. Mais depuis que Nicolas Sarkozy s’est prononcé sur l’affaire du centre hospitalier de Pau dans laquelle le procureur de la République a requis un non lieu. Pour le président de la République, appuyé en ce sens par sa ministre de la Justice, le système judiciaire et donc les juges eux-mêmes ne tiennent pas assez compte des victimes. Et dans l’horrible affaire de Pau, peu importe que le crime ait été commis par une personne dont l’état de santé relève selon les experts médicaux d’une pathologie psychiatrique ne permettant pas de statuer sur la responsabilité de l’individu. Le non-lieu est donc requis, en dépit des circonstances horribles et non contestables, en vertu de l’article 122-1 du Code pénal : "N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime." Le texte est donc clair. On peut être considéré comme irresponsable de ses actes pour des motifs liés à son état de santé psychique mais l’on reste "punissable", et c’est bien la juridiction qui "détermine la peine". C’est cette question de la responsabilité que le Blog-Citoyen souhaite mettre en lumière tant du côté de l’individu qui cause un préjudice que du côté du juge qui doit rendre justice.


Vous êtes irresponsable, mais vous serez condamné

Aussi, lorsque donc le président de la République déclare à la presse que les familles ont droit à un procès, il commet volontairement un déplacement sémantique. Car le procès a bien eu lieu et il a conduit à prononcer un non-lieu. Le déplacement sémantique consiste à parler de "procès" et à faire comprendre "condamnation" notamment à ceux à qui on dit qu’ils ont droit de faire leur deuil. Bien sûr, on m’objectera qu’il s’agit en fait de proposer que l’irresponsabilité de l’auteur d’un crime fasse l’objet d’une procédure à laquelle les victimes seraient associées. Mais de manière indéniable, cette proposition pointe la fragilité des catégories qui président à notre conception de la responsabilité. Il est vrai que du point de vue des familles, le principe de l’irresponsabilité de la personne atteinte de trouble psychique leur apparaît comme un affareux paradoxe de la justice dans la mesure où plus le crime pourrait être "monstrueux", moins la responsabilité de l’individu en cause pourrait être mise en cause et conduire à une peine sévère seule décision capable pour les familles touchées dans leurs chairs de les amener à faire leur deuil. La proposition du président de la République se positionne sur nos conceptions de ce qu’est "la responsabilité" et de ce qu’est "la folie". En prenant, aussi ouvertement fait et cause pour dire qu’il fallait aussi "juger les irresponsables", il anticipe tout un débat qui s’avère nécessaire sur le fait de savoir comment organiser l’articulation entre la justice et le travail des experts dont on connaît les aléas ? Ce débat semble presque résolu de la part de Nicolas Sarkozy. Sa réponse ? La construction d’un hôpital fermé. Il sera probablement situé à proximité de Lyon, au Vinatier ? S’il s’agit d’un "hôpital", c’est que l’on se situe du côté des soins, et non du côté pénal. L’individu serait donc doublement "sanctionné". Premièrement, il devrait purger sa peine pénale et puis, comme son irresponsabilité relève d’une pathologie psychiatrique, il sera d’office placé dans cet hôpital fermé. Dans cette logique, on reconnaît qu’il existe bien une pathologie, mais on ne donne pas priorité à son traitement. On peut donc se demander en quoi cette idée va-t-elle améliorer le processus judiciaire, en quoi la prise en charge d’individus malades sera-t-elle améliorée ? L’essentiel pour Nicolas Sarkozy n’est pas finalement le résultat, mais le dire et le paraître. En effet, il ne peut ignorer que depuis des mois une réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées de raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation est en cours de préparation après avoir échappé de justesse à une insertion dans le cadre des discussions relatives à la loi sur la prévention de la délinquance. Mais nous voilà revenus au point de départ de cet amalgame pernicieux. La prise en charge de la santé mentale s’inscrit donc dans une vision utilitariste poussée à l’extrême de l’institution psychiatrique.

Vous êtes responsable, faites ce que l’on vous dit

On sait que Nicolas Sarkozy n’entretient pas des liens faciles avec la justice. En tant que ministre de l’Intérieur, puis comme candidat à la présidence, il n’a eu de cesse de véhiculer dans l’imaginaire de la population que la justice et ceux qui la rendaient au nom du peuple français ne faisaient pas leur travail, ou, en tout cas, ne prenaient pas suffisamment en compte la douleur des victimes. Trop souvent, au contraire, ils faisaient preuve de laxisme. En tant que président de la République, Nicolas Sarkozy a désormais l’avantage de ne plus se contenter de parler, il peut agir notamment sur la législation. c’est ainsi que depuis la mi-août la loi antirécidive dite loi "peines-planchers" est entrée en vigueur.Cette loi établit qu’en cas de récidive, la peine-plancher est d’un an si la sanction maximale de la peine est de trois ans de prison, de deux si la sanction maximale est de cinq ans, de trois ans pour sept ans et de quatre ans pour dix ans.Oui, mais voilà, il n’en demeure pas moins que ce sont bien des femmes et des hommes qui rendent la justice et non des machines. C’est ainsi qu’au tribunal de grande instance de Nancy, un vice-procureur, Philippe Nativel, a dans une affaire particulière, indiqué qu’il ne demandait pas au tribunal de prononcer la peine-plancher, mais une peine inférieure, et il a développé son argumentation. Mais voilà que dans un journal local, L’Est Républicain, il a été écrit qu’il avait déclaré : "Je ne requerrai pas cette peine-plancher de quatre ans, car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n’est pas parce qu’un texte sort qu’il doit être appliqué sans discernement". Conséquence ? Voilà le magistrat convoqué à Paris, au ministère de la Justice pour donner des explications suite à des propos qu’il n’a pas tenus ! Car il est envisagé par la ministre de la Justice Rachida Dati que ce magistrat ait commis une faute et serait donc responsable d’avoir mal appliqué la loi ! Mais ce faisant c’est la liberté d’appréciation du magistrat lui-même que l’on remet en cause et, dès lors, pourquoi ne pas faire rendre la justice par une machine, un ordinateur suffisamment paramétré (Source : Rue89). L’approche pour l’affaire du centre hospitalier de Pau aura été plus subtile car, quand bien même le caractère odieux du crime permettait de traiter ce dossier dans toute sa dimension sentimentale pour mieux faire adhérer les citoyens français à son idée, le président de la République sait qu’il aborde néanmoins des franges du droit et des conceptions fondamentales qui constituent quelque part le socle de notre démocratie, de ces éléments qui nous distingue d’Etats où le fait de s’exprimer à l’encontre de l’Etat peut amener à être hospitalisé en psychiatrie (voir La Chine : Charte éthique ou Nouvelle Censure - Une question de sens).

Nous n’en sommes pas là bien évidemment. Mais les dérapages récents (affaire d’Amiens) devraient attirer notre attention. La liberté est un droit, mais son application est fragile. Il faut faire savoir à Nicolas Sarkozy qu’il a certes été élu avec une majorité incontestable, ce n’est pas pour autant que les Français veulent d’une société à l’américaine !

Voir : Rachida Dati visite un hôpital fermé aux Pays-Bas


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