Wanted Roman Polanski

par Babar
lundi 28 septembre 2009

1977. Le réalisateur Roman Polanski, alors âgé de 43 ans, a-t-il violé Samantha Geimer, 13 ans, dans la villa de Jack Nicholson ? La victime a réclamé l’abandon des poursuites. Mais cette vieille affaire qui comporte de nombreuses zones d’ombres, notamment quant au rôle trouble joué par le juge, n’a jamais été annulée par la justice américaine. Elle vient de rebondir de façon inattendue. Samedi soir, la police fédérale helvétique a arrêté le cinéaste franco-polonais à son arrivée à l’aéroport de Zurich, alors qu’il était l’invité d’honneur du Festival de films de la ville.
 
La police zurichoise a exécuté contre le cinéaste un mandat d’arrêt international lancé à la demande du bureau du procureur du district de Los Angeles. Les faits reprochés à Polanski ne sont pas prescrits aux Etats-Unis et il risque la prison. Le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, Les réalisateurs suisses de films ont vivement réagi. Le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski ainsi que Bernard Kouchner vont demander ensemble à Washington la libération du cinéaste.

« Pour sa brave et son efficace coopération avec la justice américaine, la Suisse choque les cinéphiles et les amis des arts. « Nous ne pouvons pas juger le contexte judiciaire de l’arrestation de Roman Polanski. Mais nous sommes choqués par ce qui est arrivé », ont déclaré à 20minutes les directeurs du festival de Zurich, Nadja Schildknecht et Karl Spoerri.
 
A Varsovie et à Paris, l’incompréhension est totale. Le président Nicolas Sarkozy suit personnellement le dossier « avec la plus grande attention » et « partage le souhait d’une résolution rapide de la situation ». Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a déjà transmis à son homologue helvétique, Micheline Calmy-Rey, les doléances de son pays » rapporte la presse hélvétique. Bref, si on n’est pas au bord de la crise, ça y ressemble.

Petit rappel des faits : en 1977 Roman Polanski est accusé d’avoir violé une mineure, Samantha Geimer, la fille d’une actrice. Il a 43 ans, elle en a 13. Le scandale défraye la chronique judiciaire et mondaine. Les parents de la jeune fille accusent Polanski d’avoir abusé de leur fille après lui avoir fait consommer de la drogue et de l’alcool, lors d’une séance photo pour un grand magazine de mode se déroulant dans la demeure de Jack Nicholson.
 
A l’époque, en comparution immédiate, le réalisateur plaide coupable pour« relations sexuelles illégales ». Il est condamné à une « évaluation » de trois mois dans une prison. Il y passera 47 jours. En janvier 1978, lors d’une réunion avec ses avocats, le juge laisse entendre qu’il le renverra sous les verrous pour une nouvelle période de 48 jours.
 
Mais il est aujourd’hui prouvé que ce dernier comptait se parjurer et envoyer Polanski en prison pour, au regard du crime commis, au moins cinquante ans. Roman Polanski n’a pas le choix : il quitte l’Amérique et se retrouve dans son pays natal, la France où il continue sa carrière de la manière que l’on sait sans être inquiété par la justice française, aucun accord d’extradition n’existant pour ce genre de délit entre les deux pays.


Pourquoi aujourd’hui la Suisse fait-elle soudainement du zèle ? Le quotidien le Temps se le demande avec un rien d’ironie en citant les propos d’un porte-parole de l’Office fédéral de la justice : « Il n’y a pas de raison de ne pas exécuter un mandat d’arrêt international valable ». Ce dernier, ainsi que des accords passés en
2005 avec Washington, contraignent donc la Suisse à arrêter Roman Polanski. La ministre de la Justice helvétique, Eveline Widmer-Schlumpf, a justifié cette arrestation en soulignant que les Etats-Unis n’avaient exercé aucune pression sur la Suisse. Pour elle il ne s’agit nullement d’une affaire politique.

Certes. « Qu’il s’agisse de Roman Polanski ou d’un citoyen lambda, c’est la même chose, l’égalité de traitement est un principe intangible de l’Etat de droit helvétique », commente Le Temps. C’est ça, j’en parlerai aux dangereux terroristes fiscaux qui tremblent devant les récentes menaces lancées par Eric Woerth.
 
D’autant, rappelle Le Temps, que « Polanski était déjà venu en Suisse, sans jamais être inquiété. Gstaad est un point de chute où il a plusieurs fois été vu. Lors de ces précédents déplacements, les autorités suisses en ont eu connaissance trop tard pour agir à temps, expliquait hier Eveline Widmer-Schlumpf. Sa venue à Zurich pour l’ouverture du Festival de cinéma était au contraire annoncée depuis plusieurs semaines. Elle a permis à la machine judiciaire de resserrer son étau sur le réalisateur, sans que personne se doute de rien ». En France, on se moque souvent des Suisses à cause de leur supposée lenteur (« Y’a pas le feu au lac...  »). Mais il faut avouer que nos voisins ont été prompts à réparer une injustice flagrante.

Cette histoire est celle d’un fait-divers qui en trois décennies devient un incident international. Pourtant, le procès du cinéaste est loin d’être clos. On peut même dire que dans cette affaire, le procès est passé complètement à l’as. Un film, Roman Polanski, wanted and desired (produit par HBO en 2008 et réalisé par Marina Zenovitch ) en a pourtant retracé le déroulé. Car même si le réalisateur de Chinatown, de Rosemary’s Baby et du Pianiste a avoué devant le juge Laurence Rittenband (il est décédé depuis), cette affaire de détournement de mineur a surtout servi de prétexte à un juge « conduit, précise le San Franciso Chronicle aujourd’hui, par son appétit exceptionnel de publicité ».

Ce qui intéresse le juge Laurence Rittenband, c’est moins sa réputation que la célébrité du prévenu. Lui qui n’aime rien tant que les stars et la publicité s’en lèche les babines. Ce procès, qu’il transformera en mascarade médiatique, sera la grande affaire de sa vie, mais aussi sa fin, car il en sera dessaisi. « Le gus, par ailleurs très bon vivant (champagne et girlfriends), mettant littéralement en scène la chance d’avoir sous sa griffe un cinéaste alors célèbre autant pour ses films que pour le massacre quelques années auparavant de son épouse [...] ne veut pas tant la peau de Polanski que faire durer le plaisir du procès pour augmenter sa propre gloire médiatique.
 
Ce qui, à terme, le perdra, puisqu’il aura l’imprudence d’organiser une conférence de presse alors que le procès est en cours, et sera à ce titre récusé », remarquait Gérard Lefort dans Libération, au moment de la sortie de Roman Polanski, wanted and desired, film dans lequel la victime, Samantha Geimer (qui depuis a tout pardonné au cinéaste), est plus laconique : « Le juge adorait la publicité, peu lui importait ce qui m’arrivait ou ce qui arrivait à Polanski ».

La mère de Samantha Geimer, actrice de seconde zone, connaissait la réputation du cinéaste. Pourquoi donc avoir laissé sa fille (moyennant un cachet), qui même âgée de 13 ans n’avait rien d’une gamine pré-pubère (elle avait déjà posé), avec un tel « monstre », un tel « pervers » ?

Aujourd’hui, le simple fait de prononcer le mot pédophilie suffit à condamner un homme. Ce n’est que justice quand les faits sont avérés. Mais combien d’innocents ont vu leur vie gâchée irrémédiablement suite à des erreurs judiciaires dans ce genre d’affaires ? Aux Etats-Unis, il existe des programme de réhabilitation des pédophiles repentis. Elle est notamment basée sur la castration volontaire (chimique ou non). Mais, même castrés, il faut savoir que les anciens pédophiles libérés sont inlassablement traqués. Il existe des cas ou d’anciens criminels qui ont réglé leur dette envers la société et qui tentent de reconstruire leur vie (sous le strict contrôle de la police) sont dénoncés par des voisins qui, venant à apprendre leur passé, le médiatise et font en sorte que ces anciens coupables soient obligés de déménager, voire de retourner en prison parce qu’il ne peuvent pas se réinsérer du fait de la pression de l’opinion publique.

Si l’on accepte le principe qu’un homme qui a effectué sa peine doit pouvoir vivre le reste de ses jours tranquillement, cela pose un cas de conscience d’autant plus aigu que la France qui connaît un regain de puritanisme, est en train de placer le curseur très haut en ce qui concerne la pédophilie. Qu’on se souvienne de l’affaire Cohn-Bendit ou de Patrick Font. Des oeuvres d’art ont été et continuent à être censurées pour ce prétexte. On mélange tout : les pédophiles réels et les représentations.
 
Il n’y a pas si longtemps, le must en matière photographique dans notre pays, étaient les images douteuses de David Hamilton. Les braves pères de famille qui s’indignent étaient les mêmes (ou leur pères) qui se gaussaient à l’écoutent de déclarations provocatrices. Qu’est-ce qu’un délit ? Il y a quelques temps, une connaissance, homosexuel notoire, me disait qu’il trouvait normal qu’on arrête les automobilistes qui dépassaient les limitations de vitesse, ne serait-ce que de 1km/heure. La loi est la même pour tous, affirmait-il, sans tenir compte des divers paramètres grâce auxquels la justice ne se résume pas à une application technique et froide du code pénal. Il oubliait simplement qu’il y a un peu moins de trente ans, si je l’avais dénoncé à la police pour homosexualité, il risquait une condamnation (je précise que ne je l’aurais pas fait). 

On ne prête qu’aux riches. Depuis 1968, date de sortie de Rosemary’s baby, film dans lequel tourne sa femme Sharon Tate qui sera assassinée sauvagement par Charles Manson en 1969, Polanski est régulièrement visé par certains groupes de pressions américains qui l’accusent de satanisme. Tout ceci est expliqué dans Roman Polanski : wanted and desired. Ce « procès du procès » comporte tant de révélations qu’en début d’année les avocats de Polanski ont cru qu’il aurait pu changer la donne et permettre enfin à Roman Polanski de revenir aux Etats-Unis. Il n’y était même pas venu pour recevoir l’Oscar pour son film le Pianiste.

Aujourd’hui, Roman Polanski est en « détention provisoire en attente d’extradition » à l’aéroport de Zurich. Le département américain de la Justice a 60 jours pour déposer sa demande écrite de transfert à Los Angeles. Si le cinéaste est d’accord avec cette extradition, il pourra être envoyé aux Etats-Unis prochainement. Mais la procédure légale Suisse est complexe. S’il s’oppose à cette extradition, cette affaire peut encore s’éterniser, estime Guido Ballmer, un porte-parole du Département fédéral de justice et de police.

Le documentaire Roman Polanski, wanted and desired est reprogrammé dès mercredi 30 septembre au cinéma au Reflet Médicis (3, rue Champollion. Paris 5ème).

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