Y a-t-il un risque révolutionnaire aujourd’hui ?

par HOUSSAYE Marc
mercredi 19 août 2009

Cet article est le compte-rendu d’un Café Citoyen qui s’est déroulé le 09/05/2009 à Caen.

Financière, économique, écologique, politique, sociale, métaphysique : les crises se multiplient et s’additionnent. Tandis que des dogmes s’effritent (notamment ceux liés à notre société de consommation), il en est qui souhaitent un changement radical de notre société. Sommes-nous pour autant à l’aube d’une révolution ? Deux approches de la révolution se sont entrecroisées tout au long du débat ; selon que certains y voient une délivrance ou que d’autres la craignent. Les premiers rejettent la formule « risque révolutionnaire » et préfèrent parler de « chance révolutionnaire » ou d’« opportunité révolutionnaire ». Les seconds insistent sur le déchainement de violences que constitue une révolution. Cependant, une révolution possède de nombreuses facettes qui forment un tout, à la fois séduisant et terrifiant.

Celui qui annoncerait l’aube d’une révolution serait bien présomptueux. Son pressentiment serait avant tout mu soit par l’espoir soit par la crainte. Les mouvements insurrectionnels sont par définition imprévisibles. Et compte tenu de la globalisation, l’ampleur d’une révolution ne serait peut-être plus à envisager à l’échelle de la France, mais à l’échelle du monde. Par ailleurs, la population réagit plutôt qu’elle ne fomente. Celles et ceux censés être à la tête de l’État sont généralement déconnectés des réalités populaires. Rappelons-nous le célèbre échange entre le duc de Liancourt et Louis XVI le 14 juillet 1789 alors que la Bastille venait d’être prise : « C’est donc une révolte ? - Non, Sire, c’est une révolution ». Les révoltes sont donc difficiles à prévoir. Mais tandis que les émeutes éclatent, les révolutions accouchent. La nouvelle société mûrit doucement pendant que l’ancienne dépérit. Pouvons-nous percevoir les signes d’un tel changement ?

Il n’est pas rare de qualifier de révolutionnaires les avancées techniques remarquables comme les « révolutions technologiques » de la télécommunication (portables, Internet...) ou des transports (voiture, avion...). Quelques intervenants associent ces révolutions à une progression du monde certes rapide mais toujours continue. Ces innovations participent alors à ce que l’on nomme depuis peu progrès. Mais une révolution suggère avant tout la notion de cycle. Elle suppose un recommencement, un changement radical et profond. Qui plus est, une révolution résulte d’une quête de totalité (changement de modèle), ce qui, bien souvent, explique la naissance de totalitarisme pendant ces périodes historiques intenses. Une révolution est la manifestation éclatante d’une nouvelle manière de concevoir et de considérer le monde. Rappelons-nous les Lumières, ce mouvement européen intellectuel, culturel et scientifique du XVIIIe siècle. Arts, littérature, sciences, philosophie, politique, tous les domaines furent bouleversés. Du développement des sciences à la renaissance de la démocratie et de la République.

Ainsi, avant une révolution, les fondements de l’ancien modèle social sont bien sûr critiqués. Mais les bases d’un nouveau modèle doivent également émerger. Dans la salle, un intervenant s’interroge : au XVIIIe siècle, « il y avait une force morale par l’implication des intellectuels dans l’évolution de la société ». Aujourd’hui, où sont les philosophes et les penseurs ? Où sont les Diderot, les d’Alembert, les Rousseau et les Voltaire ?

Peut-être sont-ils parmi nous. Invisibles. Inaudibles. Peut-être aussi que les conditions pour qu’une révolution s’épanouisse ne sont pas réunies. Dans la salle, on nous dit qu’une révolution naît quand « un peuple souffre, qu’il est dans le désarroi et qu’il se sent abandonné par le pouvoir ». « Il faut un pouvoir faible, déconsidéré ». Il faut aussi un décalage entre ce que ressent le peuple et ce que vivent les élites. Il faut qu’un petit nombre s’accapare les richesses et le pouvoir. Or, même si la colère s’intensifie et que la force est de plus en plus utilisée (« séquestration » de patrons dans les usines, blocage d’usine), nous ne sommes pas vraiment opprimés et soumis à un pouvoir tyrannique et incapable (même si une fraction de la population française et une grande partie des populations des pays du Sud vivent dans une grande misère).

Qui plus est, lors des manifestations, la grande majorité des revendications est d’abord le fait de corporatismes. Les mécontents cherchent avant tout à retrouver ce qu’ils ont perdu (un emploi, de meilleures conditions de travail, etc.). En quelque sorte, ce repli communautaire fait perdurer le système. Dans la salle, on pose la question suivante : « est-ce que les Français actuellement, qui sont si allergiques aux réformes, sont prêts à faire le saut dans la révolution ? ». Ne manque-t-il pas un élan collectif nécessaire à la redéfinition d’un contrat social ? Ces propos sont atténués par l’apparition de nouveaux profils de manifestants auxquels nous n’étions pas habitués : policiers, gardiens de prison, juges... En outre, les syndicats se rassemblent plus régulièrement sous une même bannière, parfois même alors qu’ils proviennent de pays différents (manifestation franco-allemande des "Continental" à Hanovre).

N’empêche, s’il faut, pour qu’une révolution s’épanouisse, des idées nouvelles, il est nécessaire également que « des hommes et des femmes nouveaux émergent, des personnes courageuses, actives, capables de conduire le peuple ». Or, l’image du révolutionnaire est peut-être aujourd’hui entachée. Pourtant, il ne faut pas réduire le révolutionnaire à un simple destructeur. Car il crée également les conditions d’une reconstruction. Il n’appartient plus au passé, pas encore tout à fait à l’avenir. Il éradique ce qui ne doit plus perdurer. Son feu fertilise l’avenir. Finalement, cette peur de la destruction ne résume-t-elle pas notre difficulté à faire le deuil du système dans lequel nous vivons ?

Quelques intervenants s’interrogent sur ce qu’il reste du triptyque républicain « Liberté - Égalité - Fraternité ». Un « sentiment d’inégalité est partagé par certains Français par les délocalisations, par les licenciements, par la distribution de parachutes dorés ». « Bien des gens n’ont plus rien à perdre » et pour ceux qui perdent tout, « ce qu’il reste à défendre c’est leur propre liberté à trouver du travail, à manger, à loger leur famille ». Pour autant, l’insécurité sociale n’est pas flagrante car les mécanismes de redistribution atténuent les effets de la crise. Nul doute que l’ordre social se détériorerait rapidement si l’État était amené à ne plus assurer le versement du RMI, les allocations diverses, l’assurance chômage. On a d’ailleurs entendu à plusieurs reprises que les caisses étaient vides. Qu’en est-il réellement ? Et puis la dette publique progresse. Un participant nous invite à suivre l’évolution de la classe moyenne : « Actuellement, il y a en France quelque chose qui est un frein à la révolution, c’est l’importance de la classe moyenne. Mais si jamais une conjonction de politiques aboutissait à la destruction de la classe moyenne, à son appauvrissement, là je crois qu’il y aurait un risque sérieux de révolution. ».

Et depuis quelques années, « les lois qui réduisent de façon significative les libertés individuelles » laissent présager une anticipation des pouvoirs publics. Comme pour dissuader d’éventuels fauteurs de troubles ou les marginaux. Un citoyen nous raconte d’ailleurs son passage à tabac par des policiers. Le sentiment d’injustice lui a donné dans un premier temps l’envie de « foutre le feu ». N’oublions pas qu’en période révolutionnaire se déchainent les passions aveugles. Les plus bas instincts refont surface. La violence se déverse dans les rues. La révolution est un « mécanisme de masse » qui emporte tout sur son passage. Quelques citoyens s’interrogent alors sur le risque de manipulation. Bien souvent, des groupuscules utilisent le désarroi des émeutiers, canalisent les mécontentements, organisent la contestation. Les tribuns s’emparent des foules et les font vibrer. Un citoyen nous met en garde : dans la plupart des révolutions, « le meilleur moyen de faire l’homme nouveau c’était de supprimer l’ancien. Alors on a vu des massacres, on a vu des camps de concentration, on a vu des goulags ». Mais une révolution n’est-elle pas plus dangereuse lorsqu’elle n’est pas conduite ? Il n’est peut-être pas pire état que la guerre civile.

Alors, même si la Révolution Française a inspiré beaucoup d’autres révolutions et continue pour de nombreux peuples à être une référence, ce modèle révolutionnaire est-il toujours envisageable ? Un citoyen imagine dans l’avenir des « actes de séditions, des actes de révolutions locales » plutôt qu’un grand mouvement. Des jacqueries en quelques sortes. Tandis qu’un autre considère que « la révolution est nécessaire ». Mais le monde doit-il et peut-il changer tout entier ? « L’économie de marché est effectivement mondial mais rien n’empêche localement de faire quelque chose de différent » lance un citoyen.

Toujours est-il qu’« on n’a pas besoin d’avoir des projets pour faire la révolution ». La révolution ne veut rien établir. Elle veut détruire intégralement ce qui existe. Cette destruction est son travail essentiel. Quel serait alors le « système à détruire » ? La cristallisation de ce système semble ne pas être entamée. L’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen inscrit le droit de résistance à l’oppression parmi les quatre « droits naturels et imprescriptibles de l’homme ». Mais d’où vient l’oppression aujourd’hui ? Au XVIIIe siècle, tuer les tenants du système (dont la famille Romanov) revenait à tuer le système. De nos jours, tuer les grands argentiers reviendrait à ne couper qu’une des multiples têtes de l’hydre. Détruire le système suppose également « de supprimer la branche sur laquelle nous sommes nous-mêmes assis ». « Pour qu’il y ait une véritable révolution aujourd’hui il faut qu’il y ait une vraie menace du système, il faut donc remettre en cause les fondements du système qui sont [...] de plusieurs ordres ». Selon un citoyen, il faudrait d’abord supprimer cette nécessité d’avoir de l’argent pour vivre. Ensuite, il faudrait également supprimer la valeur morale liée au travail. « Que l’on donne du boulot demain à ceux qui sont dans la rue, qu’on les augmente, et ils ne seront plus dans la rue », termine-t-il.

Une révolution est avant tout un carrefour où le temps est suspendu et où les consciences se réveillent pour choisir entre différents avenirs. En 1785, l’affaire du collier de la reine éclaboussa la royauté. Aujourd’hui, les affaires de corruption, de délits d’initiés, de détournement de fonds publics sont légions. L’information (et les rumeurs) circulent rapidement via des réseaux comme Internet. Quel sera le scandale de trop ? A moins que le citoyen s’y soit accoutumé et qu’en lui le sentiment de révolte se soit éteint.


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