1957, l’année du Spoutnik

par Asp Explorer
lundi 1er octobre 2007

Il y a cinquante ans, le 4 octobre 1957, l’URSS lançait Spoutnik 1 et l’humanité entrait dans l’âge de l’espace.

A cette époque, les ingénieurs de Renault planchaient sur leur réplique high-tech à la monstrueuse 2CV de Citroën : la 4L. Les tractions régnaient en maîtres sur les routes...

A Bordeaux, chez Dassault, on fabriquait le nec plus ultra de la science aéronautique : le Mirage III.

Les ordinateurs fonctionnaient avec des tubes à vide, aucun ne dépassait la puissance de calcul d’une montre à quartz actuelle. Réseau ? Internet ? Les premiers modems expérimentaux doivent bien grésiller quelque part, dans les laboratoires américains.

Les premiers postes de télévision commencent à se généraliser dans les foyers... américains. Sur un écran bombé de taille minuscule s’agitent de petites figurines en noir et blanc sur un son monophonique et nasillard. En France, il y avait la radio, en modulation d’amplitude, of course. Pour les mélomanes, il y avait la grande nouveauté, le 45 tours.

Tirée de Baikonour, une fusée Semiorka place en orbite son Spoutnik, le premier satellite artificiel. Sa fonction : faire bip.

Pour aller en vacances, le Français moyen prenait le train. Comptez douze heures de teuf teuf pour un Paris-Nice. Le Français un peu plus que moyen pouvait prendre sa 2CV, mais par la nationale, ce n’était pas plus rapide, l’autoroute Paris-Marseille date de 1970. Et les avions, ben, ils étaient à hélice, le Boeing 707 ne débarquera qu’en 1958.

C’était il y a cinquante ans. Quand on y pense, c’est quasiment une éternité. Technologiquement parlant, nous n’avons plus rien à voir avec ces curieux pithécantropes qui étaient nos parents, nos grands-parents. Tout ça a disparu. La lampe à vide l’a rejoint dans les années 60, on ne croise plus guère de 2CV, ni de 4L, les postes TV de l’époque seraient bien incapables d’accepter un adaptateur TNT, avec le TGV, lyon est devenu une banlieue de Paris, et l’armée de l’Air remplace ses Mirages 2000 (pas III) par des Rafales.

Et la fusée Semiorka ? Oh, elle a rejoint le musée poussiéreux des gloires de l’aéronautique, que quelques vieillards nostalgiques visitent, la larme à l’oeil...

Eh ? Quoi ? Ça vole encore ces vieilleries ?

Eh oui, ça vole encore ces vieilleries. La fusée R7, à l’origine conçue dans le noble but de balancer des bombes atomiques sur la tronche des Américains, s’est révélée n’être qu’un piètre missile stratégique, mais a envoyé en orbite Laïka, Gagarine et tous les cosmonautes russes (et pas mal d’autres nationalités), ainsi qu’une quantité prodigieuse de satellites civils ou militaires. Comme c’est cette fusée qui lance les vaisseaux Soyouz, on l’appelle "la fusée Soyouz". Elle a un peu changé depuis 1957, évidemment. On a rajouté des étages supérieurs plus ou moins puissants selon ce que l’on veut faire. On a raboté les moteurs du premier étage pour les rendre (un peu) plus performants. On a rajouté de l’électronique moderne pour contrôler le tout. Mais dans l’ensemble, c’est bien la même lessiveuse.

Un jour, bien sûr, la Semiorka prendra sa retraite. Un jour, la dernière fusée Soyouz larguera ses boosters avant de rejoindre l’espace. Mais pour l’instant, elle n’a pas l’air pressée d’en prendre le chemin. D’une part parce qu’après 2010, les navettes spatiales partiront orner les musées américains, et que leur remplaçant, le vaisseau Orion, ne sera pas opérationnel avant 2014 (comptez plutôt 2016). Entre temps, l’humanité en général, et l’humanité américaine en particulier, n’aura plus d’autre solution pour aller en orbite que de prendre le bon vieux Soyouz (ou de demander aux Chinois). D’autre part, j’aimerais attirer votre attention sur le petit village de Sinnamary, pas loin de Kourou, en Guyane. A l’heure où j’écris ces lignes, quelque part, dans la jungle, on creuse un grand trou, on coule du béton, on monte des installations biscornues. C’est un nouveau pas de tir. Et pour quelle fusée ? Eh oui, d’ici 2008, ce vénérable chalumeau soviétique conçu sous Staline s’élèvera glorieusement dans le ciel de l’Amérique du Sud.

Les Semiorka sont assemblées par de vieux ingénieurs qui n’ont fait que ça de toute leur vie. Elles sont fabriquées à la chaîne dans les mêmes usines depuis Brejnev. Le carburant n’a rien d’exotique, c’est du kérozène/oxygène liquide. Il n’y a rien qui coûte bien cher dans ces fusées. Les Russes en ont tiré plus de 1600, à comparer avec la centaine de vols de navettes ou la trentaine d’Ariane V. Tous les problèmes qui pouvaient se poser ont été résolus depuis des lustres. C’est la fusée la plus fiable du monde.

On a souvent le préjugé que la science spatiale est le théâtre de la technologie la plus avancée. L’exemple de la fusée Soyouz nous apprend que ce n’est pas nécessairement le cas. En fait, les progrès sont rares en matière de fusée, quand il y en a. Les fusées ARES I et ARES V, que les Américains développent actuellement pour remplacer la navette spatiale, n’ont aucun élément neuf, ils ne font que réutiliser de vieux moteurs mis au point pour le programme Apollo, il y a quarante ans, et des éléments de navette vieux de trente ans. Si tout va bien, ces fusées serviront à la NASA jusqu’aux années 2050, la technologie qui les enverra dans l’espace aura alors près d’un siècle. On ignore ce qu’il en sera de l’industrie spatiale russe, mais le fait est qu’aucun saut technologique n’est en vue en matière de propulsion spatiale.

Donc, les recettes vieilles d’un demi-siècle sont toujours pertinentes, et on n’a pas réussi à faire beaucoup mieux depuis. Le jour où l’humanité lancera la dernière Semiorka, il n’est pas exclu que nous soyons tous morts depuis longtemps.


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