A quoi joue Didier Raoult, qui nous alerte sur une « mutation » inquiétante ?

par Bernard Dugué
mercredi 7 octobre 2020

 Après avoir diffusé des annonces rassurantes, voilà que le professeur Raoult annonce l’apparition d’un type viral plus dangereux, responsable de l’afflux récent de patients Covid atteints de forme aggravée, remplissant les lits de réanimation à Marseille. Cette information « scientifique » fut lancée ce mardi 6 octobre sur la chaîne CNews, puis reprise par quelques médias de masse dont le Figaro. De quoi s’agit-il ? Le virus aurait muté pour donner un type causant plus de formes graves que d’autres types circulants, évoqués il y a un mois pour expliquer le cheminement rassurant de l’épidémie constaté pendant le mois d’août. Raoult proposa la thèse des sept types viraux (Colson, 2020). Par ailleurs, la fameuse mutation D614G a traversé les médias pendant l’été. Une mise au point est nécessaire. L'étude des souches mutantes occupe la virologie du SARS-CoV-2 depuis l’apparition de la pandémie.

 

 Les effets des mutations. Pour un virus contagieux, grippe ou corona, si une mutation produit un effet sur l’épidémie, cet effet n’affecte que deux effets du virus. D'abord sa contagiosité, autrement dit une combinaison de la rapidité réplicative et de la facilité du virus à pénétrer dans les cellules hôtes après un contact du patient avec les particules contenant les virions. En second lieu son "agressivité", autrement dit la proportion de formes avancées ou aggravées des pathologies qu’il peut occasionner.

 

Substitution S84L

 Avant que la pandémie ne se propage en Europe et en Amérique, la thèse de deux souches concurrentes fut proposée par des virologues chinois en analysant les séquences d’ARN viral fourni par les échantillons récupérés sur les patients. Ils émirent la thèse d’une souche S ancestrale et une autre F plus tardive. S serait moins « agressif » alors que F se serait répandu plus vite que S pour atteindre les 70%. Cette hypothèse fut contestée rapidement par Oscar McLean et ses collègues virologistes de Glasgow. Avec deux arguments. L’un épidémiologique, avec le constat que les statistiques ne permettent pas de conclure à une contagiosité ni une gravité différente entre les variants S et L. L’autre génétique, car les deux variants sont distincts avec deux mutations dont l’une (située sur Orf1ab) est synonyme (silencieuse) et l’autre substitue un acide aminé au niveau d’une protéine codée par la séquence ouverte Orf8. Du coup les Ecossais ont intimé aux Chinois de retirer leur papier. Nous étions début mars. De plus, la notion de souche et de clade ne convient pas pour caractériser les variants viraux comme l’a précisé McLean (information confirmée par mail). Raoult le sait puisqu’il utilise le terme de « variant »

 

Substitution D614G

 La substitution D614G est connue dans les médias depuis quelques recensions issues d’un article publié dans une revue réputée. Là aussi, une mutation ne fait pas forcément deux types, deux souches ou un clade. Même si cette mutation intervient sur la protéine Spike qui permet la liaison au récepteur d’entrée ACE2. Le type G serait devenu dominant car mieux adapté au tropisme nasal. La charge virale testée avec RT-PCR serait plus élevée que pour le type D (Corber, 2020). Les auteurs de cette étude ont aussi repéré une autre mutation associée à la D614G et qui est la P323L affectant la nsp12 de la polymérase virale. Cette fois aussi, les conclusions, pourtant plus solides, ont été controversées. Aucune évidence en faveur d’une contagiosité supérieure du type G (Callaway). Des considérations géographiques peuvent tout simplement expliquer le phénomène. Il suffit de quelques mégaclusters et la mutation G prend une longueur d’avance qui s’amplifie. Et qui concernerait 95 % des variants dans la zone européenne (Corber)

 

Substitution S477N

 La substitution S477N porte elle aussi sur la protéine Spike. Sur la plateforme CovGlue, elle affecte pas loin de 8 000 variants, contre quelque 105 000 pour D614G. Cette substitution est assez singulière car elle concerne principalement le Royaume-Uni et surtout l’Australie. Quoi qu’il en soit des modifications de virulence, ce fait montre qu’une mutation peut se répandre presque uniquement à cause de facteurs géographiques, en étant disjointe de toute considération en terme de contagiosité différentielle ou de gravité. Il faut donc être prudent et disposer d’arguments expérimentaux solides avant de relier une mutation à une modification des propriétés du virus.

 

Conclusion

 Aucun élément ne permet de relier une mutation du SARS-CoV-2 à un changement de virulence. En réalité, des dizaines voire centaines de milliers de variants circulent, chacun contenant une moyenne de 10 mutations nucléotidiques, ce qui fait quelques substitutions d’acides aminés, entre 4 et 8 pour donner une estimation (il faut exclure les mutations synonymes (silencieuses) qui n’affectent pas la traduction du codon en acide aminé). Il n’y a ni souches, ni clades, terme transposé illégitimement depuis la théorie de l’évolution vers la virologie. Seule une analyse systémique peut tracer des conclusions en reliant hypothétiquement les populations virales au tropisme et en suivant les décalages épidémiologiques (voir mon article). Relier un changement de virulence à une minuscule mutation est bien hasardeux. Si le dernier variant de Raoult est détecté, c’est probablement parce qu’il a une circulation géographique locale, comme le S477N, localisé principalement en Australie.

 

 L’augmentation des réanimations à Marseille a sans doute d’autres causes, plus sociologiques et géographiques que moléculaires. Les épidémiologistes sauront les trouver car elles existent. La circulation d’un variant plus virulent en termes cliniques est donc assez improbable mais pas à exclure. Si tel était le cas, il faudrait expliquer comment ces variants apparaissent, sans doute en passant par un tropisme pulmonaire. Didier Raoult a effectué une annonce précipitée qui ne peut que renforcer l’ambiance anxiogène présente depuis deux mois.

 

 

Références

 

Article du Figaro

https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-didier-raoult-s-inquiete-d-une-nouvelle-mutation-plus-virulente-20201006

 

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Callaway E. ; making sense of coronavirus mutations

https://media.nature.com/original/magazine-assets/d41586-020-02544-6/d41586-020-02544-6.pdf

 

Colson P. ; Dramatic increase in the SARS-CoV-2 mutation rate and low mortality rate during the second epidemic in summer in Marseille

https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/04/FD_Raoult_SARS-CoV-2_EID_Sep2020_vL2.pdf

 

Corber B. et al. ; Tracking Changes in SARS-CoV-2 Spike : Evidence that D614G Increases Infectivity of the COVID-19 Virus ; Cell, Volume 182, Issue 4, 20 August 2020, Pages 794-795

https://doi.org/10.1016/j.cell.2020.06.043

 

McLean O. et al. ; Response to “On the origin and continuing evolution of SARS-CoV-2”

https://virological.org/t/response-to-on-the-origin-and-continuing-evolution-of-sars-cov-2/418

 

Substitution S477N

http://cov-glue.cvr.gla.ac.uk/#/project/replacement/S:S:477:N

 

Dugué B. ; Covid-19 et Covirhume : la virologie explique une fin prochaine de l’épidémie.

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/covid-19-et-covirhume-la-virologie-227456

 


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