A quoi sert le boson de Higgs ?

par Céphale
mercredi 14 décembre 2011

La presse a annoncé que le CERN présenterait les derniers résuitats des expériences destinées à prouver l'existence du boson de Higgs au cours d'une conférence le 13 décembre. Au lendemain de cette conférence, voici ce qu'il faut en retenir.

Le mardi 13 décembre 2011, deux physiciens du CERN ont présenté les résultats de deux années de collecte et d'analyse de données provenant du LHC (Large Hadron Collider), qui est le plus gros appareil d’observation de l’infiniment petit jamais construit dans le monde. « Nous ne pouvons pas exclure la présence du boson de Higgs du modèle standard en raison d'un modeste excédent d'événements qui s'est manifesté de façon assez cohérente, ont-ils dit. Cet excédent est compatible avec sa présence dans le voisinage de 124 GeV ou au-dessous, mais la signification statistique n'est pas suffisante pour permettre de conclure.  » Il est donc trop tôt pour parler de l’existence du boson de Higgs, mais les physiciens espèrent pouvoir l’annoncer en 2012.
 
Le boson de Higgs est un élément clé de la théorie qui décrit l’ensemble des particules élémentaires. Imaginée dans les années 1960 par Peter Higgs et ses collègues, cette particule permettrait d'expliquer la masse des autres particules. La confirmation de son existence manque toujours pour valider cette théorie, le « modèle standard », de façon complète.
 
Il y a plusieurs façons de présenter une théorie scientifique. Dans le cas présent, on a le choix entre trois publics différents. Le premier est composé de personnes dont les connaissances en physique ne dépassent pas le niveau des atomes. Le second est composé de personnes qui connaissent la composition des atomes et savent que leur désintégration provoque l’émission de particules qui n’existent pas à l’état naturel. Le troisième est composé de personnes qui connaissent un minimum de mécanique quantique, avec les propriétés caractéristiques des particules. J’ai choisi de m’adresser au second.
 
La radioactivité naturelle fut découverte par Becquerel en 1896 à partir de l’étude de sels d’uranium. Deux ans plus tard Pierre et Marie Curie identifiaient le radium, un nouvel élément radioactif. En 1902, Rutherford montra que les atomes radioactifs émettaient trois types de rayonnements, qu’il appela alpha, bêta et gamma. On découvrit par la suite que les bêta sont des électrons et les alpha des noyaux d’hélium. En 1911, un physicien écossais inventa un appareil de physique qui porte son nom. La « chambre de Wilson » permettait de voir le passage d’une particule alpha ou bêta dans une boîte vitrée en utilisant un phénomène de condensation, le même que celui qui fait apparaître une traînée blanche dans le ciel derrière un avion à haute altitude. Elle a permis de faire des découvertes majeures jusqu’au début des années 50, avant d’être remplacée par la chambre à bulles, qui utilise un phénomène assez semblable. Mais il faut insister sur un point : on ne peut pas « voir » une particule ; on voit seulement la trace de son passage.
 
En 1934, en utilisant une chambre de Wilson, Frédéric et Irène Joliot-Curie découvrent qu’il est possible de créer des éléments radioactifs n’existant pas à l’état naturel. Les physiciens comprennent aussitôt l’importance de cette découverte. Enrico Fermi, chercheur à l’Institut de physique de Rome, se met à créer de nouveaux radioéléments, en particulier des isotopes de l’uranium. En 1938 les événements vont se précipiter. La théorie quantique permet de comprendre qu’en produisant ces isotopes en grande quantité, on peut fabriquer une bombe. C’est alors une course de vitesse entre l’Allemagne nazie et les Etats-Unis, où se sont réfugiés Frédéric et Irène Joliot-Curie, Enrico Fermi, Albert Einstein ainsi que la plupart des physiciens européens.
 
J’ai résumé cette histoire pour montrer que, d’une part les applications de la science s’appuient toujours sur des théories, et que d’autre part une théorie scientifique ne peut progresser que grâce à l’expérience. Or les applications de la physique des particules : centrales nucléaires, radiothérapie, laser, etc. ne s’appuient que sur les modestes théories des années 50. Les développements compliqués de la physique des particules à partir de 1960, année de mise en service du premier gros accélérateur de protons du CERN, ne servent à rien sur le plan pratique. La théorie progresse grâce à l’expérience, certes, mais toutes les expériences menées depuis cette date ne dépassent pas le domaine du laboratoire. On peut alors se demander : pourquoi dépenser tant d’argent ?
 
Venons-en à des questions pratiques. Le LHC, mis en service en 2008, est le plus récent des grands accélérateurs de particules. L’un des principaux objectifs est de découvrir le boson de Higgs. On accélère des faisceaux de protons qui tournent en sens contraire avant de les faire entrer en collision en dégageant une énergie de 7 000 GeV, une énergie jamais produite dans l’univers depuis les premières minutes du Big Bang. Chaque collision produit plusieurs particules de types différents, répertoriées suivant la masse, la charge électrique et d’autres caractéristiques telles que le spin. Certaines particules sont difficiles à détecter parce qu’elles ont une durée de vie extrêmement courte. C'est le cas du boson de Higgs. Il est loin le temps où les physiciens photographiaient des gerbes de particules dans une chambre à bulles. On utilise maintenant des appareils de détection très compliqués dont le modèle a été inventé par Georges Charpak. Ils envoient des signaux électriques à des ordinateurs, et ceux-ci reconstituent le scénario de chaque collision.
 
Le problème est le « bruit de fond ». On trouve encore dans le commerce des récepteurs de radio à ondes courtes sur lesquels on peut chercher une station lointaine. En l’absence de signal, on entend un bruit de fond. Parfois, on croit entendre une musique très faible noyée dans le bruit de fond. Mais est-ce vraiment une musique ? Dans chaque expérience du LHC, les ordinateurs du CERN reçoivent des signaux de la même façon, ce qui fait dire à certains physiciens qu’ils essayent d’entendre « la petite musique du boson de Higgs ». Les signaux qui peuvent mettre en jeu un boson de Higgs sont très rares : une dizaine pour toute l’année 2011. Mais ils peuvent aussi être l’effet du hasard. Ainsi, en physique moderne, tout résultat est associé à une probabilité. Le grand physicien Louis de Broglie, inventeur de la dualité des ondes et des particules, l’avait déjà annoncé en 1924. Les physiciens du CERN considèrent qu’une particule est détectée quand la probabilité de n’entendre que du bruit de fond est inférieure à un sur un million. Ce n’est pas encore le cas, et c’est pourquoi les expériences vont se poursuivre jusqu’à la fin de l'année 2012.
 
Reste la question : à quoi sert le boson de Higgs ? Il ne sert qu’à confirmer un modèle qui peut conduire à des applications pratiques dans un temps plus ou moins proche. Telle est la glorieuse incertitude de la recherche fondamentale.

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