Après Darwin
par Bernard Dugué
vendredi 28 juillet 2006
Mes quatre précédents billets Agoravox sur la mise en cause du darwinisme ont suscité près de 400 commentaires, preuve que la pensée scientifique peut intéresser les citoyens en période de futilités festives lors du Mondial et d’inquiétudes légitimes suscitées par guerre au Proche-Orient. Le contenu des commentaires m’amène à cette dernière mise au point.
Actuellement, l’évolution des espèces est conçue par une théorie néo-darwinienne assez complexe, faisant appel à de multiples données expérimentales issues de trois disciplines de la biologie moderne, systématique, paléontologie, génétique des populations, auxquelles sont associés les résultats plus récents de la biologie moléculaire, celle-ci fournissant des données sur le génome des espèces et la variabilité des gènes, calculée par des méthodes rigoureuses. Bien qu’acceptée par une majorité de scientifique, cette théorie est mise en cause par divers courants, le plus connu étant l’Intelligent design. Michaël Denton, biologiste australien, a publié un ouvrage dans lequel il critique le néo-darwinisme. Ce qui est certain, c’est que les opposants à la théorie orthodoxe n’ont pas produit d’alternative sérieuse, autrement dit, une nouvelle théorie, concurrente. Ce qui est reproché au néo-darwinisme, c’est qu’il n’explique pas quelques spécificités de la Vie. Essentiellement deux choses, son origine et l’incroyable fonctionnement coordonné de ses milliards de molécules. Sur ces deux points, la théorie de l’évolution ne dit rien et peut-être qu’elle n’a rien à dire. Son dispositif empirique n’est pas adéquat pour élaborer une théorie. D’ailleurs, c’est cette absence de testabilité que les néo-darwiniens reprochent aux partisans de l’ID et donc, conclusion évidente, l’ID n’est pas une science. Et les esprits simplistes de décréter que c’est une théologie alors que son statut relève plus de la philosophie de la Nature.
La situation est donc claire. A la question sur le statut des conceptions et autres doctrines alternatives de l’évolution, on répond clairement, philosophie de la Nature, voire méta-biologie, sans occulter le cas du créationnisme qui lui relève de la théologie. L’évolution se comprend avec deux aspects, le comment et le pourquoi.
(I) La science de l’évolution porte sur le comment, sur les moyens (bio-techniques, physico-chimique) qu’emploie la Vie pour se maintenir dans un milieu et le cas échéant, se transformer. La science accède à ce niveau de description grâce à sa méthodologie empirique lui fournissant une masse considérable de données qu’elle peut combiner en une synthèse élégante.
(II) A la science de l’évolution s’ajoute une philosophie de la Vie qui a pour objectif de fournir une explication. Le tout est d’être clair et honnête dans les prétentions de cette philosophie. Celle-ci n’a pas pour objectif de se substituer à la science empirique. Elle n’est pas testable (pour l’instant) mais peut très bien afficher des prétentions dans le domaine de la connaissance, au même titre que la philosophie de l’Histoire ou la psychanalyse qui appartiennent aux sciences de l’homme alors qu’elles sortent du champ scientifique tel qu’il a été démarqué par Popper.
(III) parmi les théories explicatives de l’évolution, certaines peuvent contredire les faits et par conséquent, ne satisfont aux exigences de vérité. Le créationnisme est faux. Par contre, des théories combinant les résultats actuels de la science avec des compléments explicatifs (causes non mécanique, champ d’interactions faibles et fortes, téléologie, substance réflexive...) sont susceptibles de fournir des doctrines philosophiques relevant du champ des connaissances. Ces doctrines ne peuvent être jugées comme fausses, puisqu’elles ne contredisent pas ce que la science sait, et que par ailleurs, elles ne sont pas testables. Tout au plus la science peut les juger inutiles. En dernier ressort, le néo-darwinisme ne peut rien dire sur les causes non mécaniques, la téléologie etc. Si on ne peut pas tester ce genre d’hypothèses, on ne peut alors les infirmer et la science ne peut pas se prononcer sur l’inexistence de ces causes, simplement envisager qu’elles n’existent pas mais que l’inverse est tout aussi plausible. Pour le redire autrement, la science ne peut réfuter les thèses impliquant des ordres de causalité hétéronomes (attracteur par exemple, si on emprunte à Anne Dambricourt) à son dispositif théorique assuré (sélection, mutation etc...) ; elle peut juste dire que cela est du domaine de la philosophie spéculative.
Une fois ces clarifications établies, nous pouvons préciser la nature de la controverse entre les néo-darwiniens et les « évolutionnistes alternatifs ». Dire que cette controverse est scientifique est irrecevable puisque la science ne peut pas trancher. Et la meilleure des solutions est de reconnaître que le débat se situe sur le plan philosophique. Ce qui est une bonne nouvelle pour la philosophie. La science ne peut pas trancher mais laisse accroire qu’elle a un horizon de vérité et qu’elle se rapprochera petit à petit, à force d’expérimentations, modélisations, réfutations, de la théorie définitive. Telle est la vulgate que les « honnêtes scientifiques » diffusent. Une modestie épistémologique mâtinée d’espérance mais pas de remise en cause sur les limites de la science. Cette science qui pour des raisons légitimes ne veut pas voir la philosophie empiéter sur son domaine. L’affaire est maintenant entre les mains de la pensée spéculative et c’est ce champ qui devrait avoir une place dans les institutions, modeste bien sûr mais dotée de quelques moyens pour favoriser le développement de petites équipes de recherche en ce domaine.
Certains se contentent de l’efficacité opérationnelle de la science mais d’autres sont en attente de réponses à des questions sur la véritable nature des processus (autres que physico-chimiques) impliqués dans la Vie et l’Evolution ; des réponses que ne peut fournir la science mais que l’imagination spéculative pourrait aborder. Et ce n’est pas la meilleure stratégie que d’insister sur les failles du darwinisme comme le font les partisans de l’ID. Certes, il faut bien mettre un peu de lumière dans la boîte noire de Darwin mais la solution du dessein intelligent semble un peu trop facile et du reste dépendante d’une antithèse qu’on soupçonne, celle de l’horloger aveugle de Richard Dawkins. Des solutions plus élaborées que l’ID sont envisageables. C’est tout ce qu’on peut conclure en soulignant quelques obstacles s’opposant à l’élaboration de spéculations philosophiques sur la Vie.
En premier lieu, si ces spéculations veulent être crédibles, il faut qu’elles soient élaborées sur la base des savoirs scientifiques actuels ce qui soulève la question du qui. Pratiquement tous les scientifiques sont submergés par l’activité de laboratoire ordinaire (comme dirait Kuhn), ce qui laisse peu de temps pour réfléchir à la théorie du vivant ainsi que pour l’étude des conceptions déjà élaborées, notamment en systémique. A cela s’ajoute le fait que ce genre d’activité est plutôt mal vue, sans une reconnaissance dans une discipline instituée et des revues cotées ; ainsi, un scientifique a tout intérêt à éviter d’aller dans ce champ théorique. Les quelques philosophes rompus à la spéculation métaphysique n’ont pas le bagage scientifique assez poussé pour aborder la théorie du Vivant. En second lieu, le caractère non testable et de surcroît non utilitaire du projet, éloigne les décideurs, tandis que la demande citoyenne reste relativement faible et ne peut exercer une pression sur les pouvoirs publics pour qu’ils soutiennent cette activité. Le système de séparation des savoirs n’arrange rien, accroissant les ignorances mutuelles entre spécialités, aggravant le schisme entre science et philosophie (Pourtant, rien ne peut être affirmé sur l’issue de cette recherche, sur d’éventuels débouchés dans le domaine scientifique avec des expériences et par voie de conséquence de possibles applications) Voilà pourquoi une voie de recherche ne sera pas explorée, restant à l’état embryonnaire dans la confidentialité de rares revues.
A lire ou relire, ce projet de centre d’ontologie en attente d’un soutien financier et de l’implication de quelques scientifiques de diverses disciplines et puis ce texte présentant mes spéculations, que vous pourrez étudier pour son contenu, en étant j’espère indulgent sur des erreurs à corriger mais qui ne mettent pas en cause l’essentiel des spéculations. Dernière mise au point, le "ni Bible ni Darwin" signifie que je refuse le créationnisme parce qu’il est en contradiction avec des faits avérés et prouvés par la science, et que j’en fais autant pour toute théorie qui présente cette tare. Par contre, si je me démarque du néo-darwinisme, c’est parce cette théorie scientifique ne répond pas à des questions que je me pose avec d’autres sur l’explication de la Vie et de sa transformation. Le créationnisme est faux, le néo-darwinisme est incomplet et ne pourra être complété sans un apport spéculatif radical.