Après le typhon numérique, le monde de l’édition littéraire se reconstruit

par Anne-Caroline Paucot
jeudi 22 mars 2007

2014... Création d’une multinationale de l’édition, OPA sur tous les auteurs, accès gratuits aux œuvres, nouvelles formes de lecture... Après le tsunami qui a ravagé en 2010 le monde de l’édition littéraire et anéanti les circuits traditionnels de production et de distribution de livres, le paysage s’est reconstruit. Galipart Depaques, historien de la numérisation, revient sur ce bouleversement.

Comment tout a commencé ?

Comme dans tous les domaines, par des certitudes et des signes avant-coureurs que l’on ne veut pas voir. Jusqu’en 2009, il était de bon ton d’affirmer que le livre papier avait encore de beaux jours devant lui. Plusieurs versions de livres électroniques avaient connu des échecs qui confirmaient l’immuable pérennité du livre. Dans un bel élan, les éditeurs aimaient à dire que le progrès avait encore beaucoup de progrès à faire car, question technique, il n’y avait rien de mieux que le livre : on n’avait pas besoin de le recharger, il n’était infecté par aucun virus, il était facilement transportable... Si des Cassandre affirmaient que l’édition allait connaître les mêmes déboires que les industries musicales et cinématographiques, les éditeurs n’étaient pas inquiets et se contentaient de lutter contre les projets de numérisation d’œuvres littéraires orchestrés par les géants du Net de l’époque. En résumé, alors qu’on était entré dans un monde de numérisation et de dématérialisation, les éditeurs pensaient encore que l’objet livre résisterait.

Et ce fut le coup de théâtre ?

Oui, le 11 novembre 2009, quatre géants, Amazon, Google, Apple, Microsoft, et certains frères ennemis, annoncèrent qu’ils unissaient leurs forces pour créer un joli bébé du nom de Bookle. Sans attendre, Bookle annonça qu’il achetait toutes les œuvres littéraires existantes et les proposait en téléchargement gratuit. Les écrivaillons du monde entier lui envoyèrent leurs œuvres. Bookle constitua un catalogue avec parfois du meilleur et souvent du pire. Il le compléta en versant de généreuses royalties aux ténors du clavier.

Vous expliquez dans votre livr’blog que les éditeurs furent fatalistes et cyniques ?

Ils cherchèrent quelques failles juridiques pour mettre des bâtons dans les roues à Bookle. N’en trouvant pas, ils se dirent que ce cirque ne durait pas. Aussi confortables du portefeuille soient les actionnaires de la société Bookle, ils en auraient rapidement assez de cracher au bassinet pour acheter des autobiographies de tous ces inconnus qui étaient partis de rien pour arriver à rien. Leur grand jeu, relayé par la presse, était de faire acheter à Bookle les textes les plus stupides. Il y avait même des concours de l’ineptie.

Et ce fut le deuxième coup de théâtre.

Non, la deuxième étape fut plus subtile. Alors que les internautes téléchargeaient massivement les milliards d’œuvres gratuites, Bookle proposa à bas prix des modes de lecture originaux. Les premières furent l’odiolire et le livre jetable. Ensuite il y eut le livre écran, l’holire... (cf. Les livres de demain ou d’après-demain).

Quels éditeurs résistèrent à la tempête ?

En toute logique ceux qui avaient acquis une culture du numérique au moment de la tempête. Les autres continuèrent à s’accrocher à leurs croyances en l’immortalité du livre. Leurs réactions furent pour le meilleur et le pire de la création littéraire. Certains misèrent sur quelques stars du mot. Ils achetèrent à prix d’or le copyright d’auteurs morts ou vivants et l’exploitèrent au-delà de la raison.

Le boom de « à la manière de... »

Oui, ils utilisèrent l’ordinateur pour produire ce qu’on appelle les livres avatars ou livres moulinés par des ordinateurs qui reproduisent le style, la sémantique, l’imaginaire d’un écrivain pour traiter d’un nouveau sujet. Certains poussèrent le bouchon sur les rives du n’importe quoi. Quand le virus nommé « mortdudernieroursblanc » a congelé les réseaux informatiques pendant plusieurs jours, ils ont lancé « Trip au bout de la night » qui utilisait la plume de Céline pour raconter l’événement. Ce fut, à ma connaissance, un des livres les plus téléchargés. D’autres fabriquèrent des fast books. Une armée d’écrivaillons dispersés aux quatre coins de la planète travaillait sous les ordres d’un ordinateur sémantique pour écrire le livre qui devait plaire aux Touaregs du désert comme à la ménagère de moins de cinquante ans du fin fond du Colorado.

Des succès ?

Oui, celui du PGMM (plus grande médiocrité du monde). Pour le bonheur de la création, ce furent des échecs commerciaux retentissants. Côté plus, des éditeurs utilisèrent la technologie pour le meilleur de l’écrit. Ils copièrent le système de Bookle en misant sur la qualité de l’écriture et du conseil. Très rapidement, les lecteurs ont en eu assez de devoir s’enfiler des heures de fadaises avant de trouver un écrit comestible. Ils abandonnèrent les producteurs de hachis industriel de mots pour les exigeants. Une multitude d’éditeurs de qualité prirent pignon sur le Net et le paysage éditorial devint multiculturel et spécialisé.

Quels furent les gagnants et les perdants de l’histoire ?

Les gagnants sont en priorité les lecteurs. Ils peuvent aujourd’hui pour un budget raisonnable avoir accès à des productions littéraires de qualité adaptées à leurs goûts. D’autre part, les auteurs. Dans cette confrontation avec les ordinateurs, leur savoir-faire a été reconnu et ceux qui ont du talent ont des rémunérations en adéquation avec leur travail. Les perdants furent les éditeurs qui avançaient avec des idées fixes. Ils furent dépassés par les événements et durent plier bagage. Enfin, il semble que les nouveaux n’aient pas pour autant compris la leçon car de nouveaux signes de scléroses sont en train de miner le marché.

Toutes ressemblances avec des faits qui existeront demain ne sont pas fortuites.


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