Arénicole, un ver qui nous veut du bien

par Mikaël Cabon
mercredi 30 avril 2008

Une molécule tirée de l’arénicole, un ver marin présent en abondance sur les côtes, est riche de possibilités en matière de transport d’oxygène au sein de l’organisme... humain. Hemarina, une start-up de la mer, s’est créée pour l’exploiter commercialement. A partir de la station biologique de Roscoff comme ManRos.

Arénicole, transporteur. Pour être simple, la carte de visite du ver marin, arenicola marina, n’en est pas moins prometteuse. Après vingt ans de recherche, une équipe de recherche en écophysiologie du CNRS sous la direction de Franck Zal, a découvert chez ce ver marin, plus connu pour servir d’appât aux pêcheurs, des propriétés étonnantes. En effet, son hémoglobine possède des caractéristiques exceptionnelles. « Elle est extracellulaire (non englobée dans des globules rouges), sans typage sanguin, avec un poids moléculaire qui est 50 fois celui de l’hémoglobine humaine. Anti-oxydante intrinsèquement, elle est dotée de propriétés fonctionnelles de fixation et de libération de l’oxygène proches de l’hémoglobine humaine », indique Franck Zal.

Basé à Roscoff, il vient de créer Hemarina, en compagnie de Morgane Rousselot et John Thébault. Cette start-up spécialisée dans les biotechnologies est dédiée à la recherche et au développement de nouvelles applications médicales des propriétés de Hbam, la molécule d’hémoglobine de l’arénicole. De nombreux prix, parmi lesquels ceux du Sénat dans la catégorie « Sciences de la vie », du ministère de la Recherche dans la catégorie « Emergence », ont consacré la pertinence du projet. Et la composition du comité scientifique (1) témoigne des espoirs engendrés par cette découverte. Enfin, la création de la société fait l’objet d’une levée de fonds de douze millions d’euros auprès d’investisseurs enthousiastes. Une multitude d’applications sur le marché de la santé est envisageable. Hemarina en vise trois principales dans un premier temps.

Préservation d’organes

En 2005, 93 000 transplantations ont eu lieu dans le monde. Un chiffre qui, du fait de l’amélioration des techniques médicales et de l’acceptation grandissante du don d’organes dans l’opinion publique, croît chaque année. Néanmoins la demande est supérieure à l’offre. « Aucune des solutions n’apporte de l’oxygène aux greffons, note Franck Zal. L’hémoglobine développée par Hemarina permettra d’augmenter la durée de préservation et d’améliorer la conservation des organes transplantés », et donc d’éviter la perte de précieux greffons. Ce marché est estimé à 50 millions de dollars par an. Hemarina pense commercialiser ses produits d’ici deux à trois ans.

Pansement actif

Le diabète empêche la cicatrisation des plaies au niveau des membres inférieurs, en particulier au niveau du pied. L’oxygène nécessaire à la cicatrisation circule mal dans le corps en raison de la maladie. C’est ce que l’on appelle le syndrome du pied diabétique. 20 millions de personnes en souffrent dans le monde. Et cela occasionne un million d’amputations chaque année. Or, via un pansement actif, l’hémoglobine Hemarina permettrait l’apport d’oxygène sur la zone cible. « Ce dispositif médical permettrait de focaliser l’oxygène sur la plaie et donc d’en faciliter la cicatrisation », pense Franck Zal qui négocie actuellement des partenariats avec les plus grands fabricants de pansements au niveau mondial.

Transfusion sanguine

La pénurie de sang au niveau mondial est estimée à 100 millions de litres. Sur ce marché l’hémoglobine roscovite pourrait servir de substitut sanguin. « Pas pour faire du sang artificiel, car le sang humain possède un grand nombre de fonctions particulières, prévient Franck Zal, mais par ses caractéristiques de transporteur d’oxygène, elle pourrait être utilisée dans des cas aigus d’anémie. »

Reste la question de la production de cette hémoglobine. Aujourd’hui c’est une société britannique spécialiste de l’aquaculture, SeaBait Limited, qui cultive des arénicoles. Après le prélèvement d’échantillons d’arénicoles correspondants aux propriétés recherchées, la fécondation des gamètes se réalise in vitro. La production répond donc aux deux qualités nécessaires pour pouvoir commercialiser la molécule : homogénéité et traçabilité. Dans le même temps, Hemarina exploite d’autres pistes de production grâce au génie génétique. A terme plusieurs laboratoires de production pourraient être implantés au plus près des lieux de consommation.

Au fil du temps, Franck Zal, le chercheur, s’est mué en entrepreneur. Avec un plaisir non dissimulé. « Selon moi la distinction entre recherches fondamentale et appliquée n’a pas de sens. Les deux vont de pair. » Ses molécules multi-applications lui ouvrent de multi-perspectives.

1. On y retrouve Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, Claude Férec, directeur de l’établissement de transfusion sanguine de Bretagne occidentale, Bernard Pau, professeur d’immunologie à Montpellier, Thierry Hauet, médecin et membre de l’Inserm de l’université de Poitiers ainsi qu’André Toulmond, ancien directeur de la station biologique de Roscoff et co-découvreur avec Franck Zal et François Lallier, des propriétés de l’arénicole.


Lire l'article complet, et les commentaires