Boeing survivra-t-il aux Crashes du 737 MAX ?

par Henri de Waubert de Genlis
samedi 14 décembre 2019

Il est inutile de revenir sur la destruction lente mais effective de la culture aéronautique subie par la société Boeing depuis 2005. L’année à partir de laquelle le nouveau PDG Jim MC Nerney a privilégié les actionnaires à ses ingénieurs qui, jusque-là, avaient fait de Boeing le respecté géant aéronautique que l’on connaît.

Le point d’orgue de la mauvaise décision fut la remotorisation sans modernisation de la cellule du 737 conçue dans les années 1960 par les nouveaux moteurs « Leap » certifiés en 2017 et bien plus économes en carburant.

C’était l’équivalent d’une remotorisation aux normes Euro 6 d’une Renault Dauphine !

Ainsi par une décision purement financière cet avion qui représente 78% du carnet de commande de Boeing allait devenir ainsi la machine-à-cash rêvée. 

Au 11 décembre 2019 date où le patron de la FAA a déclaré que la certification du 737 MAX ne se ferait pas avant 2020 - Boeing a « Grillé » près de 13 Md$ de cash ! Somme qui aurait été suffisante pour redessiner l’aile et améliorer son interface avec les moteurs qui est la principale cause du désastre.

L’avion qui sera présenté à la certification sera donc identique du point de vue de sa cellule ! c’est-à-dire un avion toujours aussi dangereux et non-certifiable en l’état. L’aide électronique, le tristement connu MCAS sera modifié et son « autorité » limitée pour laisser aux pilotes la possibilité de garder eux-mêmes le contrôle de l’avion.

Les alarmes indiquant un fonctionnement douteux ne seront plus des options payantes grâce à une demande expresse de deux membres du Congrès..

Vraisemblablement, ce MCAS prendra en compte les informations des deux incidencemètres au lieu d’un. Ceci augmentera le taux de pannes puisqu’il ne sera pas possible de distinguer laquelle des deux sondes - qui évaluent le degré du filet d’air par rapport à la référence horizon de l’avion - ne fonctionne pas. (NDLR : Airbus a trois incidencemètres). La formation des pilotes pour faire face à cette situation cette situation sera donc fondamentale.

Une remise en exploitation commerciale de cet avion ne semble pas être techniquement envisageable avant la mi-2020 soit après 25Md$ de pertes au bas mot.

Une fois l’avion à nouveau certifié Boeing devra en plus assumer financièrement :

- la modification de tous les avions ;

- l’entraînement aux nouvelles procédures des 5500 pilotes dédiés ;

- la maintenance programmée des machines immobilisées pendant plus d’une année ; 

- le dédommagement des compagnies utilisatrices pour la perte de chiffre d’affaires et les frais engagés pour louer d’autres avions etc. ;

- les dommages et intérêts des parents des victimes - qui n’oublieront pas la phrase prononcée par un membre du congrès qui auditionnait le PDG rétrogradé au rang de DG de Boeing « Alors après l’accident de la compagnie Indonésienne vous avez continué sciemment à fabriquer des « cercueils volants ! ».

Certaines compagnies aériennes auront beaucoup de mal à convaincre leurs clients que le 737 MAX est devenu sans danger...

Boeing peut-il assumer financièrement ces pertes  ?

Boeing a entamé des cycles de négociations discrètes avec ses plus gros clients en proposant des dédommagements sous la forme de rabais massifs par rapport au prix catalogue de ses avions.

Avec un carnet de commande de plus de 3000 B737 MAX, c’est une démarche habile mais qui a ses limites.

La société Boeing aux 100Md$ de chiffre d’affaire au total en 2018 est également un géant présent dans le domaine de la défense et de l’espace avec un CA annuel de l’ordre de 25Md$.

Bien que chaque mois qui passe apporte son lot de révélations toutes compromettantes pour le constructeur, Boeing survivra vraisemblablement à cette perte. Mais malgré les modifications en profondeur entreprises au niveau de son management sa réputation restera durablement entachée. Il n’y a toujours, dans le monde, que deux fournisseurs en capacité de fournir l’appétit grandissant en matière de transport aérien. Il faudrait pour Airbus au moins deux années pour augmenter significativement ses cadences et la Chine est toujours en phase de certification pour son produit concurrent. C’est la chance de Boeing.

Notons qu’au moment-où des sanctions de l’OMC frappaient Airbus (7,5 Md$), le Pentagone commandait à Boeing pour 2,6 Md$ d’avions ravitailleurs dérivés du B767 - alors que son client, l’USAF, en critique le retard et la mise au point loin d’être achevée.

Mais il n’y a qu’en Europe que les états financent l’aviation civile, l’OMC nous l’affirme !

 

Notes :

- Md$ milliard de dollars US

- Assurances « Grounding » assurances prises par les constructeurs d’avions et contractées auprès de la communauté des assureurs et réassureurs mondiaux pour couvrir ce genre d’événement et pour une période de temps n’excédant pas en général une période de quelques mois.

 


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