Breakthrough Starshot, l’attrape nigaud
par HClAtom
samedi 14 janvier 2017
Visiter l'étoile la plus proche, quel beau projet ! Surtout quand des pointures médiatiques comme Stephen Hawking donnent leur bénédiction. Malheureusement les lois de la gravitation ne font pas dans le rêve, mais plutôt dans la dure réalité : le guidage d'une sonde par laser est illusoire.
Le projet Breakthrough Starshot (site, wiki) est formidable. Il s'agit d'envoyer des micro-satellites vers l'étoile la plus proche, Proxima du Centaure, à 20 % de la vitesse de la lumière. A une telle allure il ne faudrait que 22 ans pour atteindre l'objectif. On fait alors quelques photos et quelques mesures qui sont expédiées vers la Terre sous forme d'émissions radio, qui mettront 4 ans à revenir sur Terre. Bref, moins de 30 ans pour avoir des photos du prochain système solaire. Pour atteindre le cinquième de la vitesse de la lumière il est prévu de propulser les satellites, dotés de voiles solaires, grâce à un laser surpuissant. Comme le vent propulse un voilier, les photons du laser propulseront les micro-satellites à voile solaire.
Ca c'est pour la théorie. La pratique est en revanche un peu plus compliquée, et nombreux sont les problèmes à résoudre. Le laser, par exemple, doit fonctionner pendant une dizaine de minutes avec une puissance de 100GW. Pour donner une idée, une centrale nucléaire moyenne produit 1GW, ce qui impose à l'infrastructure fournissant l'énergie du laser d'être l'équivalent d'une centaine de centrales nucléaires. Impossible d'envoyer un tel dispositif en orbite, nous n'avons pas les lanceurs qui seraient nécessaires. Il faut donc que le laser tire depuis la surface terrestre, si on a trouvé auparavant de quoi le financer. Et ceci n'est qu'un seul des problèmes à résoudre.
Mais à cœur vaillant, rien d'impossible, et le milliardaire Youri Milner relève le défi en injectant pas moins de 100 millions de dollars pour lancer le projet. De nombreuses cautions scientifiques acceptent de collaborer, comme l'astrophysicien Freeman Dyson, celui de la fameuse « sphère de Dyson », et même le très médiatique Stephen Hawking. Voilà de quoi garantir les meilleures chances de succès à ce projet pharaonique.
Y a-t-il un géomètre dans la salle ?
Tout cela serait fort bien s'il n'y avait pas un gros problème de géométrie, à cause des lois de la gravitation. Je vais vous l'exposer ici, et pour commencer jetons un coup d'œil aux valeurs numériques d'angle et de distance dont il est question dans un tel projet.
Sur la figure 1 on a représenté le Soleil, la Terre et l'étoile Proxima, mais bien évidemment ce shchéma n'est pas à l'échelle car la distance L, séparant la Terre de Proxima, vaut environ 4.1013 km, tandis que la distance Terre-Soleil vaut environ 1.5 108km, soit près de 270 000 fois moins.
Figure 1 : schéma non à l'échelle montrant l'écart « dx » à l'étoile visée (Proxima) pour un écart de « da » degrés d'angle par rapport à la route directe « L ».
Quoi qu'il en soit, la figure 1 montre qu'un écart de da degrés d'angle dans la visée vers Proxima, se traduira par un écart dx à l'étoile visée. On comprends dès lors que dx doit être le plus faible possible pour approcher l'étoile. La formule de géométrie qui donne dx en fonction de da est très simple, et provient simplement du théorème de Pythagore : dx = L tan(da). A titre d'exemple on voit qu'un écart da =1 degré fera passer la sonde à environ 7 1011km de l'étoile visée, soit près de 5000 fois la distance Terre-Soleil, ou ou encore près de 160 fois la distance Soleil-Pluton.
En passant à une telle distance de l'étoile il n'y a aucune chance de visiter les planètes qui sont proches de sa zone habitable, et autant dire qu'on la raterait.
A ce stade on voit qu'il est important de définir quelle distance dx à l'étoile est acceptable pour la mission envisagée. J'ose m'avancer en disant que la zone d'habitabilité est la plus intéressante, et dès lors on peut se fixer une distance qui correspond peu ou prou à la distance Terre-Soleil, en faisant l'hypothèse simplificatrice que Proxima est une étoile équivalente au soleil. Cette distance est d'environ 1.5 108km. Un rapide calcul nous montre alors que da doit valoir environ 2 10-4 degré d'angle, et cet écart d'angle peut être doublé, puisque les deux côtés de l'étoile sont acceptables. Au total l'écart de visée ne devra pas excéder 2da = 4 10-4 degrés d'angle, soit 4 dix millièmes de degré.
Soyons maintenant plus précis, et parlons du mouvement de la Terre autour du soleil. La figure 2 donne une visualisation schématique du problème posé. Un laser posé sur Terre, et tirant sur un satellite pour le guider, n'aura qu'un temps d'action précis possible si on veut rester dans la marge d'erreur d'angle 2da. Le calcul du temps permis pour le tir laser est assez simple, on trouve environ 30 secondes (combien de degrés parcourus par seconde par la Terre sur son orbite, puis une simple règle de trois, en considérant que la distance Terre-satellite est négligeable devant la distance satellite-Proxima).
Figure 2 : en tenant seulement compte de la rotation de la Terre autour du soleil, on voit qu'un laser fixe ne pourra propulser les satellites que pendant un temps précis, si on ne veut pas sortir de l'angle de visée acceptable 2da
Vous pouvez critiquer cette démonstration car elle est très simpliste. En réalité la Terre tourne sur elle même, les satellites sont en orbite autour de la Terre, à plusieurs km par secondes, et si on devait tout compter, on arriverait plutôt à une fenêtre de tir de quelques centièmes de secondes, une fois par an. Quoi qu'il en soit, notre modèle très simplifié, et à vrai dire infiniment trop optimiste, nous laisse une fenêtre de tir d'une trentaine de secondes. Nous sommes donc loin des 10 minutes annoncées comme nécessaires par le projet Breakthrouh Starshot. Un tir d'une telle durée, avec un laser situé sur la Terre, ne peut donc que perdre la sonde dans l'espace, sans jamais atteindre l'étoile.
Pour être parfaitement certain de guider les sondes avec le laser, il serait bien sûr nécessaire d'assurer l'alignement laser, sonde, Proxima, pendant 10 minutes. Pour ce faire il faudrait satelliser le laser et les sondes afin d'éviter la rotation de la Terre sur elle même et son action sur la vitesse orbitale du couple laser/sonde. Rêvons que nous y arrivions, le laser serait toujours en orbite autour du soleil, ce qui fait revenir au schéma de la figure 2, où le laser remplacerait la Terre. On comprend alors qu'il faut en réalité assurer l'alignement Soleil, laser, sonde, Proxima. Cela revient, ni plus ni moins, à annuler la vitesse orbitale du laser et des sondes autour du soleil. Cette vitesse vaut environ 30 km/s, si on se trouve à la distance de la Terre par rapport au Soleil. Aucun moteur de fusée existant, ou envisageable avec nos technologies actuelles, n'est capable de fournir un tel delta V (différence de vitesse orbitale, voir wiki). Tout au plus savons nous faire du 2 à 3 km/s, pour un prix exorbitant. On peut bien sûr éloigner le laser et les sondes du Soleil, pour avoir un faible delta V, genre 1km/s, mais il faut alors les positionner à une centaine de fois la distance Soleil-Pluton. C'est à dire envoyer une centaine de centrales nucléaires à 100 fois la distance Soleil-Pluton ...
Y a-t-il un scientifique dans la salle ?
Visiblement les responsables du projet Breakthrouh Starshot n'ont pas pensé à tout. Vous me direz, ils apportent 100 millions de dollars, on ne peut donc pas leur en vouloir. On ne peut pas non plus en vouloir à Mark Zuckerberg, membre du board de ce projet, car nul n'est tenu de connaître les secrets de la mécanique gravitationnelle. En revanche on peut douter des raisons qui attirent les cautions scientifiques de ce projet, car eux ne peuvent ignorer des problèmes de géométrie aussi simples. Certes nous sommes habitués aux erreurs de Stephen Hawking dans ses théories de physique, mais ici la ficelle est très épaisse. Un tel scientifique devrait avoir l'obligation de prévenir que les lois de la gravitation rendent illusoire un tel projet, et ainsi qu'on évite une gabegie d'argent inutile. 100 millions de dollars, voire les centaines de milliards de dollars finalement nécessaires, seraient bien mieux utilisés dans la recherche pour des énergies propres, par exemple.