Confession d’un infréquentable

par C’est Nabum
vendredi 8 février 2013

Journées mondiales sans portable

La vie sur un fil ténu.

Je vous dois ici un aveu qui me coûte. Je suis un de ces rares infréquentables qui n'ont pas de portable. Dans les conversations mondaines, les rencontres autour d'un verre, les dîners amicaux, je n'ai aucune conversation. Je n'ai rien à dire des applications qui ne se trouvent pas dans le téléphone que je n'aurai jamais. Que dire encore lorsqu'il s'agit de comparer les prouesses techniques de ce merveilleux engin que tous les autres n'ont de cesse d'avoir en main ?

Mais je vais bien vite en besogne. J'évoque des rencontres qui désormais me sont le plus souvent impossibles. J'ai l'outrecuidance d'arriver à l'heure au rendez-vous fixé, au point de rencontre prévu initialement. Désormais, je peux attendre fort longtemps ! L'affreuse merveille d'électronique permet à tout moment de décaler la rencontre, de changer le point de ralliement. Moi, qui ne suis pas joignable, je n'ai plus qu'à rentrer chez moi, la mine triste et la solitude en bandoulière.

Si par miracle, il m'arrive de trouver sur place mes compagnons, je suis irrémédiablement exclu des conversations qu'ils ont à tenir avec de lointains amis. Chacun dans son coin, converse avec un interlocuteur absent. Nous ne sommes ensemble que pour le plaisir de nous voir. Pour nous parler, il n'y a d'autre solution que l'immonde boîtier bavard.

De cette remarque précédente, je découvre hélas que je n'ai plus de discussion. Nul ne prendra le risque de joindre celui qui n'a pas ce fil à la patte. On ne m'appelle pas, on ne me cause plus. Je me mure dans le silence de ceux qui tournent le dos à la modernité téléportée, à la dépense imposée. Me voilà voué à la retraite monacale pour avoir commis le pire des forfaits !

Quand je parviens à croiser quelques camarades, je suis bien ennuyé quand ils se mettent tous à envoyer de par le monde des petits messages ridicules. Moi qui voudrais leur parler, j'ai bien trop de mots en bouche pour leur capacité devenue restreinte. Je demeure attaché à une langue structurée, des tournures soignées, des mots complets. Je n'use d'aucune abréviation, je suis un discoureur quand les autres communiquent avec la sécheresse d'une langue massacrée.

Dans une salle d'attente, dans un transport en commun, je suis montré du doigt. Je sors de ma poche un livre éponyme et bien des gens cherchent à comprendre ce que je peux ainsi faire. La lecture, voilà bien une activité obsolète. Ils ont des jeux stupides, des passe-temps qui ne demande aucune réflexion sur leur étrange petit écran. Je me sens désormais exclu de la communauté des gens ordinaires.

Dans la rue c'est pire encore. Je fredonne, je chantonne, je regarde les monuments ou bien les gens. Eux, filent bon train, sans se soucier du décor et des autres passants . Ils sont entièrement focalisés sur une discussion qu'ils tiennent à grand bruit et immense impudeur. Ils avancent sans rien voir. Ils sont des milliers désormais à aller ainsi la main contre l'oreille, se fracasser contre un réverbère importun.

Dans les assemblées, les rencontres professionnelles je ne peux indiquer ce fameux numéro portatif, ce tatouage électronique qu'ils se sont tous gravés dans l'esprit. Cette absence de signe distinctif, ce refus de la norme consumérisme est une tare, un aveu d'obsolescence. Je baisse les yeux, j'évite la question. Je n'ai plus rien à partager avec mes semblables. D'ailleurs je ne suis plus leur pareil, je n'ai pas le mystérieux petit appareil.

Qui peut encore s'intéresser à moi. Je ne transporte pas à portée de clavier, mes photos, mes adresses, mes amis, mes vidéos préférées, le plan du métro ou bien la boussole des hommes modernes. Je suis nu, je n'ai que ma bonne mine et aucune ressource virtuelle. Je compte sur ma modeste culture pour répondre à une question, je n'en appelle jamais à cette toile multiforme qui se love maintenant dans toutes les poches. Je n'ai pas de portable, je suis un minable, un ringard, un pauvre type. Je ne peux vous donner mon numéro. Pour me joindre, il faut m'écrire. Mon dieu quelle horreur, c'est vraiment insupportable !

Incommunicablement vôtreVidéo à ne regarder que sur votre portable 


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