Cycle des neurones pacemakers : épigénome ou protéome ?

par Bernard Dugué
vendredi 19 octobre 2012

Le système nerveux est un instrument précis et efficace pour percevoir l’environnement, coordonner le fonctionnement de l’organisme, notamment la motricité, et enfin développer des procédures cognitives. Les neurones de ce système sont connus pour leur plasticité, ce qui leur permet de nouer ou dénouer des connexions avec les éléments du réseau au sein duquel ils déploient d’innombrables signaux électriques. Les neurones étant des cellules, ils sont le siège d’activités génétiques et épigénétiques. On sait que les activités électriques engendrent des changements transcriptionnels dans les neurones et que ces processus sont impliqués dans la mémoire. Ce schéma dialectique est devenu classique, reliant les modifications épigénétiques à la dynamique du phénotype, qu’il s’agisse de signaux moléculaires ou électriques. Il s’applique également au cas très singulier des neurones pacemakers parmi lesquels se trouvent des cellules dont l’activité électrique est circadienne, réglée sur les alternances jour et nuit. Ces neurones disposent d’horloges moléculaires produisant des cycles d’expression génique qui déterminent alors les rythmes électriques. C’est ce qui était couramment admis par les neuroscientifiques jusqu’à ce qu’une équipe conduite par Justin Blau ne renverse le schéma causal. Ce ne sont plus les gènes « circadiens » qui contrôlent le rythme électrique mais le contraire. Les neurones pacemakers déploient une activité cyclique circadienne qui induirait alors le cycle des expressions géniques. La relation est donc inversée (D. Mizrak et al, Current Biology, 11, 1-10, 2012)

Les chercheurs ayant conduit cette étude ont utilisé des neurones de larves de drosophile puis les ont placés grâce à un dispositif spécial dans un état d’hyperexcitabilité ou à l’inverse d’hyperpolarisation. L’expression des gènes a été analysée à l’aide de puces à ADN. Ces neurones pacemaker déploient un transcriptome du matin lorsqu’ils sont en excitabilité et un transcriptome du soir s’ils sont polarisés. On sait que la plasticité neuronale est déterminante pour la mémoire, intervenant également dans la maladie d’Alzheimer. Cette plasticité dépend largement d’un couplage entre l’activité électrique et la dynamique expressive dont le résultat est le transcriptome. Mais dans le cas des neurones pacemaker, ce lien était resté inexploré car les scientifiques pensaient que le contrôle des horloges neuronales était sous la gouvernance d’un module génique utilisant trois familles de gènes impliqués dans des boucles rétroactives - clk/cyc/per - au sein des neurones pacemaker, ce transcriptome oscillant à une fréquence diurne permet notamment à la drosophile d’avoir une appréhension du temps et d’ajuster sa physiologie pour voler plus ou moins intensément selon les périodes de la journée. De plus, cette oscillation persiste même lorsque les mouches sont placées en permanence dans le noir. Les études menées par Blau ont utilisé des mutants per et cyc. Les résultats montrent alors que les évolutions circadiennes de l’activité électrique ne sont pas causées par l’oscillation du transcriptome mais que c’est l’inverse. Le rythme circadien est déterminé ou du moins renforcé par une horloge moléculaire interne et autonome par rapport une partie du transcriptome censé réguler ce cycle. Cette horloge interne (zeitbeger) impose ainsi son rythme au cycle transcriptionnel, ajoutant ainsi une précision et un contrôle supplémentaire au comportement circadien de ces neurones très particuliers.

On peut maintenant se poser une question à laquelle ne répond pas cet article. Cette horloge interne est-elle indépendante des régulations génétiques ? Autrement dit, fonctionne-t-elle comme un ensemble de mécanismes impliquant uniquement des protéines du « pacemaker » et des médiateurs chimiques ? Ou alors fait-elle appel à d’autres gènes que ceux qu’on pensait dévolus à la genèse de ce cycle circadien ; en l’occurrence les gènes clk/cyc/per ? Cette question, je l’ai posée à Justin Blau, lequel pencherait pour une voie génétique et c’est d’ailleurs cette orientation qui guide ses recherches visant à « pister » des gènes supplémentaires. Néanmoins, il précise s’être penché sur l’hypothèse des régulations non génétiques qui suscite beaucoup d’intérêts au sein de la communauté scientifiques. Mais au final, sa conviction repose sur l’expression génique qui permettrait de générer des cycles robustes et stables. Et donc, ses investigations prochaines visent à « traquer » d’éventuels gènes censés participer à la genèse des horloges circadiennes dans les neurones pacemakers. Le scientifique cherche les clés supplémentaires du vivant là où son lampadaire théorique diffuse de la lumière.

Quoi qu’il advienne de la réponse à cette dernière question, une chose est acquise, celle d’une sorte de dialectique entre environnement phénotypique et dispositif épigénétique. Trois niveaux sont déterminants, le première étant le génome, porteur de l’information et des mémoires de la spéciation sur un très long terme. Le niveau épigénétique détermine des processus en réaction aux conditions de l’existence, avec des « périodes prosaïques », un jour, un mois, quelques années (et peut-être à l’échelle de quelques générations). L’épigénome réagit aux fluctuations phénotypiques, certaines liées à l’environnement. Quel est le degré d’indépendance du protéome ? Cette question est fondamentale. La cellule peut se concevoir sous une détermination épigénétique ou alors comme le résultat d’un fonctionnement systémique (pour ne pas dire auto-organisé) du protéome, lequel modifierait alors l’épigénome qui contiendrait entre autres données formelles une mémoire cellulaire.


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