Danger en vue : l’administration Bush donne dans le donquichottisme électronique
par Michel Monette
lundi 5 juin 2006
Certains se rappelleront avec nostalgie la belle époque où Internet était laissé sans surveillance. Les choses ont bien changé depuis. Voilà même que l’administration Bush somme les fournisseurs de services Internet (FSI) d’archiver pour deux ans toutes les données électroniques personnelles de leurs clients.
Le prétexte de l’administration américaine est cousu de fil blanc : la lutte contre la pornographie infantile. Or, comme le souligne le Center for Democracy Technology (CDT), le gouvernement américain veut davantage que ce qu’il a déjà, et qu’il n’utilise même pas.
Présentement, écrit le CDT dans un mémo publié sur son site Web, « any governmental entity can require any service provider (telephone company, ISP, cable company, university) to immediately preserve any records in its possession for up to 90 days, renewable indefinitely. »
Les FSI sont obligés de se soumettre à une telle demande, qui peut être faite sans devoir passer par un juge. Or, déplore le CDT, le ministère de la Justice américaine a failli, dans un certain nombre de cas, à utiliser ce moyen légal qu’il a déjà en sa possession.
En somme, incapable de trouver l’aiguille qui traîne par terre, le gouvernement américain veut l’enfouir dans une botte de foin.
Demander aux FSI, comme vient de le faire le ministre de la Justice, Alberto Gonzales, de retenir pour une période de deux ans les données personnelles de leurs clients, a des effets pervers.
D’abord, contrairement à l’Union européenne, frappée aussi par cette folie dangereuse qu’est la rétention systématique de toutes les données électroniques personnelles transitant par Internet, les États-Unis ont des standards de protection légale très bas en ce qui concerne ce type de données.
Obliger les FSI américains à conserver une somme aussi considérable de données personnelles ouvre donc la porte à toutes sortes d’abus, y compris ceux commis par des avocats spécialisés qui sont déjà les plus grands demandeurs d’autorisation d’accès à des données personnelles que détiennent des FSI.
Adieu aussi la protection des sources journalistiques, dans une profession où celles-ci transitent de plus en plus par Internet, rapidité de publication oblige.
L’ampleur des données à retenir serait fabuleuse. Les fournisseurs n’auraient d’autre choix que de s’équiper en conséquence. On imagine le matériel de stockage supplémentaire, mais aussi le personnel requis afin de pouvoir livrer en tout temps aux autorités les informations exigées. Évidemment, les coûts seraient refilés à leurs clients.
Bref, une mesure démentielle, à la hauteur d’un gouvernement qui n’a rien à envier à don Quichotte. Sauf que ce dernier était un rêveur fou, qui ne représentait un danger que pour lui-même et son entourage immédiat.
Center for Democracy & Technology. Mandatory Data Retention - Invasive, Risky, Unnecessary, Ineffective.