Darwin s’est trompé… ou plutôt il a été trahi par les darwinistes
par Bernard Dugué
mercredi 27 octobre 2010
La revue Books d’octobre nous offre la traduction en français d’un long billet de la NYRB publié par Richard Lewontin, lequel critique un ouvrage récent au titre provocateur, l’erreur de Darwin. Cet essai a été commis par Jerry Fodor, philosophe des sciences cognitives et Massimo Piattelli-Palmarini, linguiste professant à l’université de Milan. Ce livre fera certainement débat outre-atlantique et l’on est certain que les évolutionnistes seront heurtés. Mais n’est-ce pas le ressort de la science que de mettre à l’épreuve les théories. L’époque actuelle semble ronronner. C’est du moins ce qu’en laisse transparaître l’activité des médias de masse. Sans doute, peu de journalistes ont le niveau et la curiosité nécessaire pour présenter les grandes controverses à venir. Que ce soit en cosmologie, avec les réflexions sur le principe holographique menée par les Verlinde et autres Susskind ou bien dans le champ de l’évolution.
Le grand bouleversement qui se prépare échappe aux mécanismes des révolutions scientifiques analysés par Thomas Kuhn et surtout Popper. Ce n’est pas tant l’accumulation de résultats qu’une certaine manière de questionner et penser qui fonctionne dans cette transition avec la mise en cause des théories. Une manière de voir le monde. Il a fallu tout de même 17 siècles pour que Copernic renoue avec l’héliocentrisme proposé par Aristarque de Samos. La lunette astronomique n’avait pas encore été inventée. Les épistémologues admettent que Copernic se plaçait dans la continuité mathématique de ses prédécesseurs. Sauf qu’il voyait les choses autrement et décida de placer le soleil au centre et de faire graviter autour la terre, elle-même en rotation, et les autres planètes mobiles dans le ciel. Osons un parallèle avec Darwin. Voilà un demi-siècle que l’évolution est un fait établi et même un long récit d’un processus mené sur deux milliards d’années. Une somme impressionnante de données moléculaires, zoologiques, génétiques, paléographiques, ont enrichi la théorie de l’évolution avec force détails, précisions, mécanismes. La plupart des évolutionnistes croient que l’explication donnée par Darwin, enrichie des découvertes contemporaines, suffit à comprendre pourquoi les espèces sont devenues telles qu’on les observe et analyse. La théorie des épicycles de Ptolémée a tenu pendant un millénaire et demi. Le darwinisme peut bien durer un peu plus d’un siècle et demi. A moins qu’il ne s’effrite au profit d’une révolution copernicienne en sciences du vivant. Cette révolution a commencé à s’écrire dans un livre au titre énigmatique, le sacre du vivant. Un livre qui m’a été refusé par plusieurs éditeurs. Une maison d’édition a une politique éditoriale. Qui parfois fonctionne comme une politique de censure à l’égard des idées nouvelles. Cette révolution copernicienne repose sur un principe clair. Pendant longtemps, les biologistes ont tenté d’expliquer la vie à partir de l’évolution. Maintenant, il faut expliquer l’évolution à partir de la vie. C’est tout simple. Remettre la vie au centre ontologique, à l’instar du soleil placé provisoirement au centre de l’univers par Copernic.
Remettre de la profondeur ontologique, de la substance dans la vie. Deux substances, l’une agissante, technique, l’autre percevante, cognitive. Ainsi pourrait être comblé le déficit théorique des conceptions évolutionnistes contemporaines. Le principal argument invoqué par Fodor et Piattelli-Palmarini, c’est que la théorie darwinienne de la sélection naturelle est vide. Mais peut-on parler ainsi et amalgamer Darwin et la sélection naturelle ? Réponse nous est fournie dans un billet de la philosophe Mary Midgley paru dans le Gardian. Dans son autobiographie, Darwin aurait confié que, malgré plusieurs démentis, son avis sur l’évolution aurait été falsifié car jamais il n’avait conclu que la sélection naturelle est l’explication unique permettant de comprendre la transformation des espèces. Selon Midgley, l’objection de Darwin portait autant sur l’incomplétude de la sélection naturelle que sur le non sens qu’elle représente. Et donc, les deux auteurs de l’erreur de Darwin auraient misé dans la cible. Mais qu’il n’y ait pas de malentendu. Cet ouvrage aurait dû s’intituler l’erreur des darwinistes. Au bout du compte, Darwin n’était pas darwiniste et les évolutionnistes se perdent en conjectures sans issue, comme s’ils croyaient installer le darwinisme et la sélection naturelle en ajoutant des tonnes d’épicycles mécanistiques et génétiques. La théorie synthétique de l’évolution est dans une impasse. Cette situation dure depuis des décennies.
La recension de l’erreur de Darwin par Lewontin explicite parfaitement la place inconfortable des évolutionnistes qui ne manqueront pas d’être très en colère après la publication de ce livre. En premier lieu parce que les auteurs ont déclaré vide de contenu la théorie de la sélection naturelle en tant qu’explication du vivant. Comme le suggère Lewontin, ce propos présomptueux et lapidaire interdit tout examen sérieux de cet ouvrage qui pourtant, livre des arguments méritant d’être pris au sérieux. Car cet essai vise la façon dont les biologistes fournissent des explications adaptatives à tout un éventail de phénomènes, y compris en labourant le champ d’autres disciplines comme la sociologie, la psychologie, l’histoire et la culture. Bref, des explications à peine plausibles, si inconsistantes qu’elles deviennent des spéculations oiseuses selon un bon mot du cytogénéticien Jakov Krivshenko. Ce qui peut agacer les évolutionnistes, c’est que l’attaque de la théorie synthétique vient de scientifiques conventionnels et non plus de ces agités fondamentalistes brandissant un néo-créationnisme. L’honnête homme qui suit ces débats sait bien que l’évolution est une théorie en crise. Il y a plus de vingt ans, la théorie neutraliste avait écorné l’hégémonie de la sélection naturelle. D’autres livres ont suivi, notamment celui de Denton. Rien de neuf donc si ce n’est la confirmation que le darwinisme est bancal. Et que la balle est dans le camp de la philosophie puisque l’imaginaire scientifique s’avère stérilisé par des laborantins le nez sur la paillasse et des théoriciens accrochés à une doctrine sélectionniste induisant une attitude plus idéologique que scientifique de la part des protagonistes.
La plupart des biologistes oeuvrent dans l’esprit de Lyssenko, le communisme en moins, au lieu d’emprunter la voie du questionnement et du doute, celle pratiquée par les grands savants et notamment Darwin. Qui doit se sentir trahi. La théorie de l’évolution va basculer. Nul ne sait quand. Les forces obscurantistes des labos sont puissantes, autant que les crispations idéologiques. Pour preuve la difficulté à éditer mon livre innovant qui pourtant, sera préfacé par un membre de l’académie internationale de philosophie des sciences.