Découverte d’un mammifère fossile de type loutre remontant au Jurassique
par Thucydide
vendredi 10 mars 2006
Présentée ainsi, cette découverte semble n’être qu’une lubie de spécialiste. Pourtant, même pour le grand public, ce nouveau fossile de mammifères est riche d’enseignements.
Comme plus personne ou presque ne l’ignore depuis le film de Spielberg, le Jurassique est l’époque du milieu de l’ère secondaire, ou Mésozoïque, qui fut marquée par l’explosion évolutive des dinosaures. Leur âge d’or devait se poursuivre durant la très longue période suivante, le Crétacé, pour se terminer dans la brutalité cosmique -la thèse de la météorite tueuse étant la plus en vogue actuellement- que tout le monde sait. Toujours dans l’imagerie populaire, la période suivante est celle de l’essor des mammifères, libérés du joug des « brutes stupides » qu’auraient été les dinosaures.
Ce scénario, hérité du XIXe siècle, où la chasse aux dinosaures sensationnels devint subitement une attraction de premier plan en Europe et en Amérique du Nord, est en réalité faux.
Faux, car la lignée des mammifères avait commencé à se diversifier bien avant celle des dinosaures, à partir de la fin du Paléozoïque (Primaire). Elle connut un coup d’arrêt brutal à la fin de celui-ci, au Permien, qui se conclut par une extinction de masse bien plus sévère que celle de la fin du Crétacé. Surmontant ce coup d’arrêt brutal, la lignée mammalienne recommença à se diversifier au Trias (début du Mésozoïque), avant d’être concurrencée à la fin de cette période par celle des archosauriens (« reptiles dominants »), dont les représentants les plus célèbres sont les crocodiles, les dinosaures et les oiseaux.
Donc, les mammifères ne sont pas le couronnement de la création remplaçant les dinosaures. « Partis » bien avant ces derniers, ils furent éclipsés durant le Jurassique et le Crétacé. Mais cette éclipse fut toute relative, comme le prouvent de nombreuses découvertes, dont celle de cette espèce de loutre jurassique, Castorocauda lutrasimilis (« queue de castor semblable à la loutre »).
De la loutre, à laquelle il n’est pas apparenté, et ne ressemble que par convergence, il a l’aspect dû au régime alimentaire (attesté par la structure de ses dents). Quant à sa queue aplatie, elle évoque moins celle du castor que celle de l’ornithorynque, ce mammifère aquatique primitif d’Australie à bec de canard. Comme ce dernier, Castorocauda pondait des œufs, et fait donc partie d’un ensemble extrêmement ancien de mammifères, nommés docodontes, que certains paléontologues voudraient d’ailleurs exclure des mammifères proprement dits (mais il s’agit là d’un débat récurrent de spécialistes sur l’emplacement précis à donner à la limite entre mammifères et « pré-mammifères », sans implication fondamentale sur notre compréhension de l’arbre évolutif de la lignée des mammifères).
Par sa taille d’environ un demi-mètre et sa spécialisation, Castorocauda prouve que les mammifères du Jurassique étaient loin de n’être que les minuscules sortes de musaraignes ne sortant que de nuit pour échapper aux terribles dinosaures. Du reste, un fossile du Crétacé, Repenomamus giganticus, qui atteignait un mètre de long, prouve que les mammifères pouvaient même se comporter en prédateurs de petits ou jeunes dinosaures
Un autre groupe du mésozoïque fut prospère, celui des multituberculés, auxquels on pense que les monotrèmes -les actuels échidnés et l’ornithorynque- sont rattachés. Plus évolué mais ovipare tout de même, ce groupe était le pendant des actuels rongeurs, et devait être d’une diversité voisine de ces derniers -les rongeurs sont l’ordre actuel de mammifères le plus riche en espèces.
Tout ceci pour dire que même durant l’ère dite des dinosaures, même s’ils n’avaient pas développé de formes géantes, les mammifères étaient abondants et diversifiés, peut-être même plus que leurs contemporains dinosauriens. Par la facilité de fossilisation de leurs gigantesques os, ces derniers ont focalisé toute l’attention depuis le XIXe siècle, au point d’accréditer l’image d’une domination massive des dinosaures. En réalité, il y eut partage de l’espace vital, analogue à celui qu’on observe de nos jours au sein même des mammifères : aux ongulés (les mammifères à sabots tels que bœufs, chevaux, éléphants, etc., auxquels s’ajoutent les baleines) les formes de grande taille, et aux onguiculés (un terme tombé en désuétude, qui regroupait notamment primates, chauves-souris, rongeurs, carnivores...) une grande part du reste.
Bref, les mammifères ne sont pas le dernier ni le plus jeune groupe de vertébrés, poussés par une supposée supériorité évolutive ou quelque « dessein intelligent » pour remplacer toute une kyrielle de « brutes épaisses », mais sont une lignée évolutive déjà très ancienne. Tout comme celle, plus jeune, des dinosaures et des oiseaux, elle a connu des aléas, qu’elle a surmontés grâce à la persistance de formes dites généralistes, bonnes à tout et à rien en période d’abondance, mais adéquates pour surmonter les périodes de crise telles que celle de la fin du Crétacé. En conséquence, si l’homme disparaissait pour cause de déséquilibre excessif du milieu (réchauffement climatique, au hasard), il entraînerait certainement avec lui tous les grands mammifères et oiseaux, mais le renouveau viendrait sans doute de petites espèces opportunistes de type rat ou musaraigne. Et comme au début du Cénozoïque (Tertiaire), il ne faudrait que quelques millions d’années pour que ressurgissent des formes variées ou de grande taille, adaptées à différents milieux. Mais ce serait sans nous, ce qui serait dommage.