Des clients tellement « légers » qu’ils s’envolent dans le « Nuage »

par Pierre de La Coste
lundi 11 janvier 2010

Avec le « Cloud computing » ou « Informatique dans les nuages », l’intelligence est de plus en plus dans le réseau, de moins en moins dans les terminaux, qu’il s’agisse des netbooks ou des machines à laver. Avec des conséquences sur la croissance et quelques implications philosophiques.

 

Bonne année ! Google vient de lancer une machine à laver et un four à micro-ondes. Ce n’est pas de la science fiction mais une annonce faite lors du dernier Electronic consumer show de Las Vegas. En réalité, il s’agit du système d’exploitation Android, destiné aux téléphones mobiles, qui pourrait être également utilisé pour gérer ces objets ménagers « intelligents », via des widgets.

C’est aussi une illustration d’un mouvement de fond : l’invasion du numérique à tous les niveaux de notre vie quotidienne, tant annoncée, devient tangible. L’Internet sort réellement des seuls ordinateurs individuels (qui deviennent de plus en plus des « netbooks » de faible puissance), conquiert les téléphones et autres terminaux mobiles, puis les objets de consommation et d’usage courant grâce aux puces embarquées. Demain le « machine-to-machine » complètera cet envahissement numérique du réel, tandis que les territoires seront balisés par les réseaux sociaux géo-localisés.

Comprendre et anticiper (autant que possible) ce mouvement est d’une importance stratégique pour les acteurs politiques, économiques, sociaux. D’abord, parce qu’il est bien évident que cet ensemble de phénomènes comporte des avantages et des risques, qu’il est lourd de progrès économiques et de dangers pour les libertés. Mais avec Internet, le grand public lui même devrait maintenant être averti du caractère dualiste et ambigu de tout nouveau pas en avant ! L’éternel Big brother avance et recule au rythme des innovations et des usages, selon notre degré d’information et de réactivité.


Le Cloud et la croissance


Il est clair que tous ces objets ainsi colonisés par le numérique et avalés par Internet ne deviennent pas pour autant de véritables ordinateurs. Ils restent ce qu’ils sont : un téléphone, une machine à laver, une boite de poissons surgelés... Ce sont des « clients légers », et même « ultra-légers » du Réseau mondial. Cette évolution milite donc pour le renforcement du rôle du « Cloud ». L’intelligence, les logiciels, la puissance de calcul passent de plus en plus dans le « Nuage ». Les ordinateurs personnels (et a fortiori les autres terminaux), n’ont plus la capacité d’héberger et de mettre à jour continuellement ces applications indispensables à la bonne marche de la société de l’information. Avec le Cloud computing, les ressources en hébergement des serveurs ne sont pas devenues infinies, elles sont simplement optimisées et mutualisées par des algorithmes mathématiques (nous irons sans doute plus loin encore avec l’informatique quantique, mais j’avoue ne pas bien comprendre comment ça marche).

Reste donc la question du développement de ce Cloud et de son utilisation, que j’ai abordé dans un autre article « Qui tient le Cloud, tiendra la Gouvernance ». En effet, le Cloud computing est une des clés principales du retour de la Croissance. Il permet de faire plus avec moins. Plus de développements informatiques exigés par les nouveaux usages de nos « clients légers » et « ultra légers ». Pour moins de budgets d’investissement informatique, puisque les développements, les applications, les web services, les widgets, hébergés en mode Cloud ont vocation à être mutualisés grâce à l’incontournable « architecture multi-tenante » (le même service est utilisés par plusieurs clients sans confusion entre les données).

Mais, très vite, l’économie tourne à la politique : qui gouverne, qui maîtrise ce Cloud ? A quelles lois obéit-il ? Quel est le statut juridique des données, des contenus, des œuvres qui y circulent ? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles prennent une importance jusqu’à lors inégalée...sachant qu’elle ne sont toujours pas réglées de manière satisfaisante dans l’Internet première génération.


L’intelligence collective

Pendant que tous ces serveurs travaillent pour nous, gardons tout de même un peu de notre espace-cerveau personnel pour nous interroger sur la portée philosophique d’une telle évolution. Nous avons confié beaucoup de notre intelligence à nos ordinateurs : des tâches de calcul, d’organisation de l’information, des créations artistiques et littéraires. Puis ces ordinateurs ont été reliés entre eux par l’Internet. Depuis longtemps des auteurs comme Pierre Lévy parlent d’ « Intelligence collective » (Éditions Odile Jacob, 1994). Et le prospectiviste américain Kevin Kelly, dans une assez célèbre video, "les 5000 jours du web" (2007), résume bien cette évolution.

Avec le Cloud computing, la planète tout entière ressemble effectivement de plus en plus à un cerveau, composé de neurones de plus en plus imbriqués. La taille ou la puissance de ce cerveau augmente de manière exponentielle (alors que la « loi de Moore » tend à être révisée à la baisse en ce qui concerne les ordinateurs individuels). Cette « virtualisation » très nette de l’intelligence éloigne celle-ci de nos cortex individuels pour la rapprocher d’un cortex planétaire qui semble prendre son indépendance et flotter au dessus de nous. Dans le Nuage.

Voilà qui nous rappelle aussi les prophéties du RP Teilhard de Chardin, prêtre, scientifique et philosophe, qui annonçait il y plus d’un demi-siècle, l’unification progressive de l’humanité par la convergence des forces spirituelles. « Tout ce qui monte converge », disait-il, optimiste. Pierre Lévy, lui, s’en tient à un matérialisme bien moderne et tous les prospectivistes se défendent en général d’aborder la question métaphysique. Mais qui sait ? la meilleure traduction de « Cloud computing » en français, ne serait-elle pas « Noosphère » ? Et, dans ce cas, au dessus de la couche de Nuage qui n’est que prolongement de l’Humain, une brume, une buée sortie de nos cerveaux, un Soleil brille-t-il, qui nous réchaufferait le cœur ? Comme, au dessus de la Noosphère, le fameux « point Oméga » de Teilhard ? Work in progress...


 


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