Deux livres se complétant

par Automates Intelligents (JP Baquiast)
lundi 19 mai 2014

La capture. Christian Chavagneux, Thierry Philipponnat. La découverte
L'effondrement de la civilisation occidentale, Naomi Oreskes, Erik Conway. Les liens qui libèrent

La marche à l'effondrement. Mais pourquoi donc nous laissons-nous faire ?

Ces deux essais, parus presque simultanément mais indépendamment l'un de l'autre, jettent le même avertissement : le monde, et pas seulement la civilisation occidentale, marchent dorénavant à l'effondrement, celui-ci pouvant, dans le courant du présent siècle, prendre la forme d'une véritable apocalypse. Les mots paraîtront excessifs, mais si l'on suit l'argumentaire des auteurs, ils ne le sont pas. Il ne s'agit pas de leur part de nouvelles tentatives visant à recruter des lecteurs ou des sympathisants politiques en jouant sur la peur. Il s'agit seulement du discours raisonné de scientifiques écartés des médias parce que porteurs d'une information dérangeante, essayant de faire partager celle-ci au sein d'une société qui n'a pas encore pris pleine conscience des menaces.

Le premier livre fait le procès de la finance spéculative. Il ne s'agit pas du procès de l'argent, indispensable dans une économie d'échange. Il ne s'agit pas non plus du procès de la banque dite de dépôt. Celle-ci recueille les épargnes des uns pour les prêter à d'autres, c'est-à-dire aux entreprises ayant besoin d'investir. Ces prêts sont garantis par les retours provenant de ces investissements, que ce soit sur le court terme ou sur le long terme. Il s'agit par contre de ce que François Hollande lors de la campagne électorale avait désigné comme son ennemi. Autrement dit un systèmes de très grandes banques liées entre elles par de multiples liens, qui à partir d'un très faible pourcentage de dépôts se livrent à des spéculations génératrices de bulles économiques et financières, autrement dit d'investissements non durables, jouant sur des effets de mode.

Au bout de quelques mois, les bulles ne peuvent que s'effondrer. Mais d'autres prennent le relais. Pendant ce temps la finance, grâce à des outils sophistiqués de spéculation en réseau, réussit à capter les valeurs de l'économie réelle, c'est-à-dire les propriétés et épargnes des particuliers et des entreprises productives. Elle en fait des valeurs virtuelles illusoires promettant des taux d'intérêts hors de portée de l'économie réelle. Les grandes banques mondialisées se livrant à ces spéculations ne courent aucun risque. Car elles sont trop grandes et rassemblent trop d'intérêts pour ne pas être secourues par les puissances publiques en cas de risque de faillite. Les Etats, pour les tirer d'embarras, apportent par milliards des ressources budgétaires résultant de l'impôt payé par les contribuables. Dans certains cas, ils apportent aussi de l'argent liquide émis par leurs banques centrales, à des taux d'intérêts nuls. Les banques peuvent donc, dès que les menaces de crise ont été éloignées, reprendre leurs jeux spéculatifs à partir de ces liquidités fictives et en s'appuyant sur la certitude qu'en cas de nouvelles difficultés, elles seront de nouveau secourues. Au plan de la doctrine économique, ces processus résultent du jeu sacro-saint de non- interventionnisme public et de « concurrence libre et non faussée » entre acteurs économiques.

Qu'importe, dira-t-on, si la finance génère ainsi des richesses et une croissance bien supérieures à celles résultant de l'épargne et du travail des entreprises publiques et privées intervenant dans les secteurs productifs réels ? Mais ce n'est pas le cas. D'une part ces richesses et cette croissance résultent d'une destruction continue des actifs sociétaux véritables. Cette destruction découle de la vente de ces derniers à des consortiums financiers visant d'abord les bénéfices d'une petite minorité d'actionnaires dominants. L'exemple des services publics est le plus souvent évoqué. Les hôpitaux publics ouverts à tous, par exemple, ferment ou sont vendus à des cliniques privées ne desservant qu'une infime minorité de privilégiés.

Mais plus généralement, ce système dit aussi néo-libéral, privilégiant des grandes banques, accroît sans cesse les inégalités entre « ceux qui ont » et « ceux qui n'ont pas ». Les manifestations contre le pouvoir des banques, à Wall Street, il y a quatre ans, avaient lancé le concept du 1% de dominants vivant du travail de 99% de dominés. Cette image est de plus en plus utilisable, non seulement dans le domaine des pouvoirs économiques, mais bien entendu en ce qui concerne les pouvoirs politiques et les pouvoirs médiatiques soumis aux premiers. Rien ne peut arrêter les 1%, ceci en dépit des avertissements selon lesquels leurs agissements préparent des effondrements de plus en plus suivis et de plus en plus graves. .

Cette situation, jamais vue encore dans l'histoire du monde, pourrait cependant être évitée, ou réparée, si un certain nombre des remèdes permettant de contrôler la finance étaient appliqués. Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat en fournissent une liste détaillée. Mais ils constatent que pour le moment la conjonction des intérêts dominants font que ces remèdes , ou ne sont pas décidés par les régulateur publics, ou ne sont pas appliqués, soit par blocage au départ, soit par détournements progressifs. Ceci dans tous les pays, comme en ce qui nous concerne au sein de l'Union européenne. Les 1% de dominants se battront à mort contre tout ce qui pourrait restreindre leur pouvoir. Il n'existe aucune autorité supranationale ou sociétale capable de résister aux pressions des lobbies de la finance.

Le diagnostic que portent les auteurs sur l'avenir, autrement dit sur l'enchainement de crises promis par ces abus de pouvoirs, reste cependant teinté d'un certain optimisme. Ils semblent faire l'hypothèse qu'un jour la raison et le bon sens l'emporteront en vue de réformer un système destructeur. Mais ils ne précisent pas comment, à part l'espoir de voir surgir un homme providentiel sur le modèle du Président Roosevelt aux Etats-Unis, lors de la première crise économique mondiale (Roosevelt à l'action duquel d'ailleurs ils prêtent sans doute plus de mérites qu'elle n'en avait) . Le lecteur n'est en rien convaincu par leur acte de foi. Il suffit de voir comment, dans le modeste cas de la France, les promesses de réforme du candidat François Hollande ont été détournées par la finance, avec l'accord ou la complicité du candidat devenu Président. Il en fut de même bien entendu à Wall Street, le candidat Obama s'étant révélé dès ses premiers pas le défenseur déterminé (puppett) de la finance – grâce à l'argent de laquelle il avait été élu.

Une question lancinante doit être posée à propos de la finance. Pourquoi l'humanité ne fait-elle rien contre la financiarisation du monde, alors que les désastres qui en résultent aujourd'hui et en résulteront encore plus demain sont dorénavant bien compris par certains scientifiques et par le simple bon sens ? C'est que, comme l'indique le sous-titre du livre, un ensemble lié d'intérêts financiers, d'intérêts politiques et de média dévoués à leur cause, a pris le pouvoir et n'est pas prêt de le céder.

Le déni

On retrouve le même diagnostic concernant le réchauffement climatique et les désastres qu'il commence à engendrer. Les deux auteurs de l'ouvrage de prospective scientifique également présenté ici, « L'effondrement de la civilisation occidentale » décrivent les processus qui conduiront l'humanité ( et pas seulement la civilisation occidentale) aux catastrophes désormais bien documentées par les scientifiques, résultant de l'augmentation massive de CO2 dans l'atmosphère. Il s'agira d'une montée du niveau des mers atteignant 10 m à la fin du siècle, de la généralisation des phénomènes atmosphériques extrêmes, des disparitions massives d'espèces et, bien entendu, en ce qui concerne les humains, de guerres pour les subsistances et l'espace habitable, suivies de morts par centaines de millions. Le point sur lequel insiste fortement les auteurs, rejoignant en cela le diagnostic relatif à l'incontrôlabilité des excès de la finance, est que dès maintenant les scientifiques et le simple bon sens recommandent des mesures préventives dont aucune n'est prise au sérieux, et dont aucune à l'avenir ne sera décidée, même lorsque les évidences du désastres se manifesteront chaque jour plus clairement.

Les responsables de ces véritables crimes contre les civilisations sont pour eux en premier lieu les nombreux secteurs industriels vivant de l'exploitation du charbon, du pétrole et du gaz, ainsi que toutes les entreprises en dépendant. Il s'agit aussi – et nous retrouvons en cela le diagnostic précédent, des acteurs de la finance s'enrichissant sur la spéculation naissant du financement de ces activités. Mais il s'agit aussi bien entendu des gouvernements complices et du pouvoir médiatique financé par les précédents, soit le 1% des dominants qui conduisent les 99 autres au désastre. Les auteurs mentionnent les bulles actuelles nées de l'exploitation des gaz de schiste, de nouveaux forages en mer et de l'exploitation des sables pétrolifères. Mais ils en prévoient d'autres, se greffant sur la rareté croissante des ressources vitales, sur le renforcement des dépenses militaires et de sécurité, sur la spéculation se déchainant autour des dernières chances de survie.

De la même façon que les rares économistes prévoyant des catastrophes financières ne sont pas écoutés, les scientifiques qui aujourd'hui annoncent le réchauffement et ses conséquences ne sont pas pris au sérieux ou quasiment obligés de se taire. Le livre mentionne les milliers d'experts travaillant avec le plus grand sérieux dans le cadre du GIEC (groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat). Ils ne savent pas se défendre contre les manœuvres de ceux qui manipulent les données pour affirmer que le réchauffement n'est pas d'origine humaine, ou qu'il n'entrainera que des conséquences mineures. Ils sont trop divisés entre disciplines scientifiques s'ignorant les unes les autres, et ne peuvent donc pas élaborer les diagnostics ou les recommandations globales, indispensable pour faire face à un phénomène planétaire et séculaire. Les gouvernements, bien entendu, se refusent à les entendre.

Que faire ? Là encore, les auteurs, comme ceux de l'ouvrage précédent, nous laissent sans réponses crédibles. Ils sentent si clairement que les « décideurs » ont d'ores et déjà décidé – décidé de ne rien faire- qu'ils n'imaginent pas d'autres solutions que celles naissant dans l'urgence face à une aggravation dramatique de la situation. Mais là encore, à supposer qu'un consensus politique s'établisse, ils n'en espèrent pas grand chose, pour une raison bien connue des scientifiques. Une fois qu'une évolution destructrice est engagée et qu'elle prend une certaine ampleur, elle déclenche des effets en retour négatifs qui la rendent de moins en moins contrôlable. Or il n'est pas certain que le seuil de non-retour, le tipping point, ne soit pas déjà atteint. Pour néanmoins laisser espérer une fin permettant aux rares survivants de s'adapter, les auteurs envisagent que la Chine, pour qui le concept d'Etat souverain aura conservé un sens, mettra en oeuvre in extremis un lichen génétiquement modifié capable de ré-absorber les excédents de CO2. Mais selon nous, il s'agit d'une illusion sans aucun caractère crédible. Il faudrait recouvrir les terres émergées de tels lichens sur plusieurs mètres d'épaisseur pour espérer rapidement un résultat permettant à la Terre d'éviter le sort de Vénus.

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Que pourrions-nous, en ce qui nous concerne, déduire de la lecture de ces deux livres, comme de celles portant sur les nombreux ouvrages, publications et sites internet traitant de la question. Il est clair que si les moyens du débat politique et de la démocratie sont et resteront durablement neutralisés par les détenteurs du pouvoir, les seules perspectives à espérer resteraient les actions individuelles dites citoyennes. Pourtant, sans mésestimer leurs effets favorables et donc les décourager, on peut rester sceptique sur leurs capacités à ébranler le Système non humain, de type anthropotechnique, ayant pris possession de la planète.

 


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