Drone d’histoire !

par Alain De Neve
mardi 22 décembre 2009

Petit coup de tonnerre dans la communauté de la défense et des affaires stratégiques en date du 4 décembre dernier : l’U.S. Air Force confirmait officiellement les rumeurs selon lesquelles les forces armées américaines mettaient en oeuvre un nouveau prototype de drone en Afghanistan. Désigné RQ-170 Sentinel, cet appareil ne représente pas une rupture stratégique majeur... pour l’heure. Nénamoins, la confirmation selon laquelle l’U.S. Air Force poursuit bel et bien ses efforts de développement d’un nouveau système aérien inhabité génère de nouvelles hypothèses sur la stratégie américaine des moyens dans le secteur des plate-formes autonomes.

C’est le blog de Jean-Dominique Merchet[1], journaliste pour le quotidien français Libération qui, en ébruitant l’affaire, semble avoir contraint le Département américain de la Défense (DoD) à faire une sortie pour le moins inhabituelle sur le sujet. En dévoilant, le 4 décembre dernier, l’existence d’un nouveau drone de reconnaissance et de surveillance, le RQ-170 Sentinel, dans les cieux de l’Afghanistan (dans la région de Kandahar, plus précisément), le DoD a été amené à communiquer sur le dernier né des bureaux Skunk Works, unité en charge des projets « noirs » de Lockheed Martin[2].

De cette annonce, une controverse est née qui porte, indifféremment, sur les sous-systèmes embarqués par la plate-forme, sur les missions réelles qui viendraient à être confiées à terme à l’appareil ou, encore, sur les performances du dispositif en matières de furtivité, de charge utile, de rayon d’action et d’autonomie. Tâchons, dès à présent, de nous pencher sur les hypothèses que nous suggèrent l’existence et le dévoilement de ce projet.

Reconnaissance, combat ou bluff ?

Hypothèse numéro 1 : les forces armées des Etats-Unis poursuivent le développement d’un appareil aérien autonome chargé d’assurer la succession des systèmes de reconnaissance et de surveillance actuellement en service (pilotés et non-pilotés). Depuis plusieurs années, en effet, les forces U.S. investissent dans la mise au point d’un senseur aérien high-tech (désigné Sensorcraft), appelé à intégrer en une seule et unique cellule l’ensemble des moyens existants d’imagerie, d’écoute et de reconnaissance. Le Sensorcraft a pour but d’accueillir une multiplicité de capteurs sophistiqués comprenant, entre autres, l’imagerie hyperspectrale ou encore des radars pour la détection de cibles sous couvert de végétation. Un article de la revue professionnelle C4ISR du mois d’août 2007 constatait que les bureaux Skunk Works semblaient avoir atteint le niveau le plus avancé de conception d’un tel prototype. Ceci en comparaison des efforts déployés par Boeing et Northrop Grumman sur ce même segment[3]. Devons-nous voir dans le RQ-170 Sentinel une première ébauche de ce système ? Probable.

Hypothèse numéro 2 : l’existence du RQ-170 prouve que les Etats-Unis poursuivent leurs efforts en vue du développement d’un système de combat aérien autonome ; l’allure du RQ-170 laissant, a priori, supposer la possibilité d’un emport de munitions en soutes. Le fait que l’appareil photographié soit, pour l’heure, limité à des vols de reconnaissance et de surveillance, ne préjuge en rien des évolutions futures possibles d’un tel prototype qui tendraient, dès lors, vers le développement de drones de combat. Par le passé, l’U.S. Air Force, l’U.S. Navy et la DARPA (Defense Advanced Research Project Agency) avaient conduit un programme conjoint de démonstrateur technologique de drone/senseur de combat, dénommé J-UCAS (pour Joint Unmanned Combat Aerial System). Né de la fusion de deux projets démarrés sur fonds propres par les industriels Boeing (X-45) et Northrop Grumman (X-47), le J-UCAS réunissait l’USAF et l’USN autour d’un programme de développement commun, destiné à tester la faisabilité et l’utilité d’une architecture réseaucentrée de combat dans laquelle les cellules aériennes autonomes étaient appelées à constituer les chevilles ouvrières.

En février 2006, le DoD choisit de mettre un terme au programme J-UCAS afin de le réorienter vers un projet de recherche destiné à concevoir un futur bombardier à long rayon d’action. Au vrai, les véritables raisons de l’abandon du programme étaient à trouver ailleurs. Parmi elles, on pouvait citer les rivalités interservices quant aux spécifications techniques des prototypes, l’absence d’une vision commune de développement entre les services ou encore l’extension immodérée des besoins formulés par l’USAF et l’USN à l’endroit des systèmes. Avec comme corolaire, des dépassements de délais et de coûts laissant craindre que la mise en œuvre de tels drones ne présente aucun avantage comparatif par rapport aux plates-formes de combat pilotées de nouvelle génération (F-22 et F-35).

Pour autant, l’abandon du J-UCAS n’a pas mis fin au développement des sous-systèmes technologiques dont il a accouché. Aussi, dans le courant 2007, l’U.S. Navy a-t’elle confirmé son intention de relancer en propre le défunt projet dans le cadre du programme UCAS-N en visant, notamment, la conception d’un système aérien autonome pouvant opérer depuis ses porte-avions.

Le RQ-170 Sentinel est, pour sa part, développé par Lockheed Martin. Au travers de ce nouveau système aérien autonome, Lockheed Martin pourrait réitérer sa tentative de reprendre la main face à ses concurrents que sont Boeing et Northrop Grumman.

Hypothèse numéro 3 : le dévoilement du RQ-170 se situe au cœur d’une vaste opération de communication et de guerre psychologique principalement à l’adresse de l’Iran voisin. Cette hypothèse est loin d’être négligeable et s’appuie sur des précédents. Il faut ici rappeler que l’exemplaire du RQ-170, surpris à son décollage, a été photographié à… l’aéroport international de Kandahar ! Chacun en conviendra : il est des lieux bien plus appropriés pour conserver des projets de systèmes d’armes dans l’anonymat. Le RQ-170 aurait-il donc été volontairement exposé par les forces armées des Etats-Unis ? Le dévoilement du projet est-il destiné à faire pression sur le régime iranien ou sur tout autre compétiteur potentiel ? Rien ne doit être exclu.

Evolution ou rupture ?

À l’évidence, l’existence officielle du RQ-170 Sentinel nous confirme la volonté affichée par les Etats-Unis de poursuivre le développement d’une forme de combat désengagé (ou sans engagement), quoi que peuvent laisser supposer les dernières décisions de l’Administration Obama. Notons que la revue de posture globale (RPG) des Etats-Unis, adoptée en 2004 sous la Présidence Bush, n’a pas été désavouée par l’actuelle Administration. La RPG peut raisonnablement laisser supposer que la conception de senseurs de combat autonomes avec un niveau de prise de risque humain minimal s’avère essentiel pour compenser la contraction graduelle des bases militaires déployées outre-mer.

Le dévoilement (intentionnel ?) du programme RQ-170 ne doit cependant point nous distraire de la réalité des développements des systèmes d’UAV et d’UCAV aux Etats-Unis. Bien que la prise de risque, caractéristique de la culture technologique américaine, ait pu aboutir à un certain nombre de ruptures techniques en ces domaines, l’histoire du développement des drones aux Etats-Unis est également parsemée d’échecs. Nombre de programmes ont, en effet, subi les effets d’un manque de rigueur dans la définition des besoins et des spécifications par les services. En d’autres termes, la reconnaissance officielle du RQ-170 confirme davantage un certain nombre de tendances connues qu’elle ne nous informe sur des radicalisations technologiques nouvelles.



[1] http://secretdefense.blogs.liberation.fr.

[2] David A. Fulghum, « USAF Confirms Stealthy UAV Operations », Aviation Week, December 4, 2009, cf. http://www.aviationweek.com/aw/generic/story_generic.jsp?channel=defense&id=news/BEAST120409.xml&headline=USAF%20Confirms%20Stealthy%20UAV%20Operations ;

[3] Paul Richfield, « Lokking Ahead », C4ISR : The Journal of Net-Centric Warfare, Defense News Media Group, volume 6, numéro 7, p. 20.

 

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