Du biodrone au microrobot

par Charles Bwele
jeudi 5 février 2009

Cyber Scarabée, drone-grenade, micropolicier éclaireur, robot auto-reconfigurable... Les laboratoires américains de robotique militaire ou expérimentale ont récemment accouché de spectaculaires innovations.

Cyborg Beetle

 

Vol agile, contrôle stable, faible consommation énergétique, feedback sensoriel, suivi de terrain... Dans tous ces domaines, les insectes volants dament encore le pion aux meilleurs biomimétismes. Plutôt que récréer microrobotiquement ces merveilleuses aptitudes, des scientifiques de l’Université de Californie – financés par le DARPA, le centre de recherches du Pentagone - ont opté pour une approche hybride : un microprocesseur et un récepteur radio fixés sur le dos d’un vrai scarabée, six électrodes implantés dans ses lobes optiques et ses muscles de vol... Et un ordinateur portable émettant d’oscillantes pulsations électriques pour initialiser le décollage du Cyborg Beetle, de courtes pulsations alternées pour contrôler le vol, un curseur et/ou un joystick pour changer de direction et d’altitude.

Comparativement à maints insectes, les scarabées et les coléoptères ont une meilleure solidité exosquelettique, un volume corporel plus élevé, une résilience organique plus conséquente et un vol moins complexe, papillons et libellules nécéssitant un streaming continu et sophistiqué de pulsations pour leur maintien dans les airs. Grâce à sa rustique anatomie, le Cyborg Beetle intègre mieux les matériaux microélectroniques et des systèmes ultra-miniatures d’observation comme une caméra et un détecteur thermique. L’armée américaine compte l’utiliser dans des missions de reconnaissance ou de search-and-rescue sur un champ de bataille difficile ou dans une zone contaminée par quelque dépôt radioactif/toxique.

Depuis belle lurette, la société française SILMACH et la Direction Générale de l’Armement ont codéveloppé la Libellule, remarquable microdrone de reconnaissance à ailes battantes de 6 cm d’envergure, de 20 mg de masse, doté de 180 000 nanomuscles artificiels et d’une motorisation électromagnétique (voir cet article de Spyworld Actu).

Du Cyborg Beetle américain à la Libellule française, la « révolution microrobiotique militaire » ne fait que commencer...

Micro Robocop

À première vue, on dirait une étrange haltère de gonflette grosse comme une grenade à main, pesant environ un demi-kilogramme, pourvue de longues antennes d’insecte et dotée d’une double motorisation électrique quasi-silencieuse. Officiellement, ce micro-robot n’est guère censé espionner les prisonniers ou patrouiller dans leurs cellules. En cas de bagarre générale entre détenus, le maton projete le ReconScout qui rebondit aussitôt sur le sol, roule automatiquement vers la direction souhaitée puis lâche des gaz lacrymogènes au beau milieu de la rixe. Vous n’êtes pas dans un film de science-fiction, vous êtes dans un pénitencier fédéral en Californie.

Conçu par la firme américaine ReconRobotics, le ReconScout peut être projeté à plus de 10 mètres de hauteur, est livré avec une console de télécommande (joystick et écran) à peine plus volumineuse qu’un PDAphone et une suite logicielle d’enregistrement et analyse vidéo de ses actions sur ordinateur, le tout pour une facture comprise entre 6000 et 9000 dollars. D’autres versions de ce micro-robot sont éjectables par un drone ou par un lance-grenades. ReconRobotics en a vendu plus de 250 unités de par le monde, le California Department of Corrections and Rehabilitation (CDCR) comptant déjà parmi ses plus fidèles clients. Pour son PDG Alan Bignall, « le ReconScout ouvre des marchés inespérés ».

Également équipé de caméras (l’une classique, l’autre infrarouge), le ReconScout permet aux gardiens ou aux policiers d’observer préalablement une situation critique - prise d’otages, menace de suicide, etc - et d’ajuster leur intervention plutôt qu’agir en aveugle. Pour peu qu’il soit surpris et détruit par les détenus ou par les preneurs d’otage, le brigadier-robot aura néanmoins fourni quelques précieuses images (personnes et/ou armes en présence, configuration des locaux) à sa hiérarchie biologique.

A Burnsville dans le Minnesota, une forcenée se barricada avec ses deux enfants puis menaça d’incendier son appartement. Au lieu de s’introduire de force mitraillette à la main, le SWAT projeta un ReconScout par la fenêtre ouverte de la salle de bains. Le drone télécommandé se faufila dans les lieux en échappant peu ou prou à la vigilance des occupants, ne constata aucune présence apparente d’arme à feu, de jerrican ou de liquide inflammable et remarqua le canapé faisant office d’unique barricade. L’usage de la force léthale n’étant pas nécéssaire, la brigade d’intervention défonça la porte puis paralysa la trublione avec un pistolet électrique.

Traqué par un cyber-insecte à votre domicile, surveillé par un robot-maton derrière les barreaux, réprimé par un drone-grenade lors d’une bagarre... Vous n’échapperez pas aux micromachines !

Shape of things to come

Délaissant matériaux à mémoire de forme et nanoparticules du fait de leur ultra-complexité intrèsèque, le Laboratoire de Robotique de l’Université de Pennsylvanie – également sponsorisé par l’incontournable DARPA - a opté pour une machine capable de s’auto-reconfigurer tel un Lego super-intelligent. Chaque module dispose d’une petite motorisation, d’une caméra numérique, de capteurs, d’électro-aimants, d’un microprocesseur et d’un système de communication propres permettant à l’ensemble de reconstituer sa configuration initiale et de se déplacer... Après avoir reçu un coup de pied (voir la vidéo ci-dessous) !

Aux yeux de la communauté roboticienne, cette démonstration plutôt brute pave néanmoins la voie à des « méso-machines » (du millimètre cube à quelques centimètres cube) adaptant leurs formes à des fonctions spécifiques selon les circonstances, réparant et remplaçant leurs modules endommagés. Conformément aux spécifications du DARPA, l’Université de Pennsylvanie élaborera d’ici 2011 un robot démonstrateur auto-reconfigurable composé de 1000 modules aussi solides que le plastique, capable de faire face à d’inéluctables incidences comme la poussière, le défaut d’alignement, des pannes ou des bogues. Au lieu d’une approche déterministe de l’auto-reconfiguration dans laquelle chaque module vise une position prédéfinie, les chercheurs pennsylvaniens privilégient une approche probabiliste dans laquelle chaque module interagit avec l’ensemble afin d’occuper une niche variante.

À l’avenir, grâce aux constants progrès de la microélectronique, de la (micro-)robotique et des matériaux intelligents, des modules par dizaines ou par centaines auto-composeront rapidement des structures complexes. Pour la décénnie 2020, le Pentagone et la NASA entrevoient déjà des micromachines-outils universelles, des véhicules ou des drones protéiformes à la fois aéroterrestres et marins de surcroît auto-réparables, destinés à l’exploration d’environnements hostiles ou extraterrestres.

Les Transformers n’ont qu’à bien se tenir : les Roboterriens sont déjà sur leur planète...

En savoir plus :

  1. Technovelgy : HI-MEMS  : Cyborg Beetle Microsystem

  2. Technology Review : The Army’s remote-controlled beetle

  3. ReconRobotics : ReconScout

  4. News Scientist : Shape-shifting robots take form


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