Dynamités les deux piliers du néodarwinisme : ni sélection naturelle ni gènes

par Bernard Dugué
mercredi 21 novembre 2012

 Les évolutionnistes attentifs savent pertinemment que la théorie de l’évolution est incomplète. Quelques-uns suggèrent de revoir le rôle des gènes et du génome. D’autres minimisent l’intervention de la sélection naturelle. Ce qui au final fragilise les deux piliers du néo-darwinisme achevé au siècle dernier, les mutations (ajoutées aux recombinaisons) et la sélection. Il est dès lors envisageable de mettre en doute non pas l’évolution mais son explication. Le 21ème siècle a vu nombre de scientifiques se déprendre de la fascination du gène. Pourtant, on ne compte pas les études montrant des corrélations entre la présence de certains gènes, ou de mutations, et divers aspects phénotypiques ainsi que des états pathologiques. En plus, la cladistique est renforcée par les analyses génétiques effectuées sur les génomes des différentes espèces dont on peut tracer les arbres phylogénétiques qui sont aux espèces ce que les arbres généalogiques sont à l’histoire des filiations. L’une des rares questions fondamentales et déterminantes pour l’évolution concerne l’énigme du génome et la détermination du rôle exact des gènes dans la transformation des espèces. En fait, le génome est impliqué dans deux événements, l’un à durée humaine, étant l’ontogenèse puis l’existence, l’autre, à durée incommensurable, étant l’évolution, ou mieux encore, les évolutions. D’abord plus de deux milliards d’années pour les molécules prébiotiques et les cellules, puis plus de 500 millions d’années pour les vertébrés et quelques millions d’années pour les hominidés.

 

Du point de vue épistémologique, il est indispensable de replacer le génome et les gènes dans le contexte où ils sont censés jouer un rôle. Le génome intervient dans la transmission du patrimoine génétique entre les géniteurs et les engendrés. Le génome lorsqu’il est « lu » permet le développement ontogénique. Le génome est surtout « interprété » car le champ épigénétique est très large. Ce champ intervient lors du développement mais aussi tout au long de l’existence. On sait en effet que l’activité transcriptionnelle dans le cerveau humain reprend de plus belle passée la cinquantaine. Il se pourrait que la génétique ait à considérer deux génomes fonctionnels, l’un qui serait le ressort ou le résultat de l’évolution et l’autre celui de l’ontogenèse. Le fait d’interroger, ressort ou résultat, suppose que la causalité devient une conjecture. Il est en effet envisageable d’inverser la causalité conventionnelle, celle qui dit par exemple que tels gènes induisent un cancer. Henry Heng, cancérologue soucieux de paradigmes, envisage une causalité inverse. Le cancer serait dû à une succession de réponses effectuées par le génome cellulaire consécutivement à des modifications du terrain physiologique. Ainsi, la présence de gènes mutés ou dupliqués (trouvée après analyse) serait la conséquence du processus de cancérisation. Ce qui inverse l’hypothèse d’un désordre génétique à l’origine du désordre phénotypique.

 

Finalement, à travers cette habile suggestion de Heng, c’est le schéma global de la génétique qui devient une conjecture fondamentale. Avec comme question centrale l’élucidation de la « dialectique moléculaire » entre les gènes et le phénotype. Dialectique pouvant être élargie à la question de l’évolution. C’est du reste ce que j’évoquais dans le texte consacré à la phénobiologie. La question du ressort est elle aussi centrale. Cette notion de ressort a été travaillée dans le domaine de la science sociale par Montesquieu. On y voit l’ombre du grand horloger et de la philosophie mécaniste. Si l’on remonte beaucoup plus loin, on trouvera la cause efficiente d’Aristote. Après Darwin, c’est toujours cette question qui hante la science. Quels sont les ressorts de la spéciation ? La sélection naturelle et les mutations ? Eh bien je pense que non.

 

En matière d’exposé théorique, il est parfois utile d’aller droit au but sans hésitation. J’énonce deux propositions. Premièrement, les succès de la génétique laissent croire à un rôle évolutif de l’ADN. Dans la version la plus radicale, celle de Dawkins, la vie serait instrumentalisée par les gènes cherchant à se perpétuer. Je pense exactement l’inverse. Les gènes sont les instruments de la vie. Les gènes sont manipulés par le vivant et toutes les espèces sont des organismes génétiquement modifiés par la nature. Deuxièmement, les évolutionnistes orthodoxes accordent à la sélection naturelle une causalité efficiente. C’est inexact. En fait, la sélection naturelle est pratiquement l’opposé de l’évolution. La sélection naturelle produit un écosystème où les espèces s’emboîtent au biotope avec ses composantes physiques, géographiques, végétales, animales. En fait, tout se passe au niveau interfacial et donc technique. Se déplacer, se nourrir, trouver un partenaire sexuel, toutes ces choses mobilisent les interfaces techniques et perceptives et donc les formes matérielles. Les forces évolutives sont à l’opposé de la sélection naturelle. La vie évolue parce qu’elle se refuse à rester une adaptation, un état d’équilibre dynamique dans un biotope. D’aucuns me jugeront bergsonien avec l’idée d’une force évolutive semblant proche de l’élan vital. J’espère aller bien plus loin que Bergson car les savoirs sont bien plus aboutis.

 

Au final, deux piliers de l’édifice néodarwinien s’écroulent. Celui de l’ADN compris comme l’un des deux ressorts évolutifs. Le génome a un rôle déterminant, celui de conserver un patrimoine génétique mais il n’est pas cette instance qui muterait au hasard. L’ADN mute « intentionnellement » dans un contexte spécial, sans doute de déséquilibre ; soit intrinsèque aux individus de l’espèce, soit en réponse à un environnement modifié. Mais l’ADN est essentiellement conservateur. Cette thèse est puissante mais elle reste à démontrer. L’autre édifice étant la sélection naturelle. La thèse que je suggère tient donc en une formule, ni sélection, ni gène. Quelques spécialistes de l’évolution et de la biologie savent pertinemment que le néo-darwinisme est sur le point de s’écrouler. La situation est critique. Un peu comme dans un conflit contenu mais qui peut se exploser à la faveur d’un événement. La situation épistémologique ressemble à celle des années Darwin, lequel s’était empressé de publier sa théorie car d’autres étaient sur la voie. Au 21ème siècle, qui va tirer le premier et proposer la nouvelle théorie de l’évolution et du vivant ? Compte tenu de la situation épistémologique, il doit bien y avoir quelques « clients sérieux » comme on dit. En science, aucun n’édifice ne s’écroule en fait. C’est juste que d’autres édifices supplantent les anciens. C’est pour cette raison que le néo-darwinisme avec ses deux piliers est promis à la chute, tel un empire des savoirs destiné à être remplacé par une nouvelle théorie. Les clignotants s’agitent. Ce n’est qu’une question de dix ou vingt ans.


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