Eclairage inédit sur l’origine des oiseaux

par Bernard Dugué
mercredi 6 juillet 2011

Les oiseaux constituent, après les poissons, la classe de vertébrés la plus diversifiée, avec ses quelques 10 000 espèces, nombre dépassant largement celui chiffrant les lézards, amphibiens et autres mammifères. L’apparition des oiseaux voici 150 millions d’années précède l’extinction des dinosaures, animaux avec lesquels ils possèdent un clade commun. Les évolutionnistes pensent que les oiseaux ont évolué en se dotant de plumes et en pratiquant le vol. Cette idée est contestée par le biologiste du développement et spécialiste des oiseaux, Stuart Newman qui, constatant la puissance du muscle squelettique aviaire, notamment au niveau des cuisses, a orienté ses hypothèses dans une direction toute autre. Il propose son explication dans une savante tribune publiée dans Bioessays. L’affaire aurait été « exécutée » avec un gène très particulier ayant joué semble-t-il un rôle crucial dans l’étape évolutive causant la divergence entre plusieurs classes de vertébrés issus d’un ancêtre tétrapode, avec notamment d’un côté les mammifères et de l’autre les oiseaux.

Le gène en question code pour une protéine très spéciale, l’UCP1, dite protéine de découplage mitochondrial. Cette protéine est impliquée dans la thermogenèse. Son mécanisme est bien évidemment complexe et consiste à découpler partiellement l’arrivée des protons dans la mitochondrie et donc de réduire leur participation à la synthèse d’ATP (ainsi que d’autres anabolites, acides gras notamment). De ce fait, les protons s’accumulent dans l’espace inter-membranaire et livrent leur énergie sous forme de chaleur, au lieu de s’accumuler sous forme d’énergie chimique dans la molécule d’ATP. Les biologistes de la cellule ont découvert très récemment que les adipocytes bruns sont capables d’activer la protéine de découplage UCP afin de produire de la chaleur. Ces adipocytes sont largement présents chez le nouveau né des mammifères où ils servent à adapter le nourrisson qui passe de la température utérine à une température ambiante. On les retrouve aussi en grande quantité chez les animaux hibernant. Par contre, les oiseaux n’ont pas de graisse brune mais seulement de la graisse blanche alors que les mammifères possèdent les deux types de graisse. D’où une cohérence entre la présence d’une fonction thermogénique présente dans un type cellulaire et la présence d’un gène dont la protéine une fois synthétisée participe à cette fonction. Les oiseaux n’ayant pas (ou très peu) d’adipocytes bruns, il est logique que le gène codant pour l’UCP1 ait disparu. Ils partagent cette délétion avec les reptiles et sans doute, les dinosaures issus d’un même rameau phylétique que les oiseaux. Comme l’indique le schéma proposé par Newman, les mammifères possèdent le gène UCP1, avec les poissons osseux et les batraciens mais ils sont les seuls à disposer de la régulation thermique liée aux adipocytes bruns.

Les reptiles, comme les poissons, n’ont pas de système de régulation thermique, on les désigne comme poïkilothermes par opposition aux homéothermes parmi lesquels ont retrouve les mammifères mais aussi les oiseaux dont la température interne dépasse les 40 degrés. Il en faut, de la chaleur, pour couver les œufs avant l’éclosion des nouveaux-nés. Comment alors les oiseaux ont-ils pallié à cette absence du gène codant pour l’UCP1 pour assurer leur thermogenèse et développer ainsi une stratégie adaptative couronnée de succès ? C’est cette question que s’est posée Newman. Son hypothèse consiste à mettre en relation la production de chaleur avec l’hyperplasie musculaire. Les oiseaux ont développé en effet une croissance particulière du muscle squelettique, bien plus que chez le lézard ou la plupart des mammifères. La masse musculaire aviaire se concentre sur les cuisses et dans la cage thoracique où elle permet une ventilation très efficace lors de la respiration. D’après Newman, l’hyperplasie musculaire aurait permis aux oiseaux de survivre en compensant les effets consécutifs à la perte du gène UCP1, alors que les dinosaures auraient disparu faute d’une stratégie adaptative devenue perdante à la faveur d’éventuelles périodes de glaciation.

Nul doute que ce nouvel éclairage sur les stratégies évolutives s’avère élégant dans sa simplicité, même s’il pose d’autres interrogations. Il paraît délicat de mettre en cause un seul gène. Je suggérerais pour ma part de considérer la « piste UCP1 » comme un indice permettant d’orienter les enquêtes phylogéniques vers une voie inédite mettant au centre du succès adaptatif des oiseaux les plumes et le vol ainsi que l’hyperplasie musculaire qui pourrait être déterminante si l’hypothèse de Newman se précise. Avec un bémol cependant. Pourquoi supposer la délétion d’un gène ? L’hypothèse inverse de l’acquisition du gène UCP1 par les mammifères est tout aussi compatible avec le principe de l’hypothèse musculaire aviaire. Produire de la chaleur est indispensable, notamment pour la reproduction des oiseaux qui elle, est cruciale pour la pérennité des représentants de cette classe de vertébrés. Même si l’on ne connaît ni le contexte du milieu il y a 200 millions d’années, ni le génome des ancêtres évolutifs, l’idée de Newman illustre parfaitement la démarche de l’évolutionniste qui, en repérant des fonctions, des spécificités phylogénique et des divergences génétiques, se comporte comme un authentique détective glanant des indices parlant, traquant des coïncidences, en analysant une masse gigantesque de données scientifiques. Et n’oublions pas qu’un détective doit aussi penser à manger.

D’où une remarque gastronomique pour finir. Les conséquences de cette hyperplasie musculaire se manifestent en effet dans nos assiettes. Les cuisses et blancs de poulet sont les deux parties les plus appréciées de cette volaille. Avec les cuisses de canard, on fait un excellent confis avec de la bonne viande à déguster ; dans le magret, il n’y a pas que de la graisse. Et que dire de la cuisse de dinde qui lorsqu’elle bien charnue, rivalise avec le gigot d’agneau.


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