Et l’homme créa la vie... artificielle !

par William Castel
vendredi 21 mai 2010

20 mai 2010 : jour historique ! Le biologiste américain John Craig Venter, entouré de son équipe de 24 chercheurs, vient d’annoncer la création de la première cellule vivante dotée d’un génome synthétique. En mai 2010 Joel De Rosnay publie un livre sous le titre Et l’Homme créa la vie et a lancé un blog dédié à l’adresse http://www.hommecreavie.com/ .
 
Cette prouesse représente une avancée considérable dans la compréhension des mécanismes de la vie et ouvre la voie à la fabrication d’organismes artificiels pouvant produire notamment du carburant propre.
 
C’est lors d’une conférence téléphonique organisée par le journal Science (qui a publié les résultats des travaux), que John Craig Venter a affirmé que la nouvelle cellule constituait « la première espèce autoreproductrice que nous ayons eue sur la planète à avoir pour parent un ordinateur ».
 
Son étude, intitulée « Création d’une cellule bactérienne contrôlée par une synthèse chimique du génome », annonce : « Nous rapportons la conception, la synthèse et l’assemblage de 1,08 Mb du génome Mycoplasma mycoides JCVI-syn 1.0, numérisés à partir des informations sur la séquence du génome et sa transplantation dans un Mycoplasma capricolum, cellule receveuse, pour créer de nouveaux Mycoplasma mycoides, cellules qui sont contrôlées uniquement par le chromosome synthétique. L’ADN présent dans les cellules n’est que de l’ADN conçu par synthèse y compris (...) les polymorphismes et les mutations acquises au cours du processus de construction. Les nouvelles cellules ont les propriétés phénotypiques prévues et sont capables d’autoréplication. »
 
En clair, les scientifiques du Craig Venter Institute viennent de mettre au point une bactérie dont le patrimoine héréditaire a été construit par synthèse informatique et chimique, et qui est aujourd’hui capable de se diviser pour se reproduire. La cellule a été créée en écrivant un code génétique sur ordinateur, puis en combinant un assemblage d’éléments chimiques, afin de créer un chromosome. C’est la naissance de la vie synthétique ! « Il s’agit de la création de la première cellule vivante synthétique au sens où celle-ci est entièrement dérivée d’un chromosome synthétique », explique Venter. « Ce chromosome a été produit à partir de quatre flacons de substances chimiques et d’un synthétiseur, le tout ayant commencé avec des informations dans un ordinateur. »
 
Le travail de Craig Venter, qualifié d’« exploit technique impressionnant » par le généticien Stephen Scherer, chercheur à l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, a une portée, on le voit, qui dépasse largement le seul cadre scientifique ; il amorce aussi une remise en question philosophique et religieuse de première importance. Venter a ainsi estimé que sa création était « un pas important tant scientifiquement que sur le plan philosophique. » Cette percée « change ma vision de la définition de la vie et de son fonctionnement », ajoute-t-il encore.
 
 
Certains puristes ont déjà fait remarquer que Venter n’avait pas proprement "inventé" une nouvelle espèce bactérienne mais avait, plus exactement, "copié" le génome d’une bactérie existante. En effet, le génome mis au point par le biologiste américain est la copie d’un génome existant, celui de la bactérie mycoplasme mycoïde, mais avec des séquences d’ADN supplémentaires pour l’en distinguer. Les chercheurs ont transplanté ce génome synthétique dans une autre bactérie, la microplasme capricolum, réussissant à activer ses cellules. Il n’en demeure pas moins que la démonstration est faite : on peut créer par synthèse la molécule ADN et cette création synthétique peut, dans un environnement adéquat, entrer dans le cycle de la vie.
 
Quelles pourront être les applications de ces travaux révolutionnaires ? « Si ces techniques peuvent être généralisées, la conception, la synthèse, l’assemblage et la transplantation de chromosomes synthétiques ne seront plus des obstacles aux progrès de la biologie synthétique », écrivent les chercheurs dans un résumé de leur étude. Craig Venter a déjà annoncé qu’il allait tenter de concevoir des algues capables de capturer le dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre, et de produire de nouveaux carburants propres. Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là, puisque des recherches sont également en cours pour accélérer la production de vaccins, fabriquer de nouvelles substances chimiques, des ingrédients alimentaires ou encore des bactéries capables de purifier l’eau. Nous semblons rentrer véritablement dans une nouvelle ère scientifique.
 

Tout le monde ne partage pas l’enthousiasme de Craig Venter, qui, s’il semble rapprocher l’homme de Dieu, pourrait aussi bien le rapprocher du démon. Ainsi, Pat Mooney, directeur de l’ETC Group, organisme international privé de surveillance des technologies basé au Canada, qualifie de "boîte de Pandore" ses travaux, estimant que "la biologie synthétique est un champ d’activité à haut risque mal compris motivé par la quête du profit". "Nous savons que les formes de vie créées en laboratoire peuvent devenir des armes biologiques et menacer aussi la biodiversité naturelle", ajoute-t-il dans un communiqué.

Il est d’ailleurs saisissant que les travaux de Craig Venter sortent au moment même où Joël de Rosnay publie un livre au titre troublant : Et l’homme créa la vie..., qui traite exactement de ce sujet, et qui anticipe certains des pires dangers de ce nouvel élan prométhéen de l’humanité. Il faut ici lire le chapitre 3, intitulé "l’Ere des apprentis sorciers". En voici un extrait, en libre accès, dans lequel l’auteur imagine à quoi pourrait ressembler les bio-cataclysmes des prochaines décennies :

 

Bioterrorisme et écocatastrophes : vrais/faux scénarios du futur

A la une de Vox Populi : un cataclysme se prépare

Le 22 avril 2037, le grand site d’information en ligne Vox Populi (disponible en dix-huit langues et générant le plus gros chiffre d’affaires du TurboNet depuis une dizaine d’années), jette un pavé dans la marre. Sur sa page d’accueil, figure une angoissante composition numérique en trois dimensions. Impossible de dire, au premier coup d’œil, s’il s’agit d’un insecte ou d’un robot. Ou des deux à la fois. Les yeux globuleux de cette « chose » concentrent des milliers de micro-caméras et ses mandibules de titane semblent capables de cisailler l’alliage le plus tenace. Autour de la créature, un ciel menaçant déchiré d’éclairs.

Au dessous, des kilomètres de feuilles vertes plastifiées qui recouvrent la terre d’une étrange peau artificielle. Cette « Une » accrocheuse porte un titre énigmatique : « La biologie de synthèse : vers le grand cataclysme ? ». Au fil de la lecture de ce dossier spécial, les internautes découvrent une série d’histoires présentant deux points communs. D’une part elles évoquent des technologies ou des recherches impliquant la biologie de synthèse. D’autre part elles illustrent, par des exemples, les dangers de cette science, sur notre espèce, et même sur l’ensemble de l’écosystème terrestre. L’éditorial du rédacteur en chef donne le ton : « En exclusivité, nos équipes ont découvert l’origine de plusieurs tragédies ou écocatastrophes récentes, qui ont frappé la France comme une dizaine d’autres pays ces dernières années. Concernant ces dossiers sensibles, les autorités ont fait preuve d’embarras et d’une certaine volonté d’occulter la vérité lorsque nous les interrogions sur l’origine de telles affaires. Ce qui n’a pas manqué d’attirer notre attention de journalistes d’investigation. La plus emblématique de ces affaires reste la mort inexpliquée d’une centaine de milliers de personnes sur le continent américain entre juin 2022 et octobre 2023.

Ces révélations ont été possibles grâce au travail de l’un des plus célèbres biohackers britanniques, Hugh « Eddie » Thomasson, lequel a pu prouver la présence d’agents pathogènes ou de molécules toxiques dans les environnements liés à ces drames humains. Grâce à son génie et ses méthodes, il a pu remonter les ‘filières’. La plupart des allégations qui suivent ont été confirmées par des sources officielles mais qui souhaitent conserver leur anonymat ». Après une telle introduction, il n’est pas étonnant que les Internautes se soient rués sur l’enquête, qui enregistra son record d’audience (plusieurs centaines de millions de pages lues en quelques jours, et dans toutes les langues).. Parmi ces révélations, certaines font réellement frémir.


Des micro-robots devenus fous

A la page 4 du dossier de Vox Populi, ce titre : « Des robots destructeurs de réserves alimentaires ». En résumé, l’article raconte que des micro-robots agricoles, de la taille d’une écrevisse, avaient été lâchés au Japon sur des exploitations. Destinés à travailler en essaims de 20.000, ils étaient programmés pour récolter des substances à usage pharmaceutique, produites par des plantes modifiées par biologie de synthèse. Ces dernières produisaient non seulement des médicaments utiles à l’industrie pharmaceutique mais aussi des phéromones, molécules odorifères permettant à ces biorobots de se guider jusqu’à elles. Le problème est que ces micro-robots se sont avérés capables de s’auto reproduire à grande vitesse grâce à un échange de gènes.

Tout en se multipliant dangereusement, ils se sont non seulement mis à détecter les odeurs pour lesquelles ils avaient été programmés, mais également celles que dégagent fruits et légumes récoltés ! Conséquences : ils ont fondu sur des dizaines de marchés en plein air, halles, étals d’hypermarchés qui vendaient les récoltes produites par les exploitations sur lesquelles ils travaillaient. Des milliers de tonnes d’aliments frais furent littéralement détruits et saccagés, menaçant l’autonomie alimentaire de millions de Japonais… Ils ont donc été détournés de leur fonction première. En cause : leur nature hybride robotique et biologique (de synthèse), leur permettant d’échanger des gènes et de se reproduire comme une espèce indépendante…

Des termites dévoreurs de charpentes ravagent Bordeaux

Dans le même registre, l’article de la page 6 est tout aussi édifiant : « Des termites détruisent une ville ! ». L’affaire remonte à 2025, à Bordeaux. Un phénomène inquiétant se produit dans plusieurs quartiers de l’ancienne ville, peuplés de nombreuses maisons traditionnelles avec leurs superbes charpentes en bois, tout autour du port. Or, en quelques jours à peine, des demeures s’effondrent tels des châteaux de cartes. L’industrie vinicole est également frappée car des tonneaux anciens se désagrègent et déversent leur précieux contenu dans l’environnement. Les recoupements de l’équipe de Vox Populi sont accablants : les services biologiques de la ville ont pu remonter, dans un rapport jusqu’ici confidentiel, aux recherche menées dans une ancienne usine de Lacq – ville dont l’activité est historiquement tournée vers le pétrole. Des équipes scientifiques cherchaient à produire des biocarburants à partir de déchets de bois, copeaux et autres bois morts.

Leur méthode : utiliser des termites modifiés par biologie de synthèse pour surexprimer le gène de la « lignase », une enzyme capable de digérer la lignine du bois et présente dans l’estomac de ces insectes xylophages.. Or, cette opération est indispensable pour accéder aux polysaccharides contenus dans le bois, découpés ensuite en sucres simples par des enzymes hydrolytiques. Concrètement, l’opération consiste à « ouvrir » les structures de la paroi du bois pour en extraire les polysaccharides et obtenir les sucres fermentables en bioéthanol. Or, pour dégrader les parois du bois, les termites modifiées doivent dévorer des quantités considérables de ce matériau naturel. Le problème est que ces « super termites » issus de la biologie de synthèse, se sont reproduits de manière anarchique et se sont échappés du laboratoire de Lacq. Ils ont ensuite rapidement gagné le port de Bordeaux par transport routier ou fluvial, cachés dans divers caisses ou produits à base de bois, et ont dévoré charpentes et tonneaux pour aboutir au désastre… L’affaire avait alors été étouffée par les autorités.
 
 
L’un des aspects les plus redoutables de ces nouvelles bio-technologies, c’est qu’elles ne resteront pas longtemps entre les mains des seuls scientifiques dans leurs laboratoires ; déjà, dans de simples garages californiens, des particuliers - les bio hackers - ont investi ce prodigieux champ d’investigations. Nul besoin de matériel coûteux pour faire de la biologie de pointe. N’importe qui peut faire n’importe quoi n’importe où...
 
Pour en savoir plus sur cette révolution en cours, le livre de Joël de Rosnay, écrit en collaboration avec le journaliste scientifique Fabrice Papillon, constitue une véritable mine d’informations. Son prologue est également accessible en ligne. Pesant le pour et le contre des innovations à venir, il nous fait certes frémir en envisageant l’essor du bio terrorisme, la contamination des espèces ou encore la robotisation de l’homme, mais il nous remplit également d’espoir en montrant les avancées saisissantes dans les domaines de la santé, de la lutte contre le vieillissement ou de l’environnement.
 

Lire l'article complet, et les commentaires