Êtes-vous sûr que votre corps est bien à vous ?

par Krokodilo
jeudi 27 novembre 2008

Car depuis peu, une partie appartient peut-être aux Etats-unis ! 

En effet, l’Office européen des brevets vient de mettre un terme définitif à une bataille juridique qui durait depuis des années, en rétablissant en appel le brevet demandé par la société Myriad Genetics, qui concernait des tests sur des mutations génétiques prédisposant aux cancers du sein et des ovaires, mais avec une portée plus limitée que la version d’origine. 

Si vous avez la malchance de posséder une certaine séquence du gène BRCA1, nous avons le regret de vous apprendre que la société étasunienne Myriad Genetics et l’université de l’Utah ont maintenant un brevet dessus. Le reste est à vous, pour l’instant !

Un peu d’historique :
« La société Myriad Genetics a déposé des demandes de brevets dès 1994. Dès 2001, lorsque le premier brevet a été délivré par l’Office européen des brevets (OEB), la contestation a commencé. En France, l’Institut Curie, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (Ap-Hp), l’Institut Gustave-Roussy se sont élevés contre ces brevets, estimant qu’ils étaient injustifiés et qu’ils bloquaient les recherches d’autres laboratoires. »
(Le Nouvel Obs en ligne, d’après Science et Avenir )

Mais les opposants du monde entier s’étaient réjouis trop tôt, l’Office européen des brevets s’est montré en appel favorable à cette demande, dans une version aux prétentions moins vastes :

« ce brevet ne porte plus que sur une sonde étroitement définie pour détecter une seule mutation. Et l’usage de cette sonde n’est pas un point de passage obligé. Ces décisions mettent fin au monopole juridique revendiqué par Myriad Genetics sur le gène BRCA1 dans sa totalité et sur le diagnostic génétique du cancer du sein. Elles laissent le champ libre aux généticiens européens qui peuvent développer et mettre en oeuvre leurs méthodes de tests dans le cadre d’une organisation clinique et à caractère non lucratif. »

« "Nous sommes un peu déçus", a déclaré à l’AFP le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet de l’Institut Curie (Paris) à l’origine de la mobilisation internationale contre ce brevet. »


Il faut savoir qu’il s’agit d’une question de gros sous. Au départ, la société Myriad Genetis a néanmoins fait une vraie découverte :

« En 1995, la société américaine Myriad Genetics identifie le gène BRCA1, portant sur une méthode pour le diagnostic d’une prédisposition à un cancer du sein et de l’ovaire. Elle dépose immédiatement un brevet sur ce gène. Tous les tests ou les médicaments l’utilisant doivent alors lui verser des royalties. Profitant de ce monopole, la société oblige les laboratoires européens à envoyer leurs tests à leur propre laboratoire, leur présentant au passage une facture exorbitante : 2700 euros, trois fois et demi le coût normal dans un labo français »
(Nouvel obs)

Mais d’après les opposants, dans leur précipitation à déposer des brevets, le coup n’était pas complètement assuré :

« Dans son communiqué, les trois opposants français se réjouissent de cette décision. Ils expliquent que les premières demandes de brevet de Myriad Genetics portaient sur des séquence du gène BRCA1 qui contenaient des erreurs. Lors du second dépôt, en mars 1995, la séquence était disponible dans des bases de données et ne répondait plus au critère de nouveauté exigée pour le brevet. »

Cette conclusion en faveur des USA témoigne aussi, d’une certaine façon, de la faiblesse de l’Union européenne, car les opposants, ont perdu la bataille alors qu’ils étaient nombreux et représentatifs :

« Mais en France, l’Institut Curie proteste vivement et dépose une plainte auprès de la Commission Européenne. Suivent les Ministères de la Santé belges, hollandais, la ligue allemande contre le cancer ou Greenpeace… 11 pays vont au final se joindre à la plainte. Principales failles du dossier : le manque de description du gène et sur le "défaut d’activité inventive", une des conditions principales pour l’obtention d’un brevet. En mai 2004, l’OEB finit par révoquer le brevet. »
(Inserm)

Que les machos sans ovaires, ne se réjouissent pas trop vite, ce n’est pour eux que partie remise : demain, peut-être, la mutation qui leur permet d’attirer toutes les femelles – qu’ils disent - grâce à des phéromones de tout premier choix, sera brevetée par une autre société, et ils devront payer des droits à la moindre utilisation !

Ce qui est en jeu, au-delà du gros business scientifique des tests diagnostics et prédictifs, c’est l’affrontement entre deux conceptions de la science, de la société, de la vie : d’un côté de l’Atlantique, la brevetabilité du vivant, du moindre fruit et de la moindre semence que Dame nature a mis à notre disposition, et du côté de l’UE, une majorité penche pour le libre accès au vivant, et pour limiter le brevetage aux seules techniques et méthodes, en excluant donc celui d’une séquence de gènes. Selon cette optique, ceux qui découvrent telle ou telle prédisposition doivent se satisfaire de la gloire et de l’avance acquise dans la course aux techniques, ce qui ferait déjà le bonheur de nombreux chercheurs.

Curieusement, l’Office européen des brevets n’a pas suivi l’avis majoritaire des chercheurs et des pays de l’UE... Pourquoi ? Bonne question, qu’il faut poser à tous ceux qui ont défendu la signature du protocole de Londres sur la langue des brevets, au motif qu’une langue serait neutre et ne véhiculerait pas d’idéologie, et que l’usage de l’anglais dans la partie descriptive des brevets ferait économiser de l’argent aux entreprises...

On pourrait comparer ça à la course à la lune : sera-t-elle à tous, ou y verra-t-on des pancartes « propriété privée, no trepassing ou vous allez trépasser ». Ce sont les techniques pour y aller et y vivre qui seront brevetées, pas la lune elle-même, du moins faut-il l’espérer...
Et l’orbite géostationnaire, va-t-elle être vendue à la découpe ? Je vous en mets combien de millions de mètres-cubes ?

Dorénavant, toutes les équipes médicales qui travailleront sur cette séquence de gènes pourront être poursuivies pour contrefaçon ! Bravo l’UE, décision aussi nulle que celle du faux chocolat.


Lire l'article complet, et les commentaires