Evolution : le hold-up matérialiste

par olaf_le_preux
vendredi 12 juin 2009

À voir s’essouffler les débats circulaires sur le hasard ou la finalité, la Théorie synthétique de l’évolution ou le Dessein intelligent, l’Absurde ou le Sens, il fallait que soit rendue visible la particularité radicale de la doxa prévalant en Occident : l’Univers serait par postulat non téléologique ; toute notion de finalité serait non scientifique et en conséquence non recevable sur la place publique pour les sujets sérieux, ceux qui engagent nos sociétés.
 
C’est chose faite grâce au livre de Jean-Luc Martin-Lagardette, Évolution et finalité, Darwin, Monod, Dieu, éditions L’Harmattan. Il y est exposé avec précision et rigueur ce en quoi la position qui consiste à considérer que « seul le matérialisme scientifique est scientifique » est illégitime logiquement et moralement.
 
Il n’est là nullement question d’opinions, de choix arbitraires ou de préférences d’un spiritualiste en mal de rayonnement. Non, l’auteur nous présente une argumentation structurée exposant les mécanismes par lesquels se sont instaurées et perdurent des confusions. Des confusions logiques et sémantiques qu’il est vital de réduire en élucidant les présupposés de la « démarche scientifique occidentale » actuelle. Identifiés comme tels, ces présupposés peuvent être acceptés en tant que postulats ou en tant qu’hypothèses. Mais ils ne peuvent plus prétendre à fonder exclusivement la vérité dite scientifique.
 
Or, vu la considération quasi sacrée dont jouit, au niveau des instances organisatrices de nos pays développés, ce qu’on appelle « scientifique », le qualificatif de « non scientifique » prend mécaniquement une connotation franchement péjorative, synonyme d’« irrationnel », voire de « sectaire ». Est désormais classée ainsi toute conception, y compris la plus rigoureuse, ne rentrant pas dans le cadre du matérialisme scientifique. Il n’y aurait finalement, en matière de connaissance, qu’une position possible, celle du matérialisme scientifique ; les autres relevant du mysticisme, de la croyance, du rêve ou du fanatisme.
 
En conséquence douloureuse et ô combien préjudiciable, tout le versant non strictement matérialiste de l’existence est méprisé, marginalisé voire nié. Sous le prétexte que seul le matérialisme est rationnel, la dimension philosophique, spirituelle ou éthique est ainsi mutilée dans plusieurs domaines d’application pourtant vitaux : éducation, médecine, écologie… Réhabiliter une perception à la fois plus saine et plus complexe de la notion de science, reconsidérer la place, majeure mais non exclusive, de l’approche matérialiste, voilà ce que cet ouvrage salutaire nous propose.
 
On fête cette année le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin, concepteur de la théorie de l’évolution, et le cent-cinquantenaire de la publication de l’ouvrage qui l’a rendu célèbre, L’Origine des espèces. Scientifiquement, l’événement est d’importance : il a signé le départ d’un formidable développement des recherches sur l’histoire et le fonctionnement du vivant. Sociétalement, il l’est aussi, parce qu’il a placé l’homme dans une longue chaîne biologique ininterrompue, le faisant descendre de son piédestal au grand dam des religions.
 
La controverse entre les tenants du hasard et de la nécessité (selon la thèse de Jacques Monod) et ceux d’un Principe intelligent, concernant l’origine du monde, n’est toujours pas apaisée. Et un débat serein sur la question est encore rarement possible. L’auteur s’est plongé dans les textes originaux pour mener une analyse épistémologique rigoureuse, apte, nous semble-t-il, à resituer le débat sur le terrain de la pensée, et non plus de l’invective ou du mépris.
 
Voici son argumentation : la théorie darwinienne de l’évolution (TDE) est partagée par une majorité de scientifiques. Elle est aujourd’hui appuyée sur de multiples observations. Elle est utile et féconde, notamment en ce qu’elle a rendu inacceptable la thèse du créationnisme littéral et ouvert un champ de recherche illimité sur les origines du vivant. Mais elle comporte des failles et des lacunes importantes, de l’aveu même de ses défenseurs. Par ailleurs, la TDE s’est adossée à un postulat (principe indémontrable) : celui de l’objectivité du monde et de l’absence de toute finalité (désormais qualifiée d’anti-scientifique). Ce positionnement métaphysique revient à opter pour le seul mécanisme (matérialisme) afin d’étudier l’Univers.
 
Du fait de ces lacunes et de ce positionnement préalable, d’autres voies demeurent parfaitement légitimes. Elles sont d’ailleurs explorées par nombre de chercheurs, preuve que la TDE peut être revue, voire corrigée. Ces voies alternatives font souvent une place, plus ou moins intégrée à la matière, à une forme d’intelligence créatrice. L’auteur nomme cette approche le postulat d’un principe intelligent (PPI). Le PI (principe intelligent) est un concept opératoire : il n’implique ni n’interdit aucun lien avec tel ou tel système philosophique ou religieux. D’un point de vue purement logique, puisque qu’elles se basent toutes les deux sur un postulat (ne pouvant faire autrement), le PPI et la TDE doivent théoriquement avoir chacune sa place dans la recherche scientifique et dans le débat public. Certes, le PPI, pour tenir cette place, devra satisfaire à des conditions de méthode restant encore à élaborer.
 
Mais la recherche scientifique publique devant être neutre, elle ne doit pas favoriser le développement de la science selon le seul angle matérialiste, occultant souvent tout ce qui ne s’y accorde pas. Elle devrait aussi faire place au postulat symétrique d’un Principe Intelligent. L’interdiction d’accès de ce dernier à la place publique revient de fait à confondre volontairement laïcité et athéisme, ce qui n’est démocratiquement pas admissible et très mal vécu par beaucoup de sensibilités à travers le monde. Et cet état de fait coupe l’homme d’une de ses dimensions les plus spécifiques.
 
Une précision importante : l’auteur ne plaide pas dans ce livre pour le Dessein intelligent ni même pour l’hypothèse intelligente. Il montre seulement que, rigoureusement parlant, celle-ci ne peut pas être évacuée, comme elle l’est trop souvent aujourd’hui.
 

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