Faut-il se taire sur ITER ?
par olivier cabanel
vendredi 26 septembre 2014
Devant le désastre économique et environnemental annoncé, les centrales nucléaires « nouvelle génération » démontrent les limites de leur légitimité, et avec le projet ITER, le nucléaire cherche désespérément une porte de sortie acceptable, mais que penser de ce projet sur lequel un silence assourdissant s’est posé.
ITER, acronyme pour dire International Thermonuclear Experimental Reactor, à l’objectif pour le moins audacieux qui consiste à imiter le soleil, afin de produire de l’énergie, projet pour lequel ne nombreuses nations ont mis la main à la poche, la France y engloutissant pour sa part la moitié des sommes destinées à la recherche dans ce domaine.
Fin aout 2014, les opérations de coulage de béton avaient commencé, grâce à l’aval donné par l’ASN (autorité de sureté nucléaire) et elles consistent à réaliser le plancher de l’installation reposant sur des plots antisismique, destiné à supporter les 360 000 tonnes du complexe.
Il s’agit à terme d’espérer produire de l’énergie, en tentant à grande échelle la fusion de deux variétés d’hydrogène, deutérium et tritium, dans un réacteur géant appelé Tokamak, permettant un confinement des particules grâce à la combinaison de 2 champs magnétiques. lien
L’assemblage de la machine se terminera en principe en 2020, et pour l’instant les contributeurs de ce projet ont financé le tout à hauteur de 3,4 milliards d’euros.
Malgré l’optimisme affiché des acteurs de ce programme, de nombreuses voix contestataires, se sont déjà fait entendre dans le milieu scientifique, dont celle de Georges Charpak, qui dénonçait dans une tribune publiée en aout 2010 « un rêve impossible », ajoutant que « la fusion pose des problèmes qu’on ne sait pas résoudre ». lien
Ce grand physicien, aujourd’hui disparu, n’était pas le seul à critiquer : Pierre Gilles de Gennes, et Masatohsi Koshiba, tous prix Nobel en avait fait de même, mais cela n’a pas ému les promoteurs têtus de cette installation. lien
Pour bien comprendre l’objectif d’ITER, il faut avoir quelques données supplémentaires : pour démarrer ITER, il faudra disposer de 500 Mégawatt pendant une dizaine de secondes, car d’une part, pour « chauffer » le plasma de deutérium et de tritium, il faudra quelques dizaines de MW pendant 400 secondes, et l’installation a besoin de façon permanente de 120 MW.
L’Union Européenne, la Chine, les Etats Unis, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud et la Russie ont donné en 2006 leur accord pour le lancement du projet.
Celui-ci a déjà commencé par prendre 30 mois de retard, et l’objectif de 2020 sera vraisemblablement repoussé à 2023, quand au prix, l’habitude semble prise dans le milieu nucléaire de dépasser largement les prévisions, puisqu’il est passé de 5 milliards initialement prévus à 13 milliards pour l’instant, mais comme le disent les responsables du projet, le véritable cout global est encore plus difficile à évaluer. lien
Rappelons que la France apporte les 30% du budget, le reste de l’Union Européenne, 20%...et par ces temps de crise, est-ce judicieux d’engager autant d’argent pour un projet dont personne ne sait s’il sera viable un jour…d’autant qu’à ce jour, ce sont déjà 17 milliards d’euros qui ont été dépensés.
Pour se faire une idée des critiques que l’ont peut faire sur ITER, il était indispensable d’écouter les physiciens experts en nucléaire, Monique et Raymond Sené, sur l’antenne de France Culture, dans l’émission « Terre à Terre », le 20 septembre dernier. lien
Utilisant une image simple pour expliquer la différence entre la fusion et la fission, Monique Sené a déclaré : « la fusion est née en même temps que la fission, dans un cas, on éclate un noyau, dans l’autre cas, on les colle et les 2 processus produisent de l’énergie (…) la fission si vous la faites à petite énergie vous pouvez aller à plus haute énergie sans problème, ce n’est pas le cas de la fusion (…) et quand vous faites une machine à petite dimension, vous ne pouvez pas extrapoler à une très grande dimension »…Raymond Sené ajoute : « pour pouvoir réussir à avoir une machine dont le bilan serait positif, il faut atteindre une certaine dimension critique au dessus de laquelle, ça pourrait marcher (…) à petite dimension on arrive à régler les problèmes, mais au-delà il y a de touts petits effets qui ne gênaient personne à petit niveau et qui deviennent problématiques à plus grande échelle ».
Pour réussir la fusion, il faut ajuster 3 paramètres, (la densité, la température, et la durée) or ça n’a jamais été possible.
Ruth Stegassy, l’animatrice de l’émission qui a invité les deux scientifiques résume assez bien la situation : « un jongleur avec 3 balles qui n’a jamais réussi à garder les 3 balles en l’air ».
Raymond Sené reprend la balle au bond en expliquant : « à un certain moment, sans qu’on sache trop pourquoi, d’ailleurs, il y a une perte de stabilité, d’un seul coup, ça va percuter la paroi et à ce moment là, ça volatilise la zone de la paroi, ça fait un gros trou (…) les particules chargées électriquement on les fait tourner dans l’anneau, plus elles montent en température, (…) plus elles rayonnent, ce sont des photons de très haute énergie, (très radioactifs) qui auront comme caractéristiques d’arriver sur la paroi et ils arrachent tout ce qu’ils veulent, et plus on montera en température, plus on perdra de l’épaisseur de la paroi… ».
Les deux physiciens rappellent aussi, que contrairement à ce qui avait été affirmé par les promoteurs du projet, ITER produira aussi des déchets, et bien plus radioactifs que ceux produits par la fission.
Du coté du financement, il y a aussi des problèmes, le projet d’ITER utilise la moitié des financements destinés à la recherche et au développement pour les énergies en Europe.
Et quid de la démocratie dans tout ça ?
Le « débat public » organisé en grande pompe, après la décision de faire ITER mérite le détour.
Afin de ne pas se trouver face à un public hostile, le CEA (commissariat à l’énergie atomique) avait affrété un bus afin de « permettre » aux salariés de l’entreprise d’assister au débat…et comme le faisait remarquer dans ses colonnes le quotidien « la Provence », si on enlève le personnel du CEA, il n’y avait en réalité pas grand monde pour participer à ce pseudo débat, lequel était plutôt une opération de communication destinée à rassurer les populations locales. lien
On peut aussi s’interroger sur les raisons qui ont fait organiser ce débat alors que la décision était déjà prise de construire ITER, ce à quoi Christian Frémont, préfet de la région PACA répondait : « si on avait fait le débat avant, la France n’aurait pas pu poser sa candidature pour obtenir ITER, selon toute vraisemblance on aurait cherché un pays un peu moins compliqué que le notre qui aurait dit oui ou non tout de suite ». lien
Laissons la conclusion à Monique Sené : « si on était raisonnable, on se rendrait compte que la fusion, elle est bien dans les étoiles, elle est bien justement dans le soleil, eh bien, utilisons le soleil avec ce qu’il nous envoie, puisque lui il existe… »
Comme dit mon vieil ami africain : « j’ai l’intention de vivre éternellement, pour l’instant, tout se passe comme prévu… »
Le dessin illustrant l’article est de Bar
Merci aux internautes de leur aide précieuse.
Olivier Cabanel
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