Fraude scientifique : la lutte s’organise

par Voltaire
jeudi 4 octobre 2007

Les 16-19 septembre derniers se déroulait à Lisbonne la première conférence internationale sur l’intégrité scientifique. Au moment où le progrès scientifique est considéré comme essentiel dans des domaines comme la compétitivité économique, la santé, la sécurité nationale ou la protection de l’environnement, gouvernements et communauté scientifique semblent s’accorder pour rehausser leurs exigences en matière d’intégrité scientifique.

Plusieurs cas récents de fraude scientifique ont connu une médiatisation sans précédent. Leur importance, les dommages causés et les mesures préventives potentielles ont fait l’objet de débats au sein de la presse, des communautés scientifiques et des gouvernements concernés.

La « fraude scientifique » (comme par exemple la fabrication ou la falsification de données, le plagiat) endommage la recherche scientifique. Elle constitue aussi une utilisation abusive de fonds publics, et affaiblit la confiance des citoyens en la science. La fraude scientifique, et plus généralement ce qu’on peut appeler l’intégrité scientifique, constituent un sujet d’inquiétude croissant pour les gouvernements, les administrations de recherche et les organes de régulation.

De nombreux pays sont ainsi actuellement engagés dans des processus de création, de modification ou d’évaluation de leur politique et mécanismes de traitement de la fraude scientifique. C’est dans ce contexte que s’est tenu, au mois de février 2007 à Tokyo, un atelier, organisé par le Forum mondial de la science de l’OCDE, sur les bonnes pratiques pour assurer l’intégrité scientifique, puis la conférence de Lisbonne, sous l’égide de la Fondation européenne de la science, de l’Office américain pour l’intégrité scientifique (ORI) et de la présidence portugaise de l’Union européenne.

Les divers cas de « fraude scientifique » et leurs conséquences

Un certain nombre de comportements de scientifiques peut être catalogué comme « fraude scientifique ». Afin d’établir ou d’évaluer un système administratif destiné à traiter des allégations de fraude scientifique, de même que pour en comprendre les causes éventuelles et proposer des remèdes efficaces, il est indispensable que ce système soit à la fois transparent et pérenne. Divers mécanismes ou modalités administratives (comprenant des éléments de prévention, d’investigation et d’application des règles) peuvent être nécessaires pour traiter correctement la diversité des fraudes possibles. En particulier, il est indispensable d’identifier les cas de fraude scientifique qui méritent une investigation approfondie, de même que des procédures pour déterminer l’innocence ou la culpabilité du ou des accusés.

Différentes définitions de ce que constitue la fraude scientifique existent, mais elles regroupent toujours certaines pratiques comme la fabrication ou la falsification de données scientifiques ou le plagiat.

Il existe un consensus général sur la nécessité d’enquêter sur des allégations crédibles de fraudes scientifique, et le fait que des mesures correctives doivent être entreprises au cas où cette enquête conclut positivement à un cas de fraude scientifique. À l’autre bout du spectre se situent des situations comme un mauvais encadrement d’étudiants ou de l’incompétence scientifique. Dans ces cas, les mécanismes internes à la communauté scientifique doivent, dans la plupart des cas, permettre d’apporter des remèdes efficaces, sans qu’il soit nécessaire d’entreprendre des procédures d’investigation formelles. Mais il existe aussi des catégories intermédiaires de comportements ou d’actions dans lesquels les administrations scientifiques peuvent avoir à intervenir. La mise en place d’une grille optimale reliant l’offense et la méthode ou le lieu adéquat pour son traitement est un problème délicat. Cela est d’autant plus complexe qu’il est important de déterminer si une action inappropriée est délibérée ou pas (action intentionnelle). Ceci est notoirement difficile à réaliser dans toute investigation.

Il faut aussi considérer que si la fraude scientifique est dommageable pour la science, ses conséquences s’étendent de façon plus large à toute la société, dans la mesure où elle peut éroder la confiance du citoyen dans la recherche scientifique et parfois aussi avoir des conséquences directes sur la mise en place de règlementations ou procédures (notamment dans le domaine biomédical).

Quelles options pour traiter des allégations de fraude scientifique ?

Il apparaît que le traitement des suspicions de fraude scientifique dans la recherche est une responsabilité souvent partagée entre responsables et institutions scientifiques et administratives. Le partage des rôles varie d’un pays à l’autre mais, en général, on trouve trois systèmes génériques pour traiter des cas identifiés :

Comités ad hoc établis pour traiter chaque cas précis

Ces comités sont souvent composés de personnalités de renom, parfois sous la responsabilité d’un comité d’éthique préexistant dans l’institution concernée. L’avantage est que ces comités d’éthiques existent déjà dans nombre d’institutions, bien qu’ils soient souvent associés principalement aux sciences de la vie/médecine et s’occupent essentiellement de problèmes liés aux expériences impliquant des personnes ou des patients. En revanche, ces procédés ad hoc souffrent, à un certain niveau, d’un déficit de cohérence sur le long terme, puisque le fonctionnement de chaque comité individuel dépend de façon critique de sa composition et des préférences, opinions ou expérience de ses membres.

Comités permanents au sein des institutions de recherche

Certains pays utilisent une série d’entités permanentes (bureaux, agents, comités) et de procédures adaptées, au niveau des institutions (université, grand laboratoire de recherche...) où la fraude peut avoir lieu. Ces entités peuvent être chargées de recevoir des accusations, les traiter (y compris mener des investigations) et recommander les mesures à prendre. En général, ces entités ne sont pas complètement autonomes, c’est-à-dire qu’il existe une certaine interaction avec une autorité mandatée par le gouvernement, comme par exemple une agence de financement. Un tel système bénéficie en général d’une bonne acceptation par les scientifiques, qui préfèrent placer leur confiance dans un système local qui opère suivant des termes et conditions qui peuvent être observées et comprises. L’acceptation par la communauté scientifique est un élément vital pour tout système de traitement des fraudes scientifiques, notamment parce qu’un des principaux attributs de toute carrière de chercheur (réputation auprès des pairs, perspectives d’emplois et de promotion, capacité d’attirer des financements et des collaborateurs) peut être sérieusement endommagé par des allégations de fraude scientifique.

Un ou plusieurs comité(s) spécifique au niveau national

Cette alternative peut être préférée par des pays dont les communautés scientifiques sont relativement restreintes, et où il peut être difficile d’établir des comités impartiaux de scientifiques, libres de tout conflit d’intérêts. Les membres de comités permanents nationaux peuvent être choisis afin de représenter un large spectre d’expertises (par exemple, une expérience juridique approfondie). Un comité national peut établir une certaine cohérence dans le traitement des cas sur le long terme, et peut bénéficier de personnel de soutien stable, de relations établies avec les agences de financement, et, s’ils sont proprement configurés, avoir une certaine indépendance par rapport aux fluctuations du pouvoir politique.

De façon générale, on constate que les pays qui s’appuient sur des comités ad hoc rapportent généralement très peu de cas de fraude, tandis que ceux qui ont mis en place des structures pérennes voient ce nombre augmenter. Une telle transition peut ainsi se révéler politiquement difficile, car le public peut avoir la fausse impression d’une diminution de l’intégrité scientifique.

Quels que soient les détails des systèmes adoptés, un certain nombre d’éléments nécessaires ont été identifiés, notamment le fait que tout système doit être (et être perçu comme) scrupuleusement juste.

Répondre aux allégations de fraude scientifique

Les accusations de fraude scientifique arrivent généralement de façon spontanée. Par exemple quand un étudiant (ou un autre collaborateur du chercheur accusé) soupçonne que des données ont été fabriquées. Un chercheur dans le même domaine peut devenir soupçonneux quand il lui est impossible de reproduire certaines expériences, des éléments peuvent apparaître par recherche informatique pour détecter des plagiats, ou encore quand un employeur cherche à vérifier des revendications sur un curriculum vitae. Bien souvent, l’accusateur potentiel n’a aucune idée de l’endroit vers lequel se tourner en cas de soupçon, et ce type d’incertitude peut être fortement dissuasif pour entreprendre une action concrète. Ainsi, ceux qui cherchent à créer, examiner ou modifier un système traitant des fraudes scientifiques doivent prendre en compte un certain nombre d’aspects importants concernant le premier maillon de la chaîne d’investigation.

Enquêter sur la fraude scientifique

Les règles et procédures pour conduire une enquête sur un cas de fraude scientifique doivent répondre à un certain nombre d’exigences qui doivent permettre à la fois à l’enquête d’être menée en toute indépendance, de préserver le droit des accusés et la protection des accusateurs, de protéger les personnes innocentes qui pourraient être affectées par ricochet (étudiants, etc.), mais aussi à ce système d’être dissuasif et donc de permettre des sanctions adaptées. Cela implique des personnes et institutions en charge des compétences aussi bien scientifiques que légales ou juridiques, les problèmes d’équité étant particulièrement importants dans le traitement de la fraude scientifique.

Considérations internationales

Les responsables locaux ou nationaux peuvent promouvoir activement l’intégrité scientifique dans leur recherche, mais le travail est particulièrement difficile quand des accusations de fraude scientifique concernent des projets qui impliquent des collaborateurs dans deux ou plusieurs pays. Les principes, définitions, règles et procédures peuvent varier profondément ou même être absents dans certains de ces pays. Des questions d’autorité et de juridiction peuvent aussi apparaître lorsque plus d’une entité enquête sur un même cas. De plus, il peut y avoir des problèmes purement pratiques liés à l’obtention des données et témoignages nécessaires à l’enquête.

Causes et prévention

L’identification des facteurs susceptibles de mener des chercheurs à commettre une fraude scientifique peut être utile pour mettre en place des remèdes et mesures préventives. Il faut cependant bien être d’accord sur le fait que la présence de facteurs externes ne signifie en rien que ce type de comportement puisse être toléré ou excusé.

Lors de la préparation puis du déroulement de l’atelier de l’OCDE sur ce sujet, un certain nombre de causes ou de facteurs déclenchant ont été identifiés (sans être ici exhaustif) :

Facteurs principalement liés au chercheur lui-même et à sa carrière

Pression d’une sévère compétition pour obtenir des financements de recherche

Nécessité d’obtenir toujours plus de résultats positifs (et de publier tous azimuts) afin d’obtenir et de garantir un poste stable au sein d’un organisme de recherche

Manque de connaissance ou de préparation au sujet des réalités (et du stress) de la carrière de scientifique

Pressions afin d’obtenir les résultats souhaités dans le cas de recherches sponsorisées

Manquements personnels (désir de gloire, d’atteindre certains collègues, manque général de droiture morale)

Facteurs liés principalement à l’évolution de la science et de la recherche

Certains aspects négatifs de la fragmentation, de l’isolement ou de la spécialisation de la recherche.

La disponibilité de logiciels complexes, souvent opaques, destinés à l’analyse statistique ou à d’autres fonctions (notamment la manipulation d’images) rend plus aisés la falsification ou fabrication de données et leur dissimulation.

L’absence de connaissance des règles et standards de la pratique scientifique normale, des procédés d’investigation existants, et des sanctions qui peuvent frapper ceux reconnus coupables de fraude scientifique.

La mauvaise interprétation de ce que doit être la recherche appliquée (où des résultats concrets et utilisables sont souvent attendus à court terme) par rapport à la recherche fondamentale traditionnelle.

Des demandes ou pressions de la part de responsables hiérarchiques, sponsors ou journaux scientifiques pour l’obtention de résultats positifs, significatifs et sans ambiguïté.

En relation avec des causes possibles, un certain nombre de remèdes ont aussi été identifiés comme susceptibles de diminuer la fréquence de cas de fraude. On peut les regrouper dans plusieurs catégories, qui se répartissent suivant deux approches, de façon assez similaire à la lutte contre la criminalité de façon générale : (1) prévention ; et (2) dissuasion/punition. La première approche se focalise sur les facteurs systémiques qui peuvent pousser un individu à franchir la ligne jaune et les principes normaux de la recherche scientifique. La seconde vise à exclure les coupables de la communauté scientifique, et, de cette façon, à dissuader ceux qui pourraient être tentés en leur montrant les risques encourus.

La situation française

Bien que la France ait connu quelques cas assez médiatisés, la fraude scientifique n’a pas constitué jusqu’ici un problème sérieusement pris en compte par les institutions de recherche ou le gouvernement. De ce fait, les cas de fraude ont toujours été traités de façon ad hoc, avec les risques liés à une absence de cohérence dans le traitement des différents cas.

Certains organismes de recherche comme le CNRS ou l’Inserm ont confié à leur comité d’éthique le soin d’élaborer un plan d’action et une politique internes à l’institution, sans que ce comité soit effectivement responsable de la gestion des cas.

À l’issue de l’atelier organisé par l’OCDE au mois de février dernier, le ministère français de la Recherche a confié à un responsable du CNRS une mission d’évaluation du problème, qui devrait proposer une série de recommandations et d’actions à mettre en place afin d’harmoniser et de rendre plus performante la lutte contre la fraude scientifique au sein de la recherche française. Il est cependant possible que les mesures pratiques, notamment au sein des universités, ne se fassent encore attendre un certain temps.

En conclusion, s’il n’existe pas de recette universelle ou de modèle unique pour traiter les cas de fraude scientifique, il est cependant indispensable que les autorités en charge mettent en place de façon transparente des systèmes cohérents.

Si les diverses études menées à ce jour indiquent que les cas de fraudes sévères demeurent rares (et sont le plus souvent découverts assez rapidement par la communauté scientifique), on constate néanmoins une proportion plus importante de pratiques ambiguës, notamment chez les jeunes chercheurs qui doivent faire face à une pression très importante pour obtenir des résultats.

 

En raison de la sensibilité du problème, il est nécessaire que toute réponse à une accusation ou suspicion de fraude soit traitée de façon confidentielle, objective et juste. Cela exige de la part des personnes en charge un minimum de formation et de connaissances, un mandat clair, ainsi qu’une totale indépendance.

Les enquêtes elles-mêmes doivent satisfaire à un degré maximum d’intégrité. Justice et crédibilité sont des éléments essentiels, car la réputation des scientifiques en cause peut être fortement endommagée. Il est aussi important que les éventuelles sanctions soient corrélées avec la gravité des faits constatés. Cela suppose la mise en place de définitions et standards cohérents.

En raison de l’importance croissante des collaborations internationales dans le domaine scientifique, une certaine harmonisation des systèmes et définition est aussi largement souhaitable.

Enfin, la prévention et la lutte contre la fraude scientifique ne pourra pas être efficace sans une compréhension des mécanismes incitatifs. A côté des nécessaires efforts à réaliser au sein des programmes de formation des futurs scientifiques, on ne peut éviter de considérer de façon critique certains aspects du fonctionnement de la recherche actuelle qui, sans devoir être remis totalement en question, devraient du moins être révisés, afin de limiter les pressions auxquelles sont soumis certains chercheurs.


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