Google menace de quitter la Chine : décision politique ou constat d’échec ?

par inf0graph
lundi 18 janvier 2010

Lorsque les thèmes des libertés individuelles et de la censure en Chine ressortent, il fait toujours les choux gras des médias bien pensants, ceux-ci ne ratant pas l’occasion de donner la leçon au régime chinois. Les récentes crises au Tibet ou au Xinjiang, et le flot de discours cuisinant les droits de l’homme à toutes les sauces, nous le rappellent que trop bien. Quand l’empire du milieu s’en prend à l’empereur d’Internet, c’est le monde du Web qui s’émeut, et avec lui les pourfendeurs habituels du politiquement correct qui, une fois n’est pas coutume, se font l’écho de la pensée unique et, à défaut de connaître toutes les réalité du terrain en Chine, dressent un tableau parfois incorrect de la situation entre Google et le gouvernement chinois.

Derrière cette accroche racoleuse et volontairement polémique, l’objet de cet article est bien d’extrapoler sur cet évènement qui a fait grand bruit ces derniers jours, tant sur le Web que dans les médias traditionnels. La volonté affichée ces derniers jours par Google de vouloir quitter la Chine reste malgré tout d’une portée relative et, à la réflexion, semble être teintée d’opportunisme politique.

Mais avant cela, petit rappel des faits : avant de faire son entrée sur le marché de la recherche sur le Web en Chine, en janvier 2006, et dont il détient aujourd’hui environ 38%, Google avait dû se soumettre à un pacte de bonne conduite, non sans scandale d’ailleurs. En clair, Google peut exercer son activité en Chine à condition de filtrer certains résultats que les dirigeants chinois voient d’un mauvais œil. Comme les informations sur la répression de Tienanmen ou sur le dalaï-lama par exemple. Bon an mal an, Google accepta ce diktat en raison de perspectives financières au potentiel énorme.

Mais aujourd’hui, Google se drape de nouveaux habits : ceux d’un ardent défenseur des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Un peu paradoxal, donc, quand on connaît le contexte de l’arrivée de Google sur le marché chinois.

En début de semaine, Google s’est plaint de tout autre chose. D’être la cible de nombreuses cybers attaques qui, selon la firme de Mountain View, perdurent depuis de nombreux mois.

Selon des experts américains de la sécurité sur Internet, ces attaques seraient trop bien conçues pour être le fait d’une simple bande de pirates. Pourtant, sur son blog, Google fait état de l’usage de techniques couramment utilisées et qui n’ont rien de révolutionnaire : le phishing et les malwares. Il ne s’agirait donc en aucun cas de l’exploitation d’une faille de sécurité.

En l’occurrence, le but de ces attaques, selon le géant de l’Internet, aurait été la volonté de voler des codes d’accès de comptes utilisés par des militants chinois des droits de l’homme, utilisant la messagerie électronique Gmail.

Si c’est bien de phishing et de l’usage de malwares dont il s’agit, on peut donc émettre quelques réserves quant à la sophistication desdites attaques. En effet, ces techniques sont bien connues des pirates, et ce depuis de nombreuses années.

Néanmoins, il ne faut pas minimiser cet état de fait. En 2009 par exemple, une vague d’attaques informatiques sans précédents avait été menée, depuis des serveurs situés en Chine, contre une centaine d’entreprises américaines.

Les cybers attaques : une tempête dans un verre d’eau

Google a donc réagi à ce piratage d’envergure en renforçant les paramètres de sécurité de ses services. Avant, finalement, d’annoncer qu’il envisageait sérieusement de quitter le marché chinois si les discussions à venir avec le gouvernement chinois ne lui permettaient pas de proposer des résultats non censurés. Avec cet ultimatum, Google s’exclut de facto du marché chinois tant il paraît impensable d’assister à un tel revirement de la part des autorités chinoise.

Une décision qui nous amène à soulever plusieurs questions :

Contractuellement, Google a signé un document sur lequel il s’engage à respecter la ligne politique imposée par Pékin. Or, jusqu’à preuve du contraire, la Chine est une nation souveraine. D’ailleurs, Microsoft a rapidement confirmé par l’intermédiaire de son PDG qu’il respecterait la loi chinoise et ne quitterait pas le pays. Dès lors, pourquoi vouloir revenir sur des règles dont Google savait, dès le départ, que la Chine se montrerait intransigeante ? Sans doute plus médiatisée lorsqu’il s’agit de la Chine, la censure et la surveillance sur internet ne s’exerce pas moins dans le reste du monde. C’est d’ailleurs la ligne défendue par Pékin pour justifier sa politique de censure : si les autres le font, pourquoi pas nous ?

La première réaction officielle du gouvernement chinois en provenance de Wan Chen, ministre du Bureau de l’information, présente par ailleurs la censure comme un élément indispensable de la politique de Pékin : « notre pays est à un stade crucial de réforme et de développement et c’est une période de conflits sociaux sensibles. Diriger l’opinion sur internet de façon appropriée est une mesure essentielle pour protéger la sécurité de l’information sur internet ».

En effet, la société chinoise est très concernée, sinon obsédée, par l’ordre. Elle est également effrayée par la dissidence politique. D’où l’arsenal mis en place pour éviter toute propagation d’un vent de contestation. L’Occident, quant à lui, se trouve en état d’alerte sur toutes les questions touchant au terrorisme. Les lois dîtes du PATRIOT Act ne peuvent elles-pas être considérées comme liberticides ? N’y a-t-il pas, chez nous aussi, une surveillance – illégale – du Web autour de certains mots-clés liés à la grande nébuleuse du Djihad ?

Bien que différentes, ces deux situations peuvent être mises en perspective. Elles permettent en tout cas d’aborder la question de la censure d’Internet en Chine sous un angle différent.

Par ailleurs, le revirement de Google sur le filtrage des résultats de recherche sur Internet intervient après une nouvelle vague de piratages informatiques. Soyons honnêtes : il n’y a là pas vraiment de rapport. Sauf à faire de la politique, c’est contre le piratage que Google devrait s’insurger. Pas contre la censure, aussi injustifiable soit-elle.

Enfin, contrairement aux autres marchés, Google n’est pas maître en Chine. C’est le moteur de recherche chinois Baidu qui occupe la place de leader, avec 59% de parts de marché contre 38% à Google (chiffres StatCounter, janvier 2010). Certes, en quittant la Chine, Google perdrait gros. Mais venant de Google, on ne peut croire que cette décision n’a pas été mûrement réfléchie, peut-être même avant ces derniers évènements.

D’une part le géant du Web se poserait en défenseur des libertés et redorerait son image parfois écornée par l’assimilation faite entre la firme de Mountain View et « Big Brother ». D’autre part, le groupe ne réalisant « que » 600 millions de dollars de chiffre d’affaire en Chine, une goutte d’eau pour Google, la portée de ce départ resterait donc toute relative en termes financiers.

Google, un cas isolé ?

Toujours selon le blog officiel de Google, il y aurait eu une vingtaine de sociétés qui auraient été visées par ces cybers attaques. L’éditeur de logiciel Adobe a par exemple annoncé que lui aussi avait été victime de piratages informatiques de grande ampleur.

Les concurrents de Google, notamment Microsoft ou HP, l’ont malgré tout assez vite affirmé : ils ne quitteront pas la Chine. Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer y a même été d’un très laconique « c’est l’affaire de Google ». Avant de proposer une explication qui relativise les attaques dont s’est plaint Google : « Toutes les grandes organisations sont attaquées. Je ne pense pas que ce soit un changement fondamental de la sécurité sur Internet ». Circulez, y’a rien à voir. Surtout lorsqu’on lui pose la question de savoir si le moteur de recherche de Microsoft, Bing, arrêtera de filtrer les résultats. A croire qu’il est difficile d’avouer son impuissance lorsque l’on gère une des sociétés les plus importantes au monde.

Le patron de HP, Mark Hurd, a été plus honnête sur ses motivations de ne pas suivre le chemin emprunté par Google, présentant ainsi la Chine et sa population d’un milliard et demi d’habitants comme « un marché incroyable avec un croissance énorme ».

Du côté de Yahoo en revanche, on soutenait Google sans pour autant préciser si le groupe avait été lui aussi victime d’attaques. Un porte parole indiquait récemment : « nous condamnons toute tentative d’infiltration dans les réseaux d’entreprises destinée à obtenir des informations sur les utilisateurs. Nous soutenons que ces genres d’attaques sont profondément dérangeants et croyons fortement que nous, les pionniers d’Internet, devons tous nous opposer à la violation de la vie privée des utilisateurs ».

Est-on amnésique ou cynique chez Yahoo pour vanter ainsi la vie privée de ses utilisateurs ?

Rappelons en effet que la firme américaine dénonce régulièrement des dissidents au gouvernement chinois en vertu d’un pacte d’autodiscipline signé en 2002 avec l’Etat chinois ! Au tableau de chasse de Yahoo : le journaliste Li Yuanlong, condamné à 2 ans de prison après que Yahoo ait fourni aux autorités chinoises tous les éléments nécessaires à son arrestation, et les dissidents Shi Tao et Li Zhi, respectivement condamnés à 10 et 8 ans de prison grâce à la collaboration de Yahoo.

Et c’est probablement la partie émergée de l’iceberg : l’association Reporters Sans Frontières accuse régulièrement Yahoo de pratiquer la dénonciation pour plaire aux autorités chinoises. En 2006, RSF et le Committee to Protect Journalists exigeaient ainsi de Yahoo la révélation des informations qu’ils ont pu fournir à propos de journalistes et d’écrivains recherchés par le gouvernement de Pékin.

En bref, Yahoo aura raté une bonne occasion de se taire.

Washington vole au secours de Google

La Maison blanche y est allé elle-aussi de sa tirade, soutenant la décision de Google de ne plus accepter la censure chinoise concernant les recherches sur internet. Une intention louable en soit, mais qui disparaîtra bien vite lorsque sera venu le temps de négocier de juteux contrats avec la Chine.

Si la politique de contrôle de l’internet pratiquée par Pékin est sujette à controverse – probablement avec raison – la meilleure approche est sans doute de laisser le peuple chinois présider à son propre destin. Paris ne s’est pas fait en un jour. Il est donc vraisemblable qu’avec le temps, et la poursuite du développement que connaît la première puissance économique mondiale, les autorités chinoises finissent par assouplir leur politique en matière de libertés individuelles.

Sans être automatique, les poussées démocratiques se font dans un contexte de promotion de l’individu, laquelle passe notamment par la consommation et la représentation d’une sphère privée et autonome de vie.

A ce titre, les manifestations de soutien ou les encouragements qu’a reçus Google de la part de nombreux manifestants chinois démontrent que la conscience politique du peuple s’éveille. Que ce processus prenne du temps n’a finalement rien d’étonnant pour un pays qui n’a connu d’autre régime que celui du parti unique depuis presque un siècle.

Toujours est-il qu’à l’endroit des critiques de la Chine, on pourrait réclamer plus d’honnêteté intellectuelle, et avec, un bon coup de balai devant leur porte.
 
Source : Agence Web Webazia
 

Lire l'article complet, et les commentaires