HADOPI pour les nuls : explications et contournements

par Cbx
mardi 7 avril 2009

Vendredi 3 avril 2009, l’assemblée nationale a adopté la loi "Création et Internet", avec seulement 16 députés dans l’hémicycle. Pourtant ce texte risque, s’il est appliqué, d’apporter de profondes modifications au web français tel que nous le connaissons.
Cette loi instaure entre autres la "riposte graduée", qui en cas de téléchargement illégal, après l’envoi de 2 avertissements, prévoit la coupure de la connexion internet de l’abonné contrevenant. La plupart des arguments qui s’opposent à cette loi étant assez techniques, je vais tenter d’expliquer certains éléments de fonctionnement du net qui sont utiles pour les comprendres, puis j’aborderai point par point les éléments de la loi qui selon moi sont problématiques. J’essaierai également sur chaque point de montrer en quoi cette loi et d’ores et déjà inutile en montrant les différents contournements existants.
Accrochez vos ceintures et bienvenue dans le cyber espace !

Tout d’abord pour qu’il y ait sanction, il faut qu’il y ait constatation d’une infraction. Le système mis en place dans le cadre de l’Hadopi est souvent comparé au système de radar automatique sur les routes, où des points de contrôles sont placés sur la route, et tout automobiliste qui franchit ce point à une vitesse supérieure à la limite est « flashé » et reçoit une amende. Dans le cas d’une voiture, c’est la plaque d’immatriculation qui permet d’identifier le conducteur pour lui envoyer une amende. Cette plaque est censée identifier de manière unique chaque véhicule. Mais est-il possible d’identifier chaque ordinateur de manière unique pour que la sanction s’adresse à la bonne personne ? C’est là que l’IP entre en jeu.

L’IP (qui signifie « Internet Protocol ») est en effet le point d’entrée sur la toile. Composée de 4 chiffres compris entre 0 et 255 (par exemple 192.168.0.1) elle est sensée identifier de manière unique chaque ordinateur, et correspond à l’adresse à laquelle une machine pourra être contactée (comme un numéro de téléphone). Pour prendre un exemple, lorsque vous vous connectez à un site web (par exemple www.jaimelesartistes.fr/), votre navigateur va d’abord aller récupérer l’adresse IP de la machine qui héberge le site, puis se connecter directement à cette machine grâce à son IP et récupérer les pages que vous avez demandées. L’adresse IP de jaimelesartistes.fr est 94.23.48.134, vous pouvez donc vous y connecter directement en rentrant cette adresse dans votre navigateur. Si vous voulez connaître votre adresse, allez sur ce site www.ip-adress.com, vous verrez qu’on peut vous localiser avec une précision déconcertante.

Chaque machine connectée doit donc avoir une IP unique, ce qui pose un premier problème puisque le nombre d’IP possibles est déjà inférieur au nombre de machines connectées dans le monde. Il va donc falloir procéder à des regroupements de machines pour que tout le monde puisse être connecté, c’est ce qu’on appelle des réseau locaux (où LAN). Par exemple, dans la plupart des entreprises, un réseau local est mis en place. Dans ce réseau, chaque machine a une IP qui n’est valable qu’au sein de l’entreprise (comme un numéro de téléphone interne). Pour accéder au web, toutes les machines de l’entreprise vont ensuite passer par une « passerelle », machine qui est directement connectée au web et qui va faire l’intermédiaire entre le réseau local et le réseau global (un peu comme une standardiste qui se chargerait de dispatcher les appels). Ainsi, une seule IP unique est nécessaire pour toute l’entreprise. La Box de votre fournisseur d’accès fonctionne exactement sur le même principe, une seule adresse IP unique pour toute la famille.

Vu de l’extérieur, tous les employés de l’entreprise et tous les membres de la famille ont donc la même IP. Hors, tout le système de sanction de l’Hadopi repose sur cette fameuse IP. Problème : si un seul salarié télécharge illégalement, c’est comme si toute l’entreprise avait téléchargé illégalement puisqu’il est impossible, vu de l’extérieur, de savoir qui est responsable. Même problèmes dans certains syndics qui partagent un accès internet communautaire : un seul résident télécharge illégalement et tout l’immeuble est fautif. On voit déjà une des failles béantes du système : avec le fonctionnement actuel du web (qui n’a jamais changé depuis sa création), la coupure de connexion internet va dans la plupart des cas être une punition collective.

Certes, les entreprises ne pourront normalement pas être coupées : elles seront obligées, à la place, de « sécuriser » leur réseau à leurs frais pour éviter que les employés puissent télécharger (donc soit brider le réseau pour interdire certaines fonctionnalités, soit surveiller la machine de chaque employé). On aperçoit déjà ce que risque de coûter Hadopi aux entreprises françaises... Les associations, elles, n’échappent pas à la coupure. Dans le cas du syndic c’est tout l’immeuble qui sera coupé, pareil pour la famille. Argument de Mme Albanel : « si on vous coupe internet vous pouvez toujours aller chez le voisin ». Dans ce cas autant couper aussi l’eau et le gaz, on pourra toujours aller se doucher et se faire à manger chez le voisin...

Contournement :

Cependant, ce fonctionnement peut aussi être utilisé pour contourner le système de riposte graduée en permettant de masquer son IP : c’est ce qu’on appelle les réseaux privés virtuels (ou VPN). Grace à la magie de l’immatériel, il est possible de recréer le même type de réseau que dans une entreprise, à savoir plusieurs machines connectées entre elles sur le même réseau local (dit « privé virtuel » car en réalités les machines ne sont pas localisées au même endroit), et qui passent par une passerelle pour accéder au net.

Ainsi, toutes les machines du réseau privé virtuel vont prendre l’IP de la passerelle, et pourront donc surfer dans un parfait anonymat. Si cette passerelle est située à l’étranger, le droit français ne s’y applique pas et vous êtes tout bonnement intouchable par l’Hadopi. L’utilisation d’un VPN est très simple, puisqu’il suffit d’installer un petit logiciel sur son ordinateur. Ils sont souvent payants (5€ à 30€ par mois, même si certains sont gratuits : www.peer2me.com), sont légaux et vous permettent un surf totalement anonyme. Personnellement j’aurais préféré payer cette somme pour une licence globale. Le gouvernement veut du tout répressif, tant pis pour lui...


La chasse est ouverte : la collecte des IPs.

Nous avons vu que l’IP, contrairement à ce que pense le gouvernement, n’identifie pas de manière unique une machine. Nous allons voir qu’en plus, cette IP peut être détectée lors d’activités frauduleuses alors que vous n’y êtes absolument pour rien.

Tout d’abord, revenons rapidement sur le fonctionnement des réseau d’échange d’égal à égal (ou Peer to Peer). Voila les deux systèmes les plus répandus en ce moment :


Or ce système de traque pose problème dans plusieurs cas :
On le voit, le système de collecte des IPs par les ayants droit est plus que discutable, et les moyens de recours sont irréalistes. Seul recours restant : le logiciel Hadopi, dont nous allons parler après ces quelques contournements.

Contournement :

De nouveaux types de réseaux d’échange font leur apparition :

Le logiciel de sécurisation : big brother is watching you.

Seul recours restant pour prouver votre bonne foi (non vous ne rêvez pas, c’est à vous de prouver votre innocence), avoir installé sur votre machine un logiciel labellisé. Ce logiciel pourra être payant (a vous donc de payer le logiciel alors que vous n’avez encore commis aucune infraction !), et non interopérable (tant pis pour les linuxiens). Que fera ce logiciel ? Selon le ministère, il s’agira d’un logiciel installé sur votre machine qui retransmettra toute votre activité à un serveur central pour vérifier que vous n’êtes pas en train de télécharger illégalement. Si l’Hadopi vous accuse de téléchargement illégal, prouver que ce logiciel était en fonctionnement à l’heure de l’infraction pourra vous dédouaner.
Hormis le fait que ce type de logiciel n’existe pas pour le moment, plusieurs contradictions apparaissent :
Contournement :

Installer le logiciel Hadopi sur une vieille machine et ne jamais l’utiliser, ou trouver une version modifiée du logiciel qui ne surveille rien mais certifie que tout va bien.


Les avertissements et la coupure :

Passons maintenant à la phase répressive du projet. Vous avez été repéré téléchargeant un fichier sur un réseau d’échange et votre IP a été signalée à l’Hadopi. Celle-ci va donc demander vos coordonnées à votre fournisseur d’accès pour vous envoyer un mail d’avertissement.

De plus, il sera impossible de contester la procédure tant que la connexion ne sera pas coupée. Si vous estimez que le mail ou le courrier vous accuse à tort, vous pouvez toujours contacter l’Hadopi pour avoir des renseignements, mais si votre IP réapparait par malheur sur les réseaux d’échange vous serez tout de même sanctionné. Une fois la connexion coupée, vous pourrez toujours avoir recours à un juge mais ce recours ne sera pas suspensif. C’est à dire que tant que le juge n’aura pas examiné votre dossier (ce qui peut prendre plus d’un an), votre connexion sera toujours coupée. Autant dire que les recours seront inutiles.

Concernant la coupure, elle pourra aller d’un mois à un an. La durée d’un mois est réservée aux internautes qui décideront d’effectuer une « transaction » avec l’Hadopi. Par transaction comprendre payer une amende, installer le logiciel Hadopi et jurer de ne plus recommencer. Sinon... on ne sait pas ! Pour les autres ce sera entre deux mois et un an de coupure. Qu’est-ce qui déterminera la durée... on ne sait pas ! L’utilisateur pourra également être contraint d’installer le logiciel Hadopi pour une durée indéterminée une fois la connexion rétablie.

Pendant la coupure vous ne payerez plus la partie internet de votre abonnement (6 à 7€) mais payerez le reste. Vous ne pourrez pas vous désabonner et votre nom sera ajouté à une liste noire vous interdisant de vous réabonner chez un autre fournisseur d’accès. Une simple erreur sur la liste noire (homonymie, erreur de typographie, ...) et vous voila privé de connexion sans raison et sans recours. De plus, cette liste sera publique. Le projet prévoyait à la base de publier dans la presse le nom des internautes dont la connexion a été coupée (sorte de mise au pilori moderne), mais cette disposition a heureusement été supprimée.

Contournement :

Pas de réel contournement, si ce n’est de contester systématiquement. Appelez les, envoyez leur des courriers, faites tout ce qui est possible pour vous faire entendre avant que le couperet ne s’abatte. Après c’est trop tard.


L’Hadopi, garante de l’anonymat des internautes : la double peine de bonne foi.

De plus, cerise sur le gâteau, la coupure de connexion internet ne vous met pas à l’abri d’un procès. L’Hadopi sanctionnant le défaut de sécurisation de ligne, rien n’empêche les ayants droit de porter plainte, vous exposant à une peine maximale de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Mais rassurez vous, Hadopi est là pour veiller à votre anonymat. Ainsi les ayants droit, qui auront fourni votre IP à la haute autorité, ne connaitront jamais votre nom et votre adresse. Seule la haute autorité aura à faire à vous. Christine Albanel voulait de cette manière éviter que les ayants droit puissent, en plus de la coupure internet, porter plainte contre les gros téléchargeurs identifiés.
Cependant, le risque de double peine est en réalité renforcé de cette manière. Ainsi les ayants droit peuvent très bien relever une première fois votre IP et la donner à l’Hadopi, qui vous coupera la connexion, puis la relever une deuxième fois (votre IP change à chaque connexion) et cette fois ci porter plainte. En effet, les ayants droit ignoreront qu’ils ont à faire à la même personne et une double peine est alors possible.
Selon la ministre, les juges auront pour consigne de classer l’affaire si une action a déjà été entreprise par l’Hadopi. Une consigne n’est pas une loi... Et que se passe-t-il si l’action auprès du juge a lieu avant l’action de l’Hadopi ?


Le filtrage du net : pas besoin de pédophilie, Hadopi suffit.

Le rêve de contrôler le net prend enfin forme. Nicolas Sarkozy souhaitait filtrer internet pour lutter contre la pédophilie et le terrorisme, plus besoin... L’Hadopi ainsi que les juges pourront décider du filtrage de n’importe quel site. Sont visés tous les sites qui permettent ou facilitent la téléchargement illégal d’œuvres (The Pirate Bay est en première ligne), mais également tous les sites proposant des moyens de contournement du filtrage (cette article pourrait donc être filtré). Les fournisseurs d’accès seront responsable de ce filtrage et pourront être poursuivis s’il n’est pas mis en œuvre.
Outre le fait que le net sera désormais contrôlé par l’exécutif, le système de filtrage connaît également de nombreuses failles. On se souvient ainsi du Royaume Uni qui avait bloqué tout wikipedia car un des articles, portant sur l’album Virgin Killers de Scorpion, contenait la pochette de l’album montrant une fillette nue, image jugée pédopornographique et censurée : www.ecrans.fr/Qu-est-ce-qui-est-vraiment-filtre,6677.html.

Contournement :

La plupart des filtrages se font au niveau du serveur qui fera correspondre un nom de site à son adresse IP. Il suffit par exemple de retirer jaimelesartistes.fr de ce serveur pour qu’on ne puisse plus connaître son IP et qu’il soit inaccessible. Un tel serveur s’appelle un serveur DNS, et vous est fourni automatiquement pas votre fournisseur d’accès. Le contournement consiste à utiliser un autre serveur DNS que celui du fournisseur d’accès, DNS qui lui ne sera pas censuré. Le plus connu est OpenDNS : www.opendns.com/start/computer.
Il est également possible que le fournisseur d’accès tente de filtrer l’accès à l’IP du site, mais cette méthode est peu fiable car le site peut en changer rapidement (The Pirate Bay l’avait fait en 24h, suite au blocage du site par la Suède).
Un VPN à l’étranger vous permet également de passer outre le filtrage.


Conclusion :

En voyant tous ces points on se rend compte que l’Hadopi est un système déjà obsolète qui risque de faire condamner un grand nombre d’internautes innocents. Il va de plus coûter cher à l’état (donc aux contribuables), aux fournisseurs d’accès (donc aux clients) et aux entreprises.
Ce projet risque également de faire prendre un retard considérable à l’économie numérique Française. Selon moi, une personne ayant peu de connaissance dans le domaine et se voyant accusée (à tort ou à raison), risque de résilier son abonnement dès le premier avertissement par peur de la sanction. Cela va nourrir une certaine méfiance à l’égard du web qui commençait à s’estomper.
De plus, ce projet est totalement liberticide dans le sens où le juge est totalement évincé de la procédure. La Haute autorité peut décider de couper le net, filtrer certains sites et en sur référencer d’autres sans avoir de comptes à rendre. La procédure est de plus totalement arbitraire, aucun critère n’étant fixé dans le choix de la sanction.
Enfin, toute personne soucieuse de son anonymat sera désormais tentée d’avoir recours aux méthodes de contournements citées ci-dessus. Cela aura pour effet d’opacifier le réseau et de ralentir la lutte contre la pédophilie et le terrorisme.
Certains trouvent ce texte inutile ou inapplicable, je le trouve pour ma part révélateur de l’ignorance du gouvernement ansi que de sa volonté de contrôler le seul média qui lui échappe. Ce texte est puissamment rétrograde et risque de marquer le web français de manière durable.

En espérant avoir été clair...

Cbx.

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