Hadopi2 : Quid Bono

par Philippe Aigrain
mardi 21 juillet 2009

J’étais dans le bureau d’une député européenne qui m’avait demandé d’être présent lors d’un rendez-vous avec des lobbyistes d’une multinationale. Un brillant juriste mercenaire venait de développer un argumentaire bien préparé sur le dossier concerné. Quand il eut terminé, elle le regarda calmement, et dit simplement Quid Bono ? Il prit un air étonné. “Vous voyez”, dit-elle, “quand j’entend un exposé comme celui que vous venez de faire, je me demande toujours Quid bono. Pour le bien de qui ?”. C’est cette question que je voudrais poser à ceux des députés qui s’apprêteraient encore à adopter l’HADOPI2, à attacher leur nom à ce texte. Pour le bien de qui le faites-vous ?

Symptômes

Il y a en fait deux questions. D’abord vous rendez-vous compte de ce que vous vous apprêteriez à faire ? Ensuite, pourquoi le feriez-vous ou, plus exactement pour le bien de qui ? Sur le premier point, il y a beaucoup à apprendre de ce qui vient de se passer dans la commission des affaires culturelles de l’assemblée, dans lequel le rapporteur Franck Riester s’est débattu avec la conscience croissante qu’il défendait pour la deuxième fois un texte anticonstitutionnel. Il parait que les ministres, puisqu’ils s’y mettent maintenant à deux, le regardaient en silence se débattre. On est vraiment désolé pour lui. Plus il se débat, plus il s’emmêle dans le filet. C’est que l’HADOPI 2 est le produit d’un incroyable entêtement : vouloir à tout prix installer des mécanismes de sanction massives et automatiques (dans la grande majorité des cas) dans un contexte spécifique où la constitution, une récente décision du Conseil constitutionnel, le code de procédure pénale, la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes et surtout le simple bon sens nous disent que ce n’est pas possible sans porter atteinte aux droits fondamentaux. Cela va s’aggraver dans les jours qui viennent quand le débat en plénière à l’assemblée révélera que l’HADOPI 2 est en réalité encore plus gravement attentatoire aux droits fondamentaux que l’HADOPI 1, parce qu’elle ajoute aux coups qu’elle leur porte une détestable manière, qui si elle était tolérée ouvrirait la porte à d’autres blessures.

Qu’il en soit conscient ou non, le rapporteur s’efforce de nier par la déclaration des faits indéniables. Il a fait voter un amendement indiquant que le juge fera preuve de proportionnalité dans ses décisions prises dans le cadre d’ordonnances judiciaires. Voyons pourquoi un tel énoncé pose problème au fond.

Voyage dans l’inconstitutionnalité

Les ordonnances judiciaires appliquées à la contrefaçon ont précisément comme effet de priver le juge en fait (c’est à dire dans la grande majorité des cas) des moyens de juger des preuves et d’appliquer la proportionnalité. En prime elles priveraient de très nombreux justiciables des moyens d’imposer le respect de leur droit. La possibilité de refuser la procédure n’est pas une garantie suffisante contre le risque d’arbitraire (surtout lorsque la décision prise a le caractère de la chose jugée). C’est pourquoi lors de toutes les extensions préalables de l’application des ordonnances judiciaires des conditions restrictives ont été mises en place que l’on peut résumer ainsi : il faut que les éléments de preuve rapportés qui ne laissent qu’un doute rare sur la réalité du délit et l’identité de son auteur et que le juge puisse juger de la proportionnalité des sanctions sans entendre contradictoirement l’accusé. Voilà 3 critères dont pas un n’est respecté dans le contexte de l’HADOPI 2 comme phase judiciaire succédant à la pseudo-instruction en partenariat privé-administratif qu’installe l’HADOPI 1. Depuis quand les relevés de transmissions d’échanges supposées s’être déroulés à partir ou en direction d’une adresse IP supposée être celle d’un abonné constituent-ils une preuve quasi-certaine d’une contrefaçon ? Quant à l’identité de l’auteur d’une supposée contrefaçon, la ministre de la culture précédente (que l’on aurait du garder pour éviter au nouveau de dissiper son crédit dans une défense forcée de l’HADOPI 2) n’a cessé de nous répéter qu’elle était incertaine. Voilà le parquet chargés de l’aiguillage entre deux formes de poursuite pour contrefaçon et la sanction contraventionnelle (aggravée de bannissement) pour négligence caractérisée dans la prévention inefficace. Cet aiguillage se fait sur la base des informations transmises par l’HADOPI. Les juges d’instruction savent maintenant par quoi on les remplace. Vous avez des doutes sur les affirmations qui précèdent ? Regardez donc la liste des 8 cas auxquelles s’appliquent déjà le juge unique (article 398-1 du code procédure pénale) auxquels l’article 2.1 du projet de loi prévoit d’ajouter un neuvième, regardez la définition de la procédure simplifiée liée aux ordonnances pénales (articles 495 et suivants du même code) et jugez sur pièces : regardez si vous y trouvez des délits dont la réalité, l’auteur ou la gravité sont aussi discutables et les sanctions encourues aussi graves que dans le cas de l’HADOPI 2.

D’autres rustines nous amènent à la question du Quid bono. Pourquoi diable le rapporteur a-t-il fait voter un amendement qui permet au juge d’accepter la constitution comme parties civiles des représentants des ayants-droit qui sont à l’origine de la procédure ? C’est une aberration juridique (voir l’article 495 alinéa 9 -2°- du code de procédure pénale). Mais surtout elle nous éclaire sur le degré d’acharnement qui a abouti à l’HADOPI 2.

Pourquoi un tel acharnement ?

Il y à là un vrai mystère. L’hypothèse - habituellement fondée en cette matière - du service aux groupes d’intérêt n’est plus crédible. Car ceux-ci sont tous sauf enthousiastes du nouveau texte. Ils font le service minimum pour ne pas laisser tomber ceux qui les ont bien servi. Même les sociétés de gestion collective les plus acharnées émettent des doutes sur l’utilisation des ordonnances pénales. Elles le font pour deux raisons opposées : parce que des artistes de plus en plus nombreux leur font savoir qu’ils n’apprécient pas de jouer le rôle d’auxiliaires involontaires de sanctions arbitraires et parce que certains de leurs gros bénéficiaires craignent de ne plus pouvoir jouer (ou plus aussi souvent) la carte des dommages et intérêts. Il était donc urgent de rassurer ces derniers au plus vite. Cette quête paniquée de soutiens qui s’évanouissent est pathétique. Elle ne fait que renforcer le mystère. Qui donc demande ce machin ? Lors de récentes auditions par des parlementaires, je leur posai la question. Je reçus une réponse “people” : ça doit être Carla. Je n’en sais évidemment rien, mais deux autres raisons me paraissent plus plausibles, toutes deux inquiétantes mais à des titres bien différents. Ces deux raisons peuvent se combiner. La première est celle d’un ego blessé qui demande revanche. La seconde est celle d’une volonté de pouvoir généraliser des procédures de sanctions automatiques.

Foin de l’ironie, les choses sont maintenant trop sérieuses, il faut être direct :


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