Il est temps d’enterrer Darwin !

par Bernard Dugué
mardi 17 février 2009

Deux anniversaires. Il y a 200 ans naissait Darwin. Il y a 150 ans était publié L’origine des espèces, l’un des livres les plus connus après la Bible, Harry Potter et le catalogue Ikéa. Bien que Darwin soit l’auteur d’une œuvre plus large, on n’a retenu que son livre, mais quel livre, de quoi bouleverser tout ce qu’on peut comprendre et expliquer de la genèse des espèces vivantes.

Darwin marque une rupture. Avant, les thèses créationnistes dominaient. Après, l’évolution s’est constituée comme une science sans cesse enrichie, avec des expériences, des observations, des analyses moléculaires et bien entendu tout un ensemble d’éléments conceptuels venant se surajouter pour que soit livrée une théorie de l’évolution la plus complète. Mais l’œil averti d’un épistémologue verra sans doute quelques défauts de fabrication et plus globalement, se demandera si le récit de l’évolution en tant qu’il se veut explicatif, ne rate pas son objet. Enfin, à noter une question d’architectonique. Le vivant fait l’objet de deux sciences, l’une décrivant sa transformation et l’autre décrivant son fonctionnement. Il me semble que le jeu épistémique des transmissions et des influences d’une science à l’autre n’a pas été suffisamment éclairci.

 

Commençons par donner l’architecture de la théorie actuelle, dite néo-darwinienne ou bien synthétique, de l’évolution. Elle a pour piliers trois éléments conceptuels. La mutation, autrement dit la présence de modifications au sein des génotype et morphotypes des espèces, ce qui aboutit progressivement à des espèces nouvelles. La mutation est complétée par la recombinaison, autrement dit des échanges d’éléments génotypique au cours de la reproduction sexuée. Enfin, un concept global vient parachever l’ensemble, celui de sélection naturelle qui a un moment, laisse s’éteindre les espèces si celles-ci n’ont plus les moyens de perdurer, quelle que soient les causes. Par exemple, le taux de reproduction est insuffisant pour maintenir l’espèce en nombre dans le cas où un prédateur se fait dévorant. Autre cause, un changement climatique, une modification de la faune, l’espèce ne trouvant plus de quoi subsister. En dernier ressort, c’est la « sélection naturelle » concept à critiquer, qui décide et si on devait donner une allégorie sociale (forcément trompeuse) on penserait à un parti politique qui, se recombinant avec d’autres tendances, incorporant une sommes de petites idées mutantes, se soumet à la sélection démocratique du vote. Un parti qui n’est plus adapté dépérit.


Restons-en aux sciences. Faut-il tuer Darwin ? C’est la question facétieuse que pose un chroniqueur du NYT en évoquant le propos d’un moine bouddhiste Lin Chi « si jamais tu croises le Bouddah, tue-le ». La phrase est bien évidemment au figuré. Elle signifie que dans tout apprentissage, toute quête savante, il faut de déprendre du fétichisme, de la dévotion face à la pensée du maître fondateur. Ce n’est pas toujours exact mais s’agissant de Darwin, Carl Safina du NYT n’hésite pas à le clamer, invoquant la « mort de Darwin » comme condition pour que la théorie de l’évolution puisse vivre. A l’appui de cette suggestion, le constat que les découvertes essentielles (constituant la « matière » pour la théorie de l’évolution) sont postérieures à Darwin. Qu’il s’agisse des travaux de Mendel sur l’hérédité, des mécanismes de transmission par l’ADN, de la sommes de faits obtenus en génétique des population, en paléontologie, en systématique, sans compter d’autres données (neuroscience, biologie moléculaire, systémique) pouvant participer à une refonte de la compréhension des transformation du vivant.


Nous savons beaucoup plus de choses qu’à l’époque de Darwin. Alors, quid du triptyque mutation, recombinaison, sélection naturelle ? Compte tenu des données actuelles sur divers processus et mécanismes du vivant, il faut se demander quel est le statut de la sélection naturelle. Car c’est certainement ce concept qui risque de voir sa place, son statut, son importance, sa compréhension, se faire sous un jour nouveau. Mais au préalable, il faudra éclaircir le lien entre les sciences biologiques et la science de l’évolution. Il est nécessaire d’éclaircir les interfaces, les liens et ruptures épistémiques entre la théorie du vivant et la théorie de l’évolution. La configuration est similaire à celle de la physique quantique par rapport à la mécanique rationnelle. Mais plus parlant serait d’évoquer le rapport entre la science de l’homme et la sociologie (plus l’Histoire). En ce sens, on pourrait dire que l’anthro-psychologie et science socio-historiques sont dans le même rapport que la théorie du vivant et l’évolution. Et ce lien ambivalent a suscité maintes controverses, notamment sur la question de l’individu et de la société. Est-ce la société qui façonne l’individu ou l’individu qui crée la société ? L’individu est-il déterminé par ses gènes ou par sa culture ? Influence de l’hérédité et du milieu social dans les destinées socioprofessionnelles ? Que de livres et d’échanges disputés. Par contre, ce type de questionnement semble absent dans la science de l’évolution. Comme si le darwinisme avait absorbé la biologie pour conforter ce qui au pire est un dogme, au mieux une théorie incomplète. Un dogme dont le cœur est la sélection naturelle, qui joue un rôle similaire à la lutte des classes dans le marxisme. En vérité, le principal obstacle posé en face d’une critique du darwinisme, c’est que la nature ne parle pas. Elle est muette, où du moins, elle s’exprime à travers des signes auquel que le scientifique tente d’attribuer un sens, une causalité, un récit, notamment celui de l’évolution et sa sélection naturelle.


Allons droit au but. Ce n’est pas l’évolution qui pose problème dans le darwinisme mais la place accordée à la sélection naturelle dont on peut lire, dans des chroniques scientifiques et même des livres, qu’elle serait l’un des mécanismes guidant l’évolution des espèces. Fonctionnant de pair avec l’hérédité. Les espèces accumulant des avantages adaptatifs ont plus de descendants dotés des ces avantages et l’espèce poursuit son histoire dans le grand récit de l’évolution. A l’inverse, une espèce cumulant un déficit de descendants et un défaut de caractères adaptatifs disparaît. Alors, la question, c’est de savoir si la sélection naturelle joue un rôle dans l’évolution, dont elle serait un des ressorts, un des guidages, ou bien si elle ne sert à rien et n’est en fin de compte qu’une sanction du jeu de la vie, une règle naturelle, à l’instar des lois du monde physique. La sélection naturelle représente en vérité la sanction finale du jeu de l’existence des espèces dans un environnement alliant la physique, les végétaux et les animaux. Un jeu où pour continuer la partie, il faut se reproduire. Un jeu où les moyens utilisés sont diversifiés, trouver la nourriture, échapper aux prédateurs, se déplacer. Ce n’est pas en expliquant les échecs qu’on peut comprendre les prouesses de la transformation du vivant. La sélection naturelle n’explique rien. Mais du temps de Darwin, cette idée a représenté un génial cheval de Troie pour faire entrer l’évolution comme un fait scientifique, naturel et avéré. Il était nécessaire de rendre l’évolution crédible pour ajouter aux sciences biologiques un degré de scientificité supplémentaire et en finir avec le créationnisme dont le seul support était et reste un écrit mythique dépourvu de toute valeur s’il est interprété à la lettre. Nous, humains, sommes issus d’un processus biologique commencé avec des bactéries, des cellules, des organismes primitifs. C’était il y a un milliard d’années.


Alors, le temps est maintenant venu d’abandonner le cheval de Troie de l’évolutionnisme pour passer à une quête des vrais processus, ressorts et conditions présidant à la transformation des espèces et à la logique du vivant. Nous ne sommes qu’au début d’une aventure, étant entendu que les darwinistes sont à la fin de leur jeu sur le théâtre de la science. Une autre pièce se joue, elle n’a pas encore commencé mais nous pouvons en déceler quelques traits. Quoi ? Vous ne voyez rien ? Eh bien faites-moi confiance. Je sais, comme Foucault, être présomptueux et je vous ferai voir ce que je comprends et qu’il m’est possible d’exposer, quitte à risquer un peu de méprise.



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