ITER, vu de l’intérieur

par hnuc99
vendredi 27 mars 2015

Je suis ingénieur nucléaire depuis plus de 20 ans. J'ai travaillé pour tout le monde (CEA, AREVA, EDF), et ITER... of course.

Bonjour,

Je suis ingénieur nucléaire depuis plus de 20 ans. J’ai travaillé pour tout le monde (CEA, AREVA, EDF), et ITER...

En dehors du fait que je lis énormément d’âneries sur le nucléaire en général, et ITER en particulier, je déplore que très peu de mes collègues s’expriment pour dire la vérité au public.

Personnellement, je ne discute pas de l’intérêt scientifique, technique ou philosophique de tels projets. Comme le CERN à Genève, cela coûte énormément d’argent et on ne peut jamais savoir à l’avance si ça servira à quelque chose ou pas... c’est comme ça. C’est un choix de civilisation.

Par contre il y a des faits, des certitudes, choquantes ou pas que je veux partager et dont on ne parle jamais.

Ce qui est choquant au premier contact du projet ITER, c’est la rémunération des salariés d’ITER. Un ingénieur ITER c’est entre 6000 et 15000 euros nets par mois non imposable (organisation internationale oblige, impôts = zéro). Vous allez me dire c’est pareil au CERN (en francs suisse en sus svp !), à la commission européenne, à l’UNESCO, à l’OCDE et j’en passe... mais bon... sachez que c’est 3 fois plus qu’un même ingénieur au CEA, AREVA ou à EDF... Ca peut laisser rêveur, faire tourner la tête de beaucoup de monde et expliquer l’énorme motivation du service communication d’ITER à abreuver le monde entier de « positivité » sur le projet. On a pas envie de lâcher un salaire et un train de vie pareil au soleil de Provence, croyez moi !

Si vous mettez en parallèle cette exubérance salariale avec le dumping social pratiqué sur les sous-traitants et le chantier (cf. mouvements syndicaux, les étrangers exploités à qq euros de l’heure...), c’est très choquant.

Il y a une partie des scientifiques d’ITER qui sont motivés par leur projet et une autre partie, sachez-le, qui est motivée par l’argent. Et oui le mythe du savant désintéressé... c’est pour les gogos. Il y a des copinages, des gens qui se connaissent tous les uns les autres depuis longtemps, le réseau des anciens du JET par exemple... mais d’autres réseaux aussi. On a vu des diplomates occuper des fonctions de responsable de l’ingénierie ! Dans le domaine des RH et du management, c’est bien dans ce genre de projet démesuré que se nichent les pires abominations ! Ils se sentent très supérieurs aux autres, alors que toutes les incertitudes de leur projet devraient plutôt les conduire à une modestie certaine.

Le 2ième fait choquant, à mon sens, est l’accord « Privilèges et Immunités ». En résumé, c’est un accord qui dit qu’ITER ne dépend pas du droit français, mais de plus, même pas du droit pénal ordinaire français. En résumé, à part commettre un meurtre dans les locaux d’ITER, un salarié d’ITER (et les dirigeants bien sur) est immunisé vis-à-vis de la justice. Ceci est très choquant dans le domaine de la sûreté nucléaire ! En effet, cela rend l’exploitant irresponsable, en cas d’accident ou de fuite radioactive. Un exploitant « normal », cours le risque d’aller en prison, ce qui le motive à être TRES vigilant en matière de sûreté. ITER... presque rien... en terme judiciaire. Certes, l’Autorité de Sûreté Nucléaire s’applique à ITER, mais pas le juge...

Je travaille dans le secteur, et je pense d’ITER est un projet qui est déjà hors de tout contrôle, en terme de finance et de planning. Si vous pensez que l’EPR à Flamanville ou le RJH à Cadarache sont les exemples de budgets et plannings qui explosent dans le secteur nucléaire, vous n’avez encore rien vu.

ITER devra drastiquement réduire ses ambitions. Je pense qu’il ne fonctionnera que très peu avec son combustible (tritium) afin de réduire au maximum l’inventaire de matière activée, dont le confinement et la gestion sont hautement problématique et couteuses. Le confinement du tritium est très difficile et les militaires se sont cassé les dents sur ce sujet pendant des années. Ce confinement, à Marcoule, Albion, Ile Longue, Valduc, a toujours été difficile du point de vue environnemental. Le tritium finit toujours par traverser les récipients qui le contiennent, au bout d’un certain temps, même les plus robustes.

Il faut qu’ITER revienne à la réalité et à la vérité, cesse de mentir, de vendre aux gogos le « soleil en boite », « l’énergie du futur » et avoue ce qu’il est : un projet de recherche, que l’on finance à fonds perdus, comme le disait le grand mathématicien Jean Dieudonné : « Pour la gloire de l’esprit humain ».


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