L’actine, indice d’une « vie moléculaire » énigmatique

par Bernard Dugué
mardi 9 avril 2013

L’actine est une protéine bien connue pour ses fonctions cellulaires et notamment pour son rôle dans la contraction musculaire (en conjonction avec la myosine) ainsi que l’agencement du cytosquelette. Elle se trouve alors sous la forme F, ce qui veut dire filamenteuse, car elle est polymérisée. Elle peut représenter jusqu’à 15 % de la masse protéique d’une cellule ; elle est hautement conservée par l’évolution. Aussi inattendu que cela puisse paraître, l’actine a été retrouvée dans le noyau cellulaire, là où on pourrait dire qu’elle n’a rien à faire, ce qui suppose que l’on sache ce que les molécules doivent faire et où elles doivent se placer. Disons plutôt que l’actine dans le noyau n’était pas attendue et que ce fait a intrigué les biologistes depuis une bonne décennie. D’ailleurs, beaucoup en doutaient. Si bien qu’il a fallu des expérimentations strictes et propres pour en être certain. En isolant par exemple le noyau de l’œuf de xénope ; ou alors d’autres techniques et notamment l’usage d’un anticorps monoclonal spécifique de l’actine dans sa forme monomérique, auquel cas on parle d’actine-G, ce qui signifie globulaire. Et c’est cette forme de la protéine qui se trouve dans le noyau et dont les biologistes se demandent depuis un bon moment ce qu’elle fait là. Quelques résultats ont néanmoins établi une fonction modulatrice de l’actine-G qui semble interagir à plusieurs niveaux, en interférant avec la RNA polymérase ou bien en régulant des facteurs de transcription ou encore en modulant les structures complexes de la chromatine, ensemble composé d’ADN et de protéines permettant le compactage du génome ou bien son dépliement, permettant ainsi aux séquences génétiques d’être accessibles. Si ces résultats se confirment, l’actine nucléaire se révèle alors comme un important facteur dans la première étape (transcription) de la mise en forme de l’information génomique pour générer à la fin le protéome. Une équipe de chercheur vient d’apporter quelques éléments complémentaires de réponse sur le mécanisme d’action de l’actine-G nucléaire (P. Kapoor et al. Nature structural & molecular biology, 2013).

Et donc, si le rôle de l’actine-F dans le cytoplasme est très bien élucidé, celui de l’actine-G dans le noyau reste encore à déterminer. L’équipe de chercheurs conduite par Xuetong Shen vient de mettre en évidence un processus de formation d’un complexe réunissant l’actine-G et les protéines Arp4 et Arps8. Ce trio forme alors un quartet lorsqu’il s’associe avec une protéine faisant partie de la superstructure INO80 dont le rôle est connu car elle permet de modifier la forme que prend la chromatine. Arp signifie « actin related protein », autrement dit, une molécule dont la structure est apparentée à celle de l’actine. Les formes 2 et 3 de la protéine Arp sont celles qui s’unissent à l’actine dans le cytoplasme, qui ainsi se polymérise et peut assurer alors les mouvements contractiles de la cellule ainsi que servir à l’élaboration du cytosquelette. Et donc, qu’elle se situe dans le cytoplasme ou le noyau, l’actine apparaît comme une protéine essentielle impliquée dans les agencements spatiotemporelles des superstructures cellulaire, que ce soient les microfilaments dans la contraction des myocytes, ou bien de la chromatine dans le noyau qui se déplie et replie. Bien que les deux fonctions soient distinctes c’est l’actine qui permet leur réalisation. Avec un mécanisme dans le noyau qui pour l’instant est loin d’être élucidé. On sait qu’il fait intervenir les histones, protéines très conservées par l’évolution, comme l’actine du reste.

Ces découvertes méritent comme il se doit quelques réflexions plus générales. D’après les auteurs, l’actine aurait interagit avec la chromatine depuis l’apparition des eucaryotes et c’est l’une de ses fonctions fondamentales, réalisée avec le concours des cofacteurs protéiques Arp 4 et Arp 8 dont un sous-domaine aurait évolué conjointement avec le sous-domaine complémentaire de l’actine qui permet la formation du complexe. Alors que dans le cytoplasme, c’est le dimère Arp2/3 qui fait office de « complément fonctionnel ». D’où l’idée assez convenue d’un subtil bricolage moléculaire en jeu dans la cellule et le vivant. Avec une modularité de certains types de protéines capables d’exercer plusieurs fonctions dans des dispositifs cellulaires. En fait, le noyau étant une structure très complexe et difficile à analyser, il se pourrait que d’autres protéines puissent intervenir dans la dynamique de la chromatine, facilitant les replis et déplis. Bref, une structure baroque comme aurait pensé Deleuze en référence à Leibniz. On sait que le contrôle protéique ainsi qu’épigénétique de l’expression est puissant. C’est cohérent car au vu de la longueur du génome, l’expression génétique intempestive serait « ingérable » pour la cellule. Nombre de protéines jouant le rôle de facteurs de transcription ou de répression sont importées dans le noyau et permettent au dispositif expressif de répondre aux modifications du milieu entourant la cellule. Certaines de ces protéines s’associent à du matériel nucléotidique pour former les RNP, ces ribonucléoprotéines dont le rôle est de réguler la transcription. Molécules considérées comme des « navettes » se déplaçant à travers la membrane nucléaire et que l’on peut interpréter comme des processus de transfert d’information.

Du noyau à la membrane cellulaire, du cytoplasme au noyau, les informations se déplacent dans les deux directions et la cellule se conçoit une fois de plus comme un agent cognitif dont le computer dépasse les capacités de nos ordinateurs les plus puissants. Car derrière se situe le calculateur quantique. Une énigme à comprendre pour le 21ème siècle. Le paradigme des régulations s’éloigne au profit du paradigme de la cognition. Les molécules du vivant sont assemblées et forment des réseaux. L’épigénome en est un, le protéome aussi. Mais le fonctionnement du dispositif des réseaux moléculaires semble pour l’instant hors de portée. Seuls, quelques motifs sont observés. A cette complexité s’ajoute cette découverte sur le rôle de l’actine dans le noyau.


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