L’avenir, la technique et nous : quatre questions aux candidats

par Daniel Kaplan
jeudi 18 janvier 2007

Quatre questions aux candidats à l’élection présidentielle, sur le rôle de la technique dans la production de l’avenir. Article paru dans Le Monde du 20/12/2006 sous le titre « La civilisation numérique en marche ».

L’irruption au premier plan de la campagne présidentielle du réchauffement climatique, de l’après-pétrole, de l’Internet, de la démocratie participative, signale qu’il se passe quelque chose dans le paysage politique français. Avec quelque retard sur les Français, le monde politique bascule dans le XXIe siècle.

Reste un thème que les candidats et candidates hésitent visiblement à prendre à bras-le-corps, mais qui conditionne notre capacité à nous saisir de l’avenir : notre rapport à la technique, notamment face à la convergence des technologies numériques, nanométriques, biologiques et cognitives sur laquelle se concentrent les efforts mondiaux de recherche et d’innovation.

Pourquoi ce sujet est-il tellement important, et même crucial aujourd’hui ? Pour trois raisons, apparemment difficiles à concilier : parce que ces technologies nous inquiètent, souvent à juste titre ; parce qu’en dix ans les Français se sont néanmoins massivement approprié le numérique, les réseaux, les mobiles, avec des conséquences importantes sur les relations sociales, le travail, le statut de la connaissance comme celui de la création, les modes de consommation, la manière dont ils interviennent dans le débat politique ; parce qu’enfin elles sont à la source d’une part importante des réponses viables aux grands défis du futur.

Appropriation massive, active et plutôt joyeuse, inquiétudes collectives, éthiques et politiques, nécessité pour l’avenir : depuis deux ans, en Aquitaine, les Entretiens des civilisations numériques (CI’NUM) travaillent autour des tensions et des nouveaux équilibres qu’engendrent ces tendances. C’est à partir de ces réflexions, qui ont rassemblé des participants du monde entier et de tous les horizons professionnels, que nous posons quatre questions aux candidates et candidats à l’élection présidentielle de 2007.

1. Comment comptez-vous faire émerger un débat ouvert et serein autour des enjeux de la recherche scientifique et de l’innovation, de la "convergence" ?

Le face à face entre le "principe de précaution" et le "progrès technique" stérilise toute réflexion, voire toute recherche. Il dispense les uns et les autres de détailler leurs réponses concrètes aux défis du futur. A la manière des Britanniques, nous devons apprendre à débattre en amont non pas des seuls impacts des avancées techniques, mais des anticipations, des scénarios d’avenir qui animent les chercheurs, "concepteurs du futur", et ceux qui les financent.

2. Entendez-vous rouvrir le débat autour des grands projets numériques structurants qui nous concernent tous, notamment le dossier médical personnel, le bureau virtuel des élèves, la carte d’identité électronique et le passeport biométrique ?

Volontiers présentés comme techniques, ces projets concernent chaque citoyen dans la définition de son identité, l’exercice de ses libertés, l’accès aux systèmes d’éducation et de soins. Derrière les programmes informatiques s’expriment bel et bien des choix politiques qui doivent être mis sur la place publique.

3. Comment, dans une société en réseau, imaginez-vous refonder la "fabrique de l’intérêt général" ?

En facilitant le partage des informations, des expériences et des idées, les réseaux transforment les conditions du débat public. Ils organisent à la fois la transparence et la désinformation, les mobilisations citoyennes et les réseaux occultes. Ils permettent à des communautés locales, culturelles, d’intérêts ou d’opinions, de se prendre en charge en court-circuitant les institutions. Mais les choix les plus difficiles supposent d’arbitrer entre des intérêts divergents, dans la recherche d’un intérêt général. Ils réclament des stratégies à long terme. C’est le rôle indispensable du politique, qui doit apprendre à le remplir dans un dialogue renouvelé et continu avec la société en réseau.

4. Qu’entendez-vous entreprendre pour que la France contribue à l’avènement d’une société mondiale multipolaire de l’économie et de la connaissance, dans laquelle les pays du Sud seront des acteurs à part entière ?

Qu’on le souhaite ou non, l’avenir est au développement des échanges de tous ordres, au métissage, aux migrations voulues ou contraintes, dans un monde où l’Asie d’abord, les pays du Sud et leur jeunesse ensuite, pèsent d’un poids de plus en plus lourd.

Ces questions sont absentes du débat actuel. Pourtant, elles sont présentes dans la pratique quotidienne de millions de Français, en particulier des plus jeunes générations. Ceux-ci sauront entendre les candidats qui voudront parler avec eux de l’avenir et des manières de le construire ensemble.


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