L’École des mines en pleine contradiction !
par JL ML
samedi 28 mars 2009
« La contradiction », tel était le thème des Premières Rencontres nationales organisées par le Centre Sciences des processus industriels et naturels (Spin) et la Rotonde CSTI (culture scientifique, technique et industrielle) qui eurent lieu à l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne (Loire) du 19 au 21 mars dernier.
Des propos très roboratifs y furent énoncés, la plupart pointant les insuffisances de la raison « rationaliste » et réductrice et appelant à une vision plus ouverte capable de mieux tenir compte des contradictions apparaissant dans le champ de toute science.
« Parler de la contradiction, dit Bernard Guy, enseignant chercheur à l’École des mines et initiateur du colloque, c’est montrer les limites de notre raison qui joue avec les mots, avec nos représentations. En même temps, c’est faire confiance en cette raison, capable de dévoiler les difficultés, nous plaçant du côté du discours plutôt que de la violence. Nous avons besoin d’éclairage théorique sur ces questions. Nous avons aussi besoin d’examiner des exemples ; ceci est d’autant plus important qu’il n’y a pas de méthode générale pour s’y prendre avec les contradictions ».
Outre une bonne trentaine de conférenciers (dont l’auteur de cet article) venus de milieu divers, trois orateurs particuliers étaient les invités d’honneur : Guiseppe Longo, logicien et épistémologue (École normale supérieure de Paris), Basarab Nicolescu, physicien et philosophe, directeur du Ciret (Paris) et le prophète de la complexité Edgar Morin, sociologue et philosophe (dont seul le texte a été diffusé pour cause de maladie de son auteur).
Des actes seront édités par la suite.
Plusieurs modèles de raison
De ces journées, je retire qu’il n’y a pas qu’un seul modèle de la raison. La logique aristotélicienne oriente la démarche scientifique avec l’interdiction de penser le contradictoire et l’exclusion d’un troisième terme (soit vrai, soit faux, pas de 3e solution). Elle a bien évidemment toujours sa place essentielle, mais elle est aujourd’hui contrainte de laisser entrer dans le champ de la connaissance des principes d’autres logiques (exemple, la physique quantique), voire une infinité de logiques.
Comme l’a souligné Jean-Louis Léonhardt, docteur en physique et en mathématiques (Cnrs-Mom), le discours logique a besoin de principes pour fonder ses développements. Le problème est que ces principes ne sont pas démontrables par le processus discursif. Autrement dit, la saisie des principes, au démarrage de tout discours scientifique, est, elle, non pas irrationnelle, mais a-rationnelle.
C’est pourquoi elle peut (ou doit) admettre un modèle de la raison que le physicien appelle « antagoniste », fondé sur l’absence a priori du principe de contradiction. Pluralité et incomplétude (la raison rationaliste a ses limites indépassables à l’intérieur de son propre système) sont donc légitimes dans les théories antagonistes.
Jean-Louis Léonhardt conclut : « Toute théorie scientifique est incomplète, mais une fois corroborée par l’expérience, elle contribue à expliciter une partie du réel ».
Mais une partie seulement de ce réel. C’est pourquoi, a-t-on entendu dire à ces Ateliers sur la contradiction, d’autres discours sont également légitimes pour exprimer la vérité, comme l’art, la théologie ou la symbolique.
Penser la liberté
Personnellement, je suis intervenu sur le thème suivant : Penser la liberté après le “hasard et la nécessité”.
Selon ma thèse, la contradiction n’est pas un problème, un mystère ni même une limite, elle est la CONDITION de notre liberté, la MARQUE MÊME de notre humanité. Plus qu’une pierre d’achoppement, comme elle est vue généralement, elle est la pierre de touche nous permettant de rehausser notre pensée, de dépasser le seul côté « objectif », phénoménal, des choses et du monde, pour tenter de les « comprendre », de les prendre en nous. En effet, contrairement à ce qu’une certaine conception scientifique tente de nous faire accroire, le monde n’est pas seulement objet extérieur (objectif), ni forcément sans raison, il est en nous comme nous sommes en lui. L’univers est à la fois « en soi » et « pour nous », comme disent les philosophes.
Jacques Monod écrivait, dans le Hasard et la nécessité (Seuil) : « La nature est objective, et non pas projective, avec son corollaire impératif : le postulat de l’objectivité de la nature implique le refus systématique (souligné dans le texte) de considérer comme pouvant conduire à une connaissance “vraie” toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c’est à dire en terme de “projet” ».
Le célèbre biologiste affirmait même que « la connaissance objective [est] la seule (souligné dans le texte) source de vérité authentique ». Il ajoutait que « cette idée austère et froide [le monde n’a pas de finalité] impose « un ascétique renoncement à toute autre nourriture spirituelle ».
J’ai tenté de montrer que la contradiction, présente constamment et sous différentes formes dans la science dite objective, nous incite à réviser cette conclusion et à admettre au moins comme hypothèse la possibilité d’une finalité à l’univers. De façon paradoxale (nous sommes bien dans notre sujet !), ma thèse soutient que c’est parce que nous avons une finalité que nous sommes libres. Car la spécificité de l’humain, c’est précisément de déterminer lui-même la finalité qu’il veut bien s’octroyer… dans un cadre à la fois déterministe et dépendant de ses choix.
>> Pour lire le texte complet de mon intervention.