L’IA pour rendre les opinions publiques mieux transparentes à elles-mêmes
par Automates Intelligents (JP Baquiast)
lundi 21 février 2011
Lors de l'audition au Sénat des Etats-Unis le 16 février 2011 des chefs des services de renseignement (SR) américain sur le thème de la “performance” de ces mêmes SR à prévoir l'évolution politique récente au Maghreb et au Moyen Orient, ils ont reconnu leur ignorance, autrement dit leur impuissance à prévoir.
Ceci n'a pas été faute de rapports. Que s'est-il passé ?
Selon le témoignage du directeur du Renseignement national James Clapper, la CIA a produit 450 rapports en 2010 présentant et discutant des facteurs de risques dans la région. Depuis décembre 2010, la U.S. intelligence community aurait produit la somme faramineuse de 15.000 rapports présentant les thèmes de discussions repérés dans les médias et sur les sites web officiels. L'argument présenté pour excuser la cécité des services est qu'aucun de ces rapports ne pouvait envisager les facteurs prétendus déclenchants des révoltes tunisienne et égyptienne, à commencer par le suicide d'un jeune vendeur de fruits tunisien.
« Mais ne pouviez vous regarder de plus près ce qui se colportait sur Facebook, Twitter et You Tube ? » a demandé la présidente de la Commission. Ces réseaux sociaux annonçait des changements en profondeur dans la société, sans lesquels un élément déclencheur comme le suicide du marchand de fruit n'aurait pu avoir lieu ou n'aurait pas, s'il s'était pourtant produit, entraîné les conséquences politiques que l'on sait.
Impossible ont répondu en choeur James Clapper et Leon Panetta, lui-même directeur de la CIA. Ils ont mentionné les 600 millions d’utilisateurs de Facebook, les 190 millions d’utilisateurs de Twitter, les 35.000 heures de vidéo que YouTube télécharge chaque jour. Comment identifier les données pertinentes intéressant la Tunisie et le Moyen Orient dans ce déferlement ? Ceci d'autant plus, ont-ils affirmé en forme d'excuse (ce que la Commission semble avoir eu du mal à admettre), qu'il restait nécessaire de mener la lutte contre Al Qaida et de préserver les intérêts économiques américains.
Cécité technologique
Il est curieux dans cette affaire de constater que le système de pouvoirs américain, réputé pour sa compétence technologique et les moyens dont il dispose, n'avait pas compris à temps qu'il perdait pied, face précisément à cette technologie qu'il avait contribué à répandre dans le monde entier. Plutôt qu'accumuler des milliers de rapports sur des thèmes verbeux et des évènements anodins, pourquoi n'avait-il pas, depuis plusieurs années d 'ailleurs, demandé aux experts américains de l'intelligence artificielle de mettre au point des systèmes d'expertise automatique des contenus des Facebook et autres Twitter.
Cette question ne devrait pas d'ailleurs être posée à la seule Amérique. Elle nous concerne tous. Elle concerne le degré d'expertise que nous devrions en tant que citoyens apporter à l'analyse politique de notre situation intérieure. Les gouvernements, partis et syndicats dépensent des sommes importantes en sondages d'opinion de formule traditionnelle. Pourtant nul n'ignore que les sondés fournissent généralement aux enquêteurs les réponses que ceux-ci attendent.
Dans le même temps se trouvent sur les réseaux publics (blogs, sites internet, réactions en ligne aux articles de presse, réseaux sociaux ) des millions de données pertinentes qui permettraient d'analyser les courants de l'opinion publique, tant dans ses variations instantanées que dans ses évolutions profondes.
Ces données seraient d'autant plus indispensables à connaître qu'elles ne se limitent pas à refléter l'état de l'opinion. Elles contribuent à la former en temps réel et à la transformer de ce fait en action politique. Si des milliers de personnes écrivent au même moment sur un support en ligne que selon elles la ministre des Affaires Etrangères devrait abandonner le Quai d'Orsay, il ne s'agit plus d'opinions isolées mais de faits performatifs. L'action devient presque aussi efficace, mais sous une autre forme, à ce que ces personnes pourraient faire en organisant un sit-in devant le ministère, jusqu'à ce que la ministre décide de s'en aller. Les deux actions d'ailleurs s'auto-renforcent
Il faut donc se persuader aujourd'hui, avec le minimum de fibre technologique induit par l'époque, que l'information, notamment celle véhiculée par les échanges d'opinion sur Internet, n'est pas seulement le miroir des évènements, mais la cause génératrice de ces évènements.
Cela a toujours été le cas dira-t-on, qu'il s'agisse des articles de la presse traditionnelle ou des échanges de Café du commerce. Mais le phénomène a pris un caractère si massif qu'il exige des outils nouveaux de grande puissance pour être analysé. De tels outils sont parfaitement concevables. Répétons seulement que leur utilisation ne devraient pas être réservée aux seuls services de renseignement, mais ouverte à tous les acteurs politiques, y compris les citoyens eux-mêmes.
Pour cela la communauté des spécialistes du logiciel libre réparti pourrait essayer de définir des outils d'Intelligence artificielle utilisables facilement permettant aux observateurs politiques de terrain de mieux comprendre l'évolution des opinions dont ils font partie. Pourquoi ne pas créer un groupe de travail ? L'objectif serait plus difficile à atteindrer qu'il n'a l'air. Mais pas hors de portée des geeks qui nous lisent. Il ne faut pas croire en tous cas IBM qui prétend une nouvelle fois, avec le duel Watson/humains dans le jeu Jeopardy !, que l'IA n'est possible qu'en alignant les gros ordinateurs.
On dira que, à supposer que ces outils puissent être mis au point, les citoyens s'enfermeront dans la contemplation narcissique des variations de leurs états d'âme. Nous pensons que ce serait peu probable. Le monde devient si empli d'imprévus, si générateur de risques, que les citoyens auront pour principale priorité de faire connaître leurs propres besoins, réactions et désirs.
Ce sera seulement dans un second temps qu'ils prendront le temps de s'interroger afin de savoir si le corps de connaissances résultant de la synthèse qui en sera faite quotidiennement par le système d'analyse des opinions en ligne envisagé ici pourrait ou non s'inscrire dans des programmes politiques ou économiques à long terme.