L’internet produit-il de l’illettrisme ?

par newtoon
lundi 8 mars 2010

On ne lit généralement pas sur Internet ; on “zappe”. Pourquoi un tel comportement ? Combien d’entre-vous liront consciencieusement cet article jusqu’au bout même s’il vous intéresse ?

On écrit sur cette thématique suite à une réflexion de Techradar qui a réalisé une synthèse des études sur le sujet.

A chaque fois qu’une technologie majeure et révolutionnaire a pointé son nez, il s’est élevé des voix qui disaient en substance :

C’était mieux AAAAVANT

Le progrès ne fait certes pas que des heureux...

Souvenons-nous du sort qu’avait subi Vaucanson en son temps.

Des tisseurs lui avaient jeté des pierres car il cherchait à mécaniser le métier (Vaucanson se vengea ensuite en créant une machine avec un âne qui fabriquait des étoffes à fleur...).

La calculatrice est un exemple de machine qui favorise la paresse intellectuelle tout en restant un outil évidemment très utile.

Nos grand-parents étaient souvent capables de faire leurs courses au marché en calculant immédiatement et instinctivement le prix au centime près à partir de la pesée. C’est devenu rare depuis l’avènement de la calculatrice à l’école.

Revenons-en à Internet !

 
Certains ont crié très tôt qu’Internet ferait de nos cerveaux une véritable gelée anglaise à terme.

Cette crainte n’est pas complètement infondée si l’on s’en réfère à une étude de 2008 sur la “génération Google” (http://www.skolbibliotek.se/nik/pdf/rowlands.pdf ).

Ce rapport cite au passage d’ailleurs un extrait livre Fahrenheit 451 de Bradbury . C’est une redoutable analyse prédictive :

“Picture it. Nineteenth-century man with his horses, dogs, carts, slow motion. Then in the twentieth century, speed up your camera. Books cut shorter. Condensations. Digests. Tabloids. Everything boils down to the gap, the snap ending. Classics cut down to fifteen minute radio shows, then cut again to fill a two-page book review, winding up as a ten- or twelve-line dictionary resume. Politics ? One column, two sentences and a headline.” 

Imaginez ! L’homme du 19ième siècle avec ses chevaux, chiens, carrosses et la lenteur. Puis, au vingtième siècle, accélérez votre enregistrement. Les livres sont plus courts. Condensations. Résumés. Tabloids. Tout se résume à un résumé ou une conclusion. Les classiques sont raccourcis pour tenir à la radio en 15 minutes puis résumés encore pour que cela tienne en deux pages dans une critique de livre ou en une dizaine ou douzaine de lignes dans un résumé de dictionnaire. La politique ? Une colonne, deux phrases ou une en-tête.”

Les pages internet deviennent progressivement de plus en plus “courtes”.

Ainsi, une tendance actuelle significative est que certains sites créent des soit-disant “dossiers” d’une dizaine de pages (en réalité de simples articles) mais chacune ne comportant qu’un ou deux paragraphes !

Comme si le lecteur moyen commençait déjà à avoir le doigt qui le démangeait sur la souris au bout de deux paragraphes.

Même un étudiant ou un professeur de nos jours a fâcheusement tendance à “rester en surface des choses” lors d’une recherche sur Internet.

Une première explication que l’on pourrait donner est qu’il y a tant d’informations sur Internet que l’on est tenté d’ “aller à l’essentiel” lorsque l’on croise quelque chose d’intéressant (afin de ne pas rater autre chose d’intéressant).

Certes, nous sommes submergé d’informations et notre cerveau n’a pas été conçu pour subir un tel traitement.

Cette explication n’est pas toutefois pas suffisante car nous pourrions souvent dire "STOP".

Une explication sur notre comportement de "zapping" sur internet se fonde sur la biologie et la neurologie.

En effet, la nouveauté déclenche chez nous la libération d’un neurotransmetteur du plaisir : la dopamine (qui est associé au plaisir sexuel ou à des autres sens).

La nouveauté est associé au plaisir et par conséquent, on est naturellement tenté de ne pas s’attarder.

Des chercheurs de l’université de Princeton ont demandé à des volontaires de faire du “brainstorming” rapide sur des idées nouvelles, de lire rapidement différents des textes sur ordinateur ou de parcourir des clips vidéos en lecture accélérée.

Les résultats de cette étude suggèrent que la clé du bonheur, en tout cas pour se sentir créatif et énergique, est de “penser rapidement”.

La dopamine est recherchée comme "récompense" par notre organisme.
La recherche de dopamine peut créer de la dépendance et des comportements à risques (sexualité, sports extrêmes ou jouer à la bourse ou au casino).

La dopamine ferait donc que nous soyons facilement distraits.

Un chercheur psychiatre de l’UCLA, Gary Small affirme d’ailleurs que les gens sont très tentés de réaliser du “multi-tâches”.

En réalité, derrière cette envie, il faut y voir plutôt une attention discontinue.

Passer d’une chose à l’autre redonnerait une petite récompense de dopamine toujours bonne à prendre.

Ce même psychiatre a ainsi découvert que l’utilisation des nouvelles technologies peut être particulièrement utile pour stimuler l’esprit, en particulier chez les personnes âgées.

Le souci avec cette thérapie cérébrale est que la “profondeur” (la concentration) est invariablement sacrifiée.

Les étudiants et chercheurs sont victimes de cet effet et les statistiques parlent d’elles-mêmes.

Les abonnés à des journaux en ligne ne regardent pas plus que ... 3 pages.

65 % d’entre-eux ne reviennent jamais sur ces pages pour les mûrir.

La lecture ne se fait donc pas “traditionnellement” : lecture horizontale des titres et des résumés principalement.

Le cerveau des internautes n’irait-il pas sur Internet pour échapper à l’effort de lire normalement ?

Un autre problème à signaler est que la nouvelle génération semble faire peu de cas de la vérification des données.

Une donnée plus rassurante est que les jeunes blogueurs et écrivains en ligne sembleraient avoir un meilleur niveau général en écriture que ceux qui n’écrivent pas.

En conclusion, il est évident que les choses évoluent. Comme on dit souvent dans ce cas-là : "on ne peut pas lutter contre le progrès ", même si cela implique des inconvénients.

Les calculatrices, GPS ou Internet modifient la manière de réfléchir et le travail sur ordinateur, les escalators et l’automobile nous rendent facilement flasques et obèses. Nos ancêtres n’avaient généralement pas besoin de faire de l’exercice pour compenser les apports de la technologie.

Pensons également au livre électronique (e-book) qui devrait progressivement remplacer le livre papier

Comment les gens liront-ils ce support ? Plutôt comme un livre ou plutôt comme un média type Internet ?

Il faut donc avoir conscience de ce que ces nouvelles technologies impliquent en termes d’usage.

N’oublions pas d’anticiper et de chercher des moyens de palier les éventuels inconvénients en commençant par comprendre pourquoi notre cerveau réagit de telle ou telle manière.

Sources complémentaires :

Le texto nous rend-il stupide ?

Vidéo sur la dopamine

Dopamine

http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=rapid-thinking-makes-people-happy


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