L’Occident et ses industries thérapeutiques face aux médecines alternatives

par Bernard Dugué
mercredi 30 novembre 2011

La médecine occidentale peut légitimement se prévaloir de succès indiscutables dans le traitement des pathologies les plus courantes et d’avoir contribué au bien-être des populations, améliorant notamment l’espérance de vie. Néanmoins, il n’est pas certain que le vieillissement de la population soit uniquement imputable à la prise en charge médicale. D’autres facteurs peuvent influer, le cadre de vie, l’environnement familial, le désir de vivre, les petits plaisirs et les moments de sérénité. La santé corporelle est souvent reliée à l’équilibre psychique et inversement, pour ce qui concerne ces maladies qu’on dit psychosomatiques. Le mal-vivre et le stress répercutent leur état critique sur les organes les moins résistant et c’est la maladie qui germe. Nul besoin d’avoir fait polytechnique pour savoir qu’un état de santé repose, pour une part importante, sur le soin que l’on apporte à sa manière de vivre et à son corps. Le reste étant réservé aux thérapeutes. La médicine occidentale est basée sur la connaissance des organes et des mécanismes biologiques. Elle consiste à opérer, que ce soit avec les instruments chirurgicaux ou avec les bistouris moléculaire qu’on appelle médicament. La chirurgie a pour cible les tissus organiques sur lesquels elle effectue des coupes en vue d’une ablation de la partie du corps jugée irrécupérables. Elle recoud ensuite le patient et parfois, effectue des raccords comme lors d’un pontage ou bien débouche un tuyau lorsqu’un calcul rénal vient perturber la fonction rénale. 


La médecine allopathique réalise des opérations elle aussi mais c’est indirectement et de manière invisible. L’ingestion d’un médicament est suivie d’une action très ciblée de la substance active sur sa cible. Le principe étant de corriger un type précis de mécanisme en vue de restaurer un équilibre ce qui permet de soigner le patient. Mais n’oublions pas que dans certains cas, on traite le malade alors que dans d’autres cas, une issue plus favorable se traduit par une guérison. C’est le cas par exemple pour une angine, ou une crise de foie. Un constat bien ordinaire en vérité, qui ne soit pas faire oublier que la guérison nécessite la coopération de la physiologie du patient. Si le processus de guérison est spontané et inhérent aux mécanismes du corps, nombre d’études penchent en faveur d’une disposition psychique facilitant la récupération. La coopération du patient dans la thérapie n’est plus un thème tabou et risque même de devenir tendance. Une émission diffusée le 22 novembre sur Arte a jeté un éclairage sur ces pratiques suscitant parfois les sarcasmes de la part des scientistes convaincus du déterminisme mécanique régissant l’organisme. Pourtant, la stratégie du médecin intérieur semble donner des résultats probants et se pratique couramment aux Etats-Unis. Les promoteurs de cette médecine n’hésitent pas à concevoir une action curative imputable à l’esprit, au psychisme ou carrément au cerveau. Ces phénomènes ont une assise scientifique indéniable car le système nerveux est connu pour son action régulatrice grâce aux hormones diffusées par ses organes spécifiques, hypophyse, hypothalamus et autres, ce qui pourrait très bien expliquer les effets de guérison pour peu que certaines pratiques comme la méditation puissent influer sur les régulations physiologiques globales et aider l’organisme a prendre le chemin de la santé. 


Pour l’instant on ne découvre rien de très nouveau. La distinction entre une médecine holiste et une médecine mécanique est aussi vieille que l’apparition des thérapies chimiques à la fin du 19ème siècle. C’est d’ailleurs à cette époque que, renouant avec le paradigme analogiste de l’alchimie, un médecin inventait l’homéopathie alors qu’un siècle auparavant, l’affaire Messmer s’inscrivait également dans la controverse médecine mécanique ou globale. L’acupuncture est elle aussi considérée comme une médecine holiste, issue de la Chine multiséculaire qui s’y connaît aussi question analogie. L’Occident étant basé sur un autre paradigme, celui de la discontinuité intérieure entre la nature et le sujet et de la continuité dans les matérialités (voir les travaux de Descola), on comprend que le paquet ait été mis sur des méthodes de manipulation et de techniques à visée thérapeutique. La médecine occidentale est dans son essence technicienne. Elle adopte le principe de la technique qui est d’appliquer une force efficiente dans une cible en sélectionnant une interface. Le bistouri du chirurgien est à l’interface de l’opérateur et du tissu opéré. Avec un peu de perspicacité épistémologique, on trouvera aussi que le mode opératoire de la plupart des médicaments repose sur une action interfaciale (récepteurs membranaires notamment). La médecine occidentale est donc locale et ne peut être que locale, même si elle sait parfois combiner plusieurs méthodes. Quant aux prescripteurs, les plus sages préconiseront l’association des deux médecines.

Les partisans de la thérapie globale reprochent à la médecine occidentale sa méthode réductionniste consistant à couper l’individu en tranches soumises aux analyses et soins ; et d’être obtus en pratiquant parfois l’acharnement chimique sans bénéfices convaincants (excepté ceux des industriels). De l’autre côté, les médecins occidentaux se prévalent des succès passés et jugent la médecine holiste d’être une supercherie parfois entre les mains de charlatans et autres gourous du new age. La société est traversée par des controverses majeures et celle entre médecines occidentales et médecines dites « alternatives » n’est pas prête de s’éteindre. Les professionnels de santé sont parfois accusés à juste raison d’être pris dans des conflits d’intérêts, lorsqu’ils sont employés dans des industries mais aussi à titre personnel. Les alternatifs sont jugés par les premiers dangereux, à juste raison lorsqu’ils proposent des potions magiques éloignant les patients d’une médecine efficace. Le citoyen peine à y voir clair et c’est logique car l’impartialité fait défaut et l’honnêteté n’est pas toujours au rendez-vous. Prenez la psychologie, là aussi, les spécialistes s’étripent, les uns freudiens ou lacaniens, les autres, comportementalistes. 


Mon avis étant que ces controverses ont le mérite d’exister et que quand on ne peut trancher, chacun doit rester libre d’accorder à qui il veut sa confiance. Le lecteur l’aura compris, je penche plutôt vers une option globale sans renier l’usage de la médecine conventionnelle si la situation le justifie. Je souhaite également pointer les limites de l’arsenal chimique qui semble arriver à ses limites et dont on peut penser qu’il finit en certaines occasions par empoisonner l’organisme, plutôt que de le soigner. Il faut savoir en effet que la plupart des médicaments sont des substances toxiques, même si elles sont curatives aux doses utilisées. Je ne parle pas uniquement des chimiothérapies anticancéreuses. N’importe qui sait que l’ingestion d’un tube d’aspirine conduit à la mort. Quant au paracétamol si populaire, son usage à dose élevée, quatre grammes par jour, peut aussi être létal. Nulle intention de ma part de jeter l’anathème sur la médecine. Mais juste la conviction que le débat sur la production, la prescription et l’usage intempestif des médicaments doit avoir lieu. Il ne faut pas craindre la controverse et d’ailleurs, quelques experts passés à « l’autre bord » ou bien quelques francs tireurs dénoncent l’hyper médicalisation de la société et justement, évoquent ces substances thérapeutiques qui finissent par intoxiquer les populations, souvent sous prétexte de prévention des risques. C’est sur ce point qu’un autre débat doit avoir lieu. Quand il n’y a pas assez de malades à soigner, l’industrie médicale ne cherche-t-elle pas à trouver parmi les individus des malades en devenir qui vont se prêter alors à des traitements préventifs ? 


Si la Justice universelle pouvait parler, elle demanderait que les options alternatives soient examinées avec les mêmes moyens que ceux utilisés par l’industrie. Or, il se trouve que les deux options se concurrencent avec des armes très inégales. Le système industriel a les moyens d’acheter le service des experts, des centres de recherche, afin de rechercher un effet qui, s’il est statistiquement établi avec chiffres à l’appui, peut justifier la prescription de la thérapie. Mais qui pourrait financer l’évaluation de méthodes pratiquées des thérapeutes alternatifs oeuvrant sans organisation ni corpus méthodique ? En plus, il existe l’art du médecin intérieur, pratiqué comme si le patient pratiquait une thérapie pirate, avec des résultats qu’on imagine assez difficiles à valider, surtout qu’il n’existe ni faculté, ni moyens pour faire avancer cette cause. Pour l’instant, les experts gouvernementaux préfèrent croire aux progrès technologiques et s’appliquent de surcroît à faire participer les fonds publics au développement des industries médicales. La médecine industrielle est devenu un système qui a su persuader les gens qu’il est incontournable et qu’il est la seule solution aux maux du corps et de l’âme. Cette vénération de la technique n’est pas seulement le fait de la médecine. Si la technique est tant prisée, c’est parce qu’elle est le moyen pour faire du profit ou asseoir le pouvoir des dirigeants. Et si le principe est si efficace, c’est parce que la technique nécessite un savoir dont disposent les experts qui de ce fait, peuvent placer les populations en position de « minorité cognitive », au sens kantien. Les connaisseurs auront reconnu l’allusion à la devise de ce bon vieux Kant : aie le courage de te servir de ton entendement ! Et justement, pour ne pas se laisser asservir par des solutions techniques inadéquates, cela demande du courage mais aussi une forme d’entendement permettant de savoir trancher sur ces questions.

La médecine occidentale est peut-être arrivée à ses limites. Je propose d’aller plus loin que ces controverses et d’entrer dans une réflexion savante d’ordre ontologique permettant d’appuyer la thèse d’une médecine nouvelle fondée sur les propriétés cognitives de la « substance vivante et ses mécanismes »


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