La complexité justifie-t-elle le simplisme ?

par Vincent Chapin
vendredi 11 août 2006

Chacun aura pu le lire, ici ou là, la société devient de plus en plus complexe. Face à cette complexité nouvelle, et à la crise occidentale actuelle, des réponses multiples se font jour. L’une d’elle, très branchée, consiste à dire qu’il va falloir désormais : penser globalement et agir localement. L’idée est intéressante et mérite qu’on la discute en confrontant divers point de vue.

Dans un article récent publié sur AgoraVox et sur son blog, Thierry Crouzet reprend cette expression à son compte pour soutenir sa vision du monde en dénonçant les éoliennes qui détruisent nos paysages, tuent nos oiseaux, et finalement coûteraient plus cher qu’il n’y paraît si l’on voulait bien se donner la peine de faire un chiffrage global du coût économique et environnemental. En quelques lignes, le ver est dans le fruit, on nous invite à mettre notre bon sens en doute, les éoliennes seraient-elles si écologique que cela ? En effet, il conclut : le bon sens défaille ! CQFD. Et pour cause, la complexité du monde n’autoriserait plus à y avoir recours. Il faudrait donc changer de paradigme. On se dit, pourquoi pas, mais alors quel est le nouveau paradigme ? Et c’est précisément là que les choses se gâtent.

Thierry Crouzet nous suggère, en citant R. Lindsay (un article de NewScientist) qu’il vaut mieux après cette pensée globale, agir localement en produisant individuellement son électricité avec chacun une petite éolienne sur son toit. Et l’article se termine sur cette évidence "small is beautiful". L’idée est séduisante, la démonstration est presque imparable.

Finalement, j’ai voulu en savoir plus et j’ai pu constater que c’était le type même de raccourci qui ne mange pas de pain mais qui fait mal. Cela s’appelle du simplisme ou de la précipitation.

Regardons-y de plus près. Quelle est la consommation annuelle d’énergie et la puissance maximale instantanée nécessaire pour une maison de 4 personnes ? L’abonnement typiquement contracté est de 9kW à 12kW. Il faut donc pouvoir compter sur une dizaine de kilowatts instantanés. Pour ce qui est de la consommation annuelle, celle-ci tourne autour d’une douzaine de kilowatt/heure pour une famille raisonnable qui possède un chauffage électrique, une maison bien isolée, des ampoules basse consommation, aucun spot halogène de 500W et peu d’appareils électriques superflus. Cela donne une puissance instantanée moyenne d’environ 2W tout au long de l’année. Ce chiffre, rapporté à la puissance maximale montre bien qu’un foyer a une grande variabilité de sa consommation tout au long de l’année et c’est la qu’est le problème ! En effet, comme chacun le sait, l’énergie électrique est difficile à stocker en quantité (200Wh/kg avec les batteries actuelles les plus performantes). Avec ces quelques chiffres, il est possible de dimensionner une petite éolienne de toiture individuelle.

Un rapide calcul nous donne le diamètre de cette petite éolienne : 5 à 10 mètres ! Pas si petit que çà tout de même ! Et pourtant nous n’avons pas été avares puisque nous avons considéré un vent plus que généreux avec 15 m/s et un rendement de 34%, raisonnable pour les éoliennes de gros diamètres mais difficile à atteindre pour les petites éoliennes en environnement peu propice à l’éolien. Le jour ou il fait froid, nous avons intérêt à compter sur un bon force 5 à 6 dehors pour ne pas avoir froid dans le salon ! Le diamètre parle de lui-même. Pour ne pas dépasser un mètre de diamètre, ce qui semble raisonnable, si l’on pense aux toitures de nos lotissements, il faudrait se contenter d’une consommation de 300W ! Il va falloir réduire drastiquement notre consommation électrique pour y parvenir. Finalement, on est contraint de se rendre à l’évidence, la belle idée à la mode qui consisterait à produire localement son électricité tombe bien vite aux oubliettes de la réalité.

Mais les plus optimistes ne manqueront pas de qualifier ces petits calculs de coin de table comme ceux d’un esprit chagrin et clameront à la cantonade : qu’à cela ne tienne, il suffit de stocker un peu d’énergie dans des batteries ! Celles-ci font des progrès formidables et les coûts baissent rapidement avec la production de masse. Bien. Voyons donc. Tablons sur une semaine de froid intense. Combien faudrait-il pour tenir en autonomie ? Rien de plus simple, 10 kW pendant une semaine, cela fait 1680kWh. Avec les meilleures batteries du moment à 200Wh/kg cela donne un park de batterie de 8400 kg sans se préoccuper du rendement du convertisseur 12V / 220V qui comme chacun sait est voisin de 100%.

La morale de cette petite histoire est qu’il ne faut peut être pas sacrifier trop vite le bon sens sur l’autel de la complexité nouvelle et en tout cas pas pour le remplacer par du simplisme. Sachons garder raison.


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