La fusion thermonucléaire : l’énergie de l’avenir ?

par Xtf17
jeudi 15 septembre 2011

La consommation d'énergie pourrait atteindre, en 2050, deux à trois fois la consommation actuelle. L'épuisement des combustibles fossiles et l'adaptation difficile des énergies renouvelables à une production d'énergie de masse rendent crucial l'exploration de toutes nouvelles formes d'énergies. Celles-ci devront bien évidemment satisfaire des critères environnementaux, de sécurité, économiques, et de disponibilité des ressources. L'énergie de fusion répondra peut-être à l'ensemble de ces exigences.

Physique de la fusion nucléaire
 
Petit rappel sur la structure de toute matière qui nous entoure : cette matière est composée d'atomes (comme le fer, carbone, oxygène, hydrogène, azote, phosphore, aluminium...) ayant un noyau chargé positivement, entouré d'un cortège d'électrons (chargé négativement).
Alors que les réactions chimiques mettent en jeu des phénomènes au niveau des électrons, les réactions nucléaires mettent elles en jeu le noyau (du latin nucalis) de l’atome et des énergies un million de fois plus élevées !!!
Contrairement à la fission d’atomes lourds utilisée dans les réacteurs nucléaires actuels (et la bombe atomique ou bombe A), il est possible à partir, au contraire, de noyaux d’atomes très légers (comme l'hydrogène) de construire des atomes plus lourds : c’est la fusion (comme dans le soleil, ou encore la bombe thermonucléaire dite bombe H).
 
Réaction de fusion :
Pour obtenir une réaction de fusion, il faut rapprocher suffisamment deux noyaux qui, puisqu’ils sont tous deux chargés positivement, se repoussent comme des aimants. Mais comment faire ?
Dans le soleil, qui est une énorme boule d'hydrogène en fusion, la gravité s’en charge toute seule. En clair cela veut dire que le soleil est tellement lourd que la force de sa propre gravité suffit à rapprocher les atomes d'hydrogène qui le composent jusqu'au point de densité (et de température, car la compression échauffe, comme dans une pompe à vélo) où ils fusionnent ! Et s'allument pour irradier de lumière !
 
Sur Terre, pour forcer les atomes d'hydrogène à se rapprocher, il faut une force gigantesque, et donc il faut ruser : alors que dans une bombe H on utilise une micro bombe A pour réaliser cette compression nécessaire à l'allumage, dans un réacteur il nous faut quelquechose de plus contrôlé : pour faire se rapprocher des aimants positifs qui se repoussent (les noyaux), on peut imaginer utiliser les entourer d'autres aimants encore plus puissants. On utilise ainsi des champs magnétiques, qui permettent alors :
· soit de porter un petit volume de matière gazeuse à très haute pression (un million de fois la densité de l’air) et à haute température (plusieurs centaines de millions de degrés) pendant un temps extrêmement court (un centième de milliardième de seconde), on parle alors de confinement inertiel, et la matière gazeuse ainsi compressée atteint un état que l'on appelle plasma. On cherche alors à obtenir le plus grand nombre possible de réactions de fusion avant que le plasma, ou gaz ionisé, ne se disperse faute d'énergie suffisante pour l'entretenir. Aujourd'hui on réalise le confinement inertiel en combinaison avec des lasers pour cette étape d'"allumage".
· soit pour piéger et maintenir à très haute température un tel plasma. Celui-ci est confiné dans une boîte immatérielle de forme torique (comme une bouée) créée par des champs magnétiques. On parle alors de confinement magnétique. Cette technique, étudiée dans le but de produire de l’énergie en continu dans un réacteur, est celle qui nous intéresse.

 
La réaction de fusion la plus accessible est la réaction impliquant le deutérium et le tritium, qui sont deux formes atomiques particulières de l'hydrogène (respectivement avec un et deux neutrons de plus dans le noyau). C'est sur cette réaction que se concentrent les recherches sur la fusion contrôlée, réaction qui produit de l'hélium et un neutron libre :
D + T => 4He + n (énergie libérée : +17,6 MeV, voir plus bas)
 
Pour arriver à produire de l'énergie à partir des réactions de fusion, il faut arriver à confiner efficacement (tE, exprimé en secondes) un plasma suffisamment chaud (T, exprimé en degrés Kelvin) et suffisamment dense (n, exprimé en énergie par m3 et par degré Kelvin). C’est le critère de Lawson. En pratique, des conditions intéressantes pour un réacteur supposent :
n.T.tE > 1021 (keV. m-3.s)
 
Toute la difficulté réside dans l'obtention des trois paramètres simultanément ! En effet, par exemple lorsqu'on augmente la densité n en injectant du gaz dans la machine, ou la température T en couplant au plasma un chauffage additionnel, alors le confinement (tE ) d'un réacteur de type "tokamak" (voir ci-dessous) a tendance à se dégrader.
Néanmoins le confinement tE varie avec le carré du rayon de la bouée de plasma. Cet effet de taille est l'une des caractéristiques (intrinsèques) des installations de fusion : les plasmas performants sont forcément obtenus dans des installations de grande taille.
 
On désigne alors le facteur d'amplification Q qui qualifie le bilan énergétique du plasma : s'il est supérieur à 1, cela signifie qu'on a produit plus d'énergie avec les réactions de fusion qu'on a du en fournir pour entretenir le plasma ! Jackpot !
 
Se posent donc quelques questions :
· Comment confiner efficacement les particules du plasma ?
· Comment atteindre et maintenir les températures requises pour un réacteur ?
· Comment protéger les composants de la chambre à vide du plasma et, à son tour, le plasma des impuretés émises par les parois qui l'entourent ?
· Enfin, impossible de répondre à toutes ces questions sans moyens de mesure adaptés pour analyser ce qui se passe au coeur du réacteur.
Voyons cela.
 
Le confinement magnétique :
Comme le plasma est formé de particules chargées, il est possible d’agir sur lui par induction (comme ples plaques de cuisson). Dans un champ magnétique rectiligne, les particules s'enroulent autour des lignes de champ et ne peuvent atteindre les parois latérales (un peu comme nos anciens tubes cathodiques). Afin d'éviter les pertes aux extrémités, on referme la boite magnétique en créant un tore (ou bouée).
Ce confinement n'est pas tout à fait suffisant, et pour minimiser encore les fuites de particules, les lignes de champ doivent être hélicoïdales. Ceci est réalisé en ajoutant au champ toroïdal un second champ magnétique qui lui est perpendiculaire : le champ poloïdal. La méthode utilisée pour produire ces lignes de champ hélicoïdales a donné naissance à deux types de machines :
· Dans un «  tokamak », un ensemble de bobines produit, dans la direction du tore, un champ magnétique auquel vient s'ajouter celui créé par un courant intense axial circulant dans le plasma lui-même. Cette configuration a fait des progrès considérables depuis son invention dans les années 1960 par des chercheurs russes. C'est actuellement la voie de recherche la plus étudiée.
· Dans un « stellarator », la configuration magnétique repose entièrement sur des courants circulant dans des bobines en hélice, qui du coup sont assez compliquées à construire.

 
Stabilisation du plasma :
La puissance totale produite par la fusion est emportée à 80% par les noyaux d'hélium (appelés particules alpha) (80 %) et 20% par les neutrons. La principale source d'énergie qui entretient la température du plasma provient donc des collisions même des particules alpha chargées. Au contraire, les neutrons ne sont pas sensibles au champ magnétique, et s'échappent donc rapidement sans avoir le temps de céder leur énergie au plasma. Ils sont arrêtés dans les matériaux des composants entourant la chambre à vide du tokamak (voir ci-dessous pour les problèmes que cela peut engendrer). 
 
Le confinement du plasma par le champ magnétique n’est donc pas parfait : les particules et la chaleur diffusent depuis le centre du plasma vers l'extérieur, et les pertes associées à ce transport des particules et de la chaleur sont importantes.
 
De plus, le plasma se refroidit aussi par rayonnement (pour ceux qu'un peu plus de physique ne rebute pas il s'agit d'un premier rayonnement de freinage dit "Bremsstrahlung" émis par les électrons freinés par les ions, et un second rayonnement dit "synchrotron" lié à leur mouvement de giration autour des lignes de champ), qui peut devenir conséquent lorsque le plasma est porté à très haute température.
 
La solution pour maintenir un plasma stationnaire, est de lui fournir de l'énergie grâce à un système de chauffage supplémentaire. Le risque avec un tel équilibre, s'il est relativement facile à réaliser, est qu'il peut cependant devenir instable : les turbulences des champs magnétiques sont susceptibles de conduire dans certains cas à la perte complète ou partielle du confinement : c'est ce qu'on appelle une disruption. Pour pallier à cela, les tokamaks, construits en matériaux non magnétiques, sont conçus pour pouvoir résister à des flux de chaleur supérieurs à ceux qui existent dans le soleil (70 MW/m2), et à des variations de courant de plusieurs méga-ampères lors de disruptions.
 
Chauffage du plasma :
Quelle que soit la façon dont on a créé le plasma à l'intérieur d'une structure de confinement, il n'a jamais d'emblée la température requise pour les réactions de fusion. Trois méthodes, compatibles entre elles, sont possibles pour chauffer un plasma :
· Pour les tokamaks, le courant qui circule dans le plasma sert également à chauffer celui-ci par effet Joule. Ce dernier reste efficace jusqu'à une température de l'ordre de 10 millions de degrés.
· Le chauffage par injection consiste à créer et accélérer un faisceau d'ions, le neutraliser puis l'injecter pour que les collisions redistribuent de l’énergie au plasma.
· Le chauffage par ondes électromagnétiques fonctionne comme un micro-onde, et permet par le choix de la fréquence d'excitation de définir les particules (ions ou électrons) qui seront chauffées.
Lorsque les réactions de fusion sont en nombre important, l'énergie portée par les noyaux d'hélium reste confinée dans le plasma et contribue à son chauffage. Si cette contribution devient égale à l'énergie perdue par le plasma, alors les méthodes de chauffage ci-dessus ne sont plus nécessaires. Le plasma thermonucléaire est alors auto-entretenu : on dit qu'il est en ignition. Le facteur d'amplification Q est alors infini.
 
Protection des composants :
L’importance des interactions plasma-paroi se traduit par une érosion qui introduit des impuretés qui pompent inutilement l’énergie du plasma. Le choix des matériaux de la paroi est donc très important. En général d’un centimètre d’épaisseur, les parois sont réalisées en matériaux légers, résistants et aux bonnes propriétés thermiques (carbone, béryllium, ou encore tungstène ou matériaux dopés). Le refroidissement externe est, lui, assuré par un contact en cuivre vers des canalisations d’eau pressurisée, ce qui a nécessité la mise au point de méthodes originales d'accrochage entre le cuivre et le carbone. Ce carbone présente pose néanmoins des problèmes en termes de rétention d’hydrogène (et donc de tritium radioactif !). Les parois reçoivent donc des traitements spécifiques, comme l’application de films de carbure de bore, et des décharges de plasma pour les désaturer en gaz piégés.
La géométrie du tore est évidemment un paramètre clé pour minimiser l’incidence des lignes de champ sur la paroi. L’injection contrôlée d’une impureté (argon, néon ou azote) permet de créer une couche rayonnante qui réduit et uniformise le flux thermique.
Lors du fonctionnement, des systèmes de pompage permettent de plus la récupération plus ou moins efficace des « cendres » d’hélium et d’impuretés neutralisées.
Bien que la fusion thermonucléaire ne génère pas de déchets radioactifs, ce qui est un énorme avantage par rapport à la fission), un autre inconvénient important concerne le démantèlement du réacteur rendu radioactif par le bombardement de neutrons. Cependant on peut espérer que les techniques actuelles utilisées pour démanteler les centrales nucléaires sauront s'appliquer ici de la même manière.
 
Diagnostics : au cœur du plasma :
Les diagnostics (instruments de mesures) permettent de savoir se qui se passe au cœur du plasma, tant au niveau des performances, du contrôle que de la compréhension du phénomène. Pour cela, toute la gamme de longueurs d’onde donne accès à la distribution d’énergie (rayons X), à la présence d’impuretés lourdes (UV), aux interactions avec la paroi (grâce à des endoscopes et caméras C.C.D. en visible) et à l'échauffement des parois (infrarouges). Des sonars permettent de sonder le plasma, des sondes de Langmuir donnent le courant et la densité locale du plasma, tandis que les pressions et les températures sont suivies par diverses jauges et thermocouples.
Toutes les données doivent être gérées en temps réel par des composants électroniques asservis très performants.
 
Une brève histoire de la fusion magnétique : de l’expérimentation au réacteur
 
Les prémices des recherches sur l'énergie de fusion datent des années 1920 avec le physicien Aston qui mesura le défaut de masse de l’hélium lors de sa fabrication à partir d’éléments plus légers : en clair la fusion de deux atomes d'hydrogène donnait de manière inattendue un atome d'hélium plus léger que la somme de la masse des deux atomes d'hydrogène !
S’ensuivirent les premières expériences en 1938 aux États-Unis et un brevet de réacteur à fusion déposé en 1946 par Thomson et Blackman de l’Université de Londres.
L'association EURATOM-C.E.A., créée en 1959, est la première des collaborations internationales, lesquelles préfigurent l'organisation des recherches actuelles (EFDA, projet ITER).
En 1968, l’invention par les scientifiques russes de l'Institut Kurchatov du tokamak, qui a rapidement supplanté les autres configurations magnétiques, ouvre la voie aux projets de fabrication de la plupart des grands tokamaks modernes (JET, J.T.60, T.F.T.R.) lancés au milieu des années 1970, à la faveur de résultats scientifiques encourageants et d'une augmentation importante des budgets. La France, après avoir fait entrer l'Europe dans l'ère des tokamaks avec la machine T.F.R., prépare dès les années 1980 la technologie et la physique du fonctionnement continu pour les réacteurs à fusion, avec la construction d'un grand tokamak à aimant toroïdal supraconducteur, TORE SUPRA, en 1988.
En 30 ans les progrès sont considérables, tant sur le plan de la maîtrise technologique que de la compréhension des phénomènes physiques. Le bilan énergétique du plasma a été multiplié par 1 000 ! Cette progression fulgurante est comparable (et même légèrement supérieure) à la croissance des performances des microprocesseurs !
 
La plupart des machines expérimentales actuelles, destinées à la recherche et pas encore à la production d'électricité, fonctionnent à Q<1. Elles n'utilisent comme combustible que du deutérium, ce qui permet de réaliser les études de physique nécessaires sans utiliser de tritium radioactif, en extrapolant ensuite les résultats obtenus. Seules 2 machines ont pour le moment expérimenté l'utilisation du tritium : la machine américaine T.F.T.R., maintenant fermée, et la machine européenne JET, qui détient le record mondial de "puissance fusion deutérium-tritium" en 1997, avec 16 MW produits, correspondant à un facteur d'amplification de 0,64, proche du "break even" (lorsque Q=1). Des plasmas d’une durée de 6 minutes et 30 secondes ont été atteints dans Tore Supra en décembre 2003. 
Les critères de Lawson ont tous été obtenus mais de façon non simultanée dans les installations expérimentales actuelles. Il ne reste plus qu'un facteur 10 à gagner pour entrer dans le domaine du réacteur. La communauté des chercheurs est maintenant prête à effectuer un pas supplémentaire : démontrer la maîtrise de la combustion entretenue d'un plasma deutérium-tritium sur des temps longs. Ce sera l'étape suivante et le principal objectif de la prochaine machine expérimentale internationale ITER, qui est dimensionnée pour atteindre ce facteur d'amplification de 10. Il n'est pas exclu qu'elle atteigne l'ignition dans certains scénarios de physique.

 
Si l'on exclut tous les composants chargés de la production d'énergie, un réacteur sera assez proche de ce que pourrait être une installation expérimentale de type ITER. Cette prochaine génération validera la faisabilité de la production d'énergie via la fusion au niveau de la physique mais aussi au niveau de la majeure partie des grands composants d'un réacteur (bobines magnétiques supraconductrices de grande taille par exemple). Les performances en termes de confinement plasma demandées à un réacteur électrogène ne sont que 4 à 5 fois supérieures aux performances nominales du projet ITER. On peut raisonnablement estimer que les premiers kW électriques produits par un prototype de réacteur à fusion thermonucléaire puissent voir le jour à l'horizon 2050, soit environ cent ans après le début des recherches sur la fusion thermonucléaire contrôlée. Cent ans d'écart entre la découverte du concept et l'utilisation finale ne sont pas si inhabituels que cela : la découverte du principe des piles solaires date de 1839 (A. Becquerel), et la découverte du principe de la pile à combustible date de 1839 (W.R. Grove).
 
Combustible
Valeur énergétique
Équivalence en tep
1 tonne de pétrole
42 GJ
1 tep
1 tonne de charbon
29,3 GJ
0,69 tep
1000 m3 de gaz
36 GJ
0,86 tep
1 tonne d'uranium naturel
(réacteur à eau sans recyclage)
420 000 GJ
10 000 tep
1 tonne de combustible D-T
(tritium produit à partir du lithium) 
378 000 000 GJ
9 000 000 tep
 
Énergie
Avantages
Inconvénients
1000 MWe / an
Nucléaire
· pas de pollution (en fonctionnement) ni de gaz à effet de serre
· production à grande échelle
· Gestion des déchets sur de longues périodes
· acceptabilité du public
· pas de sûreté passive
 25 tonnes U enrichi à 4%
Fusion
· pas de pollution ni de gaz à effet de serre
· production à grande échelle
· sûreté intrinsèque (autoexctinction)
· combustibles abondants
· pas de déchets à stocker sur le long terme
· faisabilité à démontrer
· concerne le long terme (2050)
· coût d'investissement important
· technologie complexe
· techniques de démantelement à valider.
100 kg de D et 150 kg de T
 
 
Sources :
· http://www-fusion-magnetique.cea.fr
· Département de Recherches sur la Fusion Contrôlée (D.R.F.C.) du C.E.A. à Cadarache, http://www-cad.cea.fr/
· Le site du JET (UE), http://www.jet.efda.org/
· Le site de J.T-60 (Japon), http://www-jt60.naka.jaea.go.jp/english/index-e.html
· National Institute for Fusion Science (NIFS, Japon), http://www.nifs.ac.jp/
· Le site de DIII-D (US), http://fusion.gat.com/diii-d/
· Le site d’ITER, http://www.iter.org/fr/accueil

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