La matière imaginée comme du chewing-gum quantique

par Bernard Dugué
mercredi 31 août 2016

Les philosophes puis les scientifiques se sont toujours demandés ce qu’est la matière. Un gros livre ne suffirait pas pour faire l’historique des diverses compréhensions de la matière depuis Démocrite jusqu’à l’ère des ordinateurs quantiques. La matière reste énigmatique mais une seule chose reste certaine, c’est que toute conception de la matière repose sur l’intention et la méthode de celui qui l’étudie. Pour un philosophe des Lumières, la matière est ce constitue le substrat de nos sens et produit des sensations. Pour un scientifique, la matière sera constituée de solides, de forces et même de champs, le tout étant inscrit dans un espace-temps. Cela dit, la matière est aussi liquide et gazeuse. Ces conceptions sont tirées de l’expérience classique. Les épistémologues parlent de notions primitives, qui émanent autant de la science que de l’expérience philosophée. Pour le dire avec une formule grossière, cette matière là, elle nous parle !

Si tant est que la matière nous parle, alors nous la comprenons. Enfin, disons que depuis les découvertes de la physique quantique, nous ne comprenons plus le message que nous enverrait la matière quantique si elle se mettait à nous parler. Pour le dire avec une formule grossière, la matière quantique parle avec un autre langage que la matière classique. Et pourtant il n’y a qu’une seule et même matière. Pour résoudre cette énigme, il suffit d’imaginer que le physicien classique n’interroge pas de la même manière la matière que son confrère spécialisé en mécanique quantique. Pour le dire autrement, la physique quantique dévoile des propriétés de la matière qui ne peuvent être accessibles avec l’expérience classique. La plus connue de ces propriétés est le spin. Cette propriété ne peut être décrite avec une notion primitive mais seulement avec des outils mathématiques comme le sont les matrices de Pauli. Le spin s’avère tout aussi étrange que la description d’un dispositif quantique avec une superposition de vecteurs complexes dont on ne connaît pas la signification physique. Par contre, le spin décrit une chose physique précise, la communication de la matière. Cette hypothèse a été développé dans mon essai, « de la science à la philosophie, l’information et la scène du monde » (soumis pour édition). Finalement, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on découvre la matière comme substance qui communique puisque la matière est le support des sensations qui ne sont rien d’autre que des communications entre un individu et son environnement.

La distinction entre les deux conceptions de la matière, classique et quantique, renvoie un écho à une distinction entre la matière « technique » qu’on utilise (forces, énergies, matériaux…) et une matière « ontologique » qu’on peut connaître avec les études quantiques (qui n’excluent pas loin s’en faut l’utilisation à des fins technologiques comme l’illustre l’ère du numérique). Comprendre la physique quantique, c’est aussi répondre à la question sur ce qu’est réellement la matière.

Pour l’instant, la matière quantique peut être considérée comme un ensemble de « particules » ou de processus déterminés par trois types d’interaction. Il y a les leptons, avec l’électron impliqué dans la chimie et l’interaction des atomes avec les photons. Puis les hadrons avec les particules formant les noyaux atomiques, protons et neutron. Enfin, les accélérateurs ont trouvé des particules par centaines dont la durée de vie est éphémère. Chaque particule de matière possède une antiparticule « faite » d’antimatière. Cette propriété découle de la physique quantique. Les particules possèdent des caractères propres comme le spin, l’isospin, la charge, le nombre baryonique, l’hypercharge. Ces descriptions appartiennent à l’ontologie quantique. La physique quantique est aussi une phénoménologie. Elle est agencée de manière énigmatique avec la description d’un système sous la forme d’une superposition de vecteurs complexes sur lesquels agissent des opérateurs mathématiques hermitiens. Le déroulement de l’expérience se fait à l’image d’une roulette de casino dont les cases ne sont forcément pas de la même grandeur. Chaque observable quantique est affectée d’une probabilité. Une seule des observables s’actualise dans l’expérience. Ces quelques détails formels montrent le caractère énigmatique de la matière quantique.

Si nous étions dans l’ambiance du siècle des Lumières, les académies poseraient des questions du genre, qu’est-ce que la matière du point de vue quantique ? Rousseau écrivit ses deux célèbres discours, sur les sciences et sur les inégalités, en réponse à une question formulée par l’académie de Dijon, alors que Kant répondit aussi à une question philosophique, qu’est-ce que l’aufklärung ? Nous pourrions aussi envisager un concours visant à expliquer la « matière quantique » avec des images compréhensibles par le plus grand nombre. Par exemple en utilisant comme image les briques de lego, une métaphore musicale, ou les fragments de céramique qui peuvent expliquer le darwinisme quantique ou enfin chewing-gum.

Après avoir analysé quelques bases de la physique quantique, l’image du chewing-gum me paraît évocatrice, voire efficace, pour décrire la matière quantique. Imaginons notre univers sensible comme des milliards de bulles de chewing-gum juxtaposées et entrelacées qui donnent l’impression d’avoir une surface lisse et sans aspérités, avec des taches colorées correspondant aux objets matériels visibles. C’est la matière que nous voyons et pouvons toucher ainsi que manipuler ce chewing-gum s’il se présente comme solide, liquide ou même gazeux. Il faut maintenant imaginer un microscope permettant de voir les plus petits détails de la matière. En regardant de près, on verrait les micro-bulles de chewing-gum se former à partir de la substance quantique. Puis, en essayant de regarder à l’intérieur, on verrait ce chewing-gum onduler, avec des bulles prêtes à se former mais sitôt dégonflées car absorbées comme si elles étaient mangées avant de se déployer. Cette image correspond à des processus impliquant la matière ondulante qui s’annihile en permanence avec l’antimatière, mais avec au final un excès faisant que le chewing-gum produit des bulles dont le volume correspond en général aux atomes et de plus grosses bulles encore qui sont les photons.

L’expérience quantique est facile à représenter. Supposons un dispositif expérimental imaginé comme quatre bulles de chewing-gum de couleurs différentes. Avant la mesure, la matière tend à faire des bulles mais elle les avale avant qu’elles ne se gonflent suffisamment pour passer dans notre monde. Pendant la mesure, l’une des bulles parvient à grossir et elle passe dans notre monde en se fixant sur l’appareil de mesure. Notre monde est marqué soudainement d’une tache colorée comme si la bulle de chewing-gum se collait sur l’appareil après avoir éclaté. Je ne développe pas plus. Je me demande même si cela a un intérêt de publier ce genre de billet qui volontairement, ne va pas jusqu’au bout mais glisse des subtilités en espérant quelques remarques intelligentes.

L’authentique savant sait qu’on ne peut progresser qu’en bullant !


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